Les Evangiles


Les Evangiles constituent le texte fondateur du christianisme, formant le Nouveau Testament avec les Actes des Apôtres, divers épîtres et l'Apocalypse. Aux premiers siècles du christianisme de nombreux évangiles étaient en circulation mais seuls ceux de Matthieu, Marc, Luc et Jean ont reçu le label d'authenticité par l'Eglise. Ces quatre textes relatent la vie de l'hypothétique Jésus mais les contradictions sont nombreuses. Les évangiles de Matthieu, Marc et Luc sont regroupés sous le terme de synoptiques et sont assez proches, l'évangile de Jean étant plus différent. Ceci a amené les exégètes à envisager l'existence d'une source commune aux évangiles synoptiques appelée Q (initiale du mot "quelle", la traduction allemande de "source").

Les nombreuses incohérences entre les quatre versions de la vie de JC sont présentées dans un premier temps, sans prétendre à l'exhaustivité, puis les aspects peu humanistes du héros seront exposés, thème soigneusement évité par les théologiens pour qui un Jésus exclusivement bon sert beaucoup mieux leur propagande.

Contradictions entre les quatre évangiles

1/ Généalogie de JC

Bien que JC soit né de Marie, restée vierge, Joseph n'ayant aucun rôle dans l'affaire, les rédacteurs ont cru bon de préciser la filiation de JC du côté du charpentier. Matthieu et Luc n'hésitent pas à reconstituer la généalogie de Jésus mais sans cohérence entre elles : 42 générations jusqu'à Abraham selon Matthieu (1, 1-17) et 77 jusqu'à Dieu selon Luc (3, 23-38) dont 56 jusqu'à Abraham.

2/ Lieu de naissance

Matthieu et Luc font naître JC à Bethléem mais Marc et Jean n'abordent pas la question ce qui, certes, ne constitue pas une contradiction.

3/ Epoque

La naissance de JC eut lieu du temps d'Hérode, qui régna jusqu'en -4, d'après Matthieu. Luc donne des renseignements plus précis en mentionnant un évènement contemporain, le recensement de l'empire romain alors que Quirinius était gouverneur de Syrie. Cela situe la naissance en +6 soit 9 ans plus tard. Luc donne deux indications de l'âge de JC (Luc 2,42 et 3,23) ce qui permet de savoir qu'en la 15ème année du règne de Tibère (soit en 29) JC avait entre 12 et 30 ans ce qui correspond à une naissance entre -2 et -17. L'étoile des mages n'aide en rien la recherche, il s'agit plus probablement d'un délire mystique que d'un réel évènement astronomique.

La crucifixion ne permet pas de dissiper les brumes occultant la détermination des dates. Le seul renseignement est qu'elle eut lieu pendant le mandat de Ponce Pilate, soit entre 26 et 36. Par ailleurs, Jean (8,57) indique que JC est âgé de moins de 50 ans (mais à quel moment?) ce qui semblerait indiquer qu'il était âgé de plus d'une trentaine d'années lorsqu'il fut cloué sur la croix. Ceci correspond à une naissance très antérieure à -4.

Devant ces éléments contradictoires, la plus sage des conclusions est soit de constater notre ignorance, soit que ces incertitudes sont inhérentes à l'invention du personnage par plusieurs auteurs.

4/ Les mages

Matthieu est le seul à mentionner ces voyageurs, Marc, Luc et Jean n'y faisant pas appel. Ces visiteurs sont désignés comme des mages et non comme des rois comme la tradition actuelle le fait supposer. Il pourrait aussi bien s'agir de magiciens ou d'astrologues. De plus, ni le nombre de mages, ni leur identité n'est indiqué dans l'évangile de Matthieu.

Quant à l'étoile guide, son mouvement interdit que ce soit un rapprochement serré entre deux planètes et aucune comète ni évènement particulier n'est mentionné à cette époque. L'imagination de l'auteur a, là aussi, donné libre cours à sa fantaisie.

5/ Les noms des apôtres

Les quatre évangiles indiquent les noms des apôtres qui suivent JC mais les listes montrent quelques incompatibilités:

Matthieu
Marc
Luc
Jean
Simon (appelé Pierre) Simon (appelé Pierre) Simon (appelé Pierre) Simon (appelé Pierre)
André André André André
Jacques Jacques Jacques -
Jean Jean Jean -
Philippe Philippe Philippe Philippe
Barthélemy Barthélemy Barthélemy -
Thomas Thomas Thomas Thomas
Matthieu Matthieu Matthieu -
Jacques (fils d'Alphée) Jacques (fils d'Alphée) Jacques (fils d'Alphée) -
Thaddée Thaddée - -
Simon le Zélote Simon le Zélote Simon le Zélote -
Judas Iscariote Judas Iscariote Judas Iscariote Judas Iscariote
- Lévi (fils d'Alphée) Lévi -
- - Judas (frère de Jacques) Judas
- - - Nathanaël


Saint Pierre

Ainsi Marc indique 13 noms, le treizième étant Lévi (Marc 2,14). Cependant, le passage correspondant à Marc (2,14) dans l'évangile de Matthieu (Matthieu 9,9) ne l'appelle pas Lévi mais Matthieu! Luc retient lui aussi Lévi (Luc 5,28) mais ne mentionne pas Thaddée au contraire de Matthieu et Marc. Un nouveau membre du groupe apparaît chez Luc, il s'agit de Judas, frère de Jacques, personnage distinct du traître Judas Iscariote. Enfin, Jean ajoute Nathanaël à cet échantillon déjà bien fourni. Jean mentionne aussi Judas, comme Luc, mais la liste complète des douze apôtres n'est pas donnée.

Devant une telle confusion comment accorder une fiabilité à ces énumérations? L'incohérence la plus révélatrice de la fantaisie de ces textes est qu'aucun apôtre ne se prénomme Marc ou Luc! Ces deux personnages sont pourtant censés avoir suivi JC pour pouvoir relater sa vie.

6/ Crucifixion

Nombreuses sont les représentations de la Passion de JC où on voit ce malheureux porter lui-même sa croix. N'en déplaise au clergé et aux artistes auteurs de ces œuvres, seul l'évangile de Jean précise que la croix a été portée par JC (Jean 19,27). Matthieu, Marc et Luc affirment au contraire qu'elle fut portée par un dénommé Simon, originaire de Cyrène, qui se trouvait sur les lieux au mauvais moment (Matthieu 27, 32, Marc 15, 21, Luc 23, 26).
Une fois cloué, JC a pour voisins deux brigands qui l'insultent selon Matthieu (27, 44) et Marc (15, 32) alors que Luc (23, 39-43) dit qu'un seul des deux l'insultait pendant que l'autre reconnaissait sa divinité.
Après avoir expiré, les évangiles content que JC fut enveloppé dans un linge. Ce linge est un linceul d'après Matthieu (27,59), Marc (15, 46) et Luc (23, 53) et des bandelettes selon Jean (19,40 et 20,5-6). La confusion est générale quand Luc parle lui aussi de bandelettes (Luc 24,12). Jean évoque aussi un linceul mais il est destiné uniquement à envelopper la tête du crucifié (Jean 20, 7). Il n'y a pas à douter que ces précisions n'altèreront en rien les convictions des partisans de l'authenticité du suaire de Turin , œuvre d'un artiste du 13ème ou 14ème siècle.

Comme dans tout bon scénario, JC doit prononcer des paroles solennelles juste avant son expiration. Selon Matthieu et Marc, JC s'interroge: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?", formule d'autant plus surprenante que ce même JC ne cessait de répéter qu'il faut croire à tout prix et être prêt à mourir pour Dieu... Pour Luc, JC prononce: "Père, je remets mon esprit entre tes mains", alors que Jean se contente d'une formule rapide: "Tout est consommé". Quatre évangiles, trois déclarations distinctes.

7/ La résurrection

La résurrection a curieusement lieu devant un public limité alors qu'un grand nombre de témoins n'aurait pu que servir les intérêts de la secte encore à ses débuts. Néanmoins, là encore, les versions diffèrent: l'apparition devant les apôtres a lieu en Galilée selon Matthieu (28,7-20), Marc (16,6-18) et Jean (21,1-23) alors que Luc (24,13-49) et Jean (20,19) la situent à Jérusalem.

On peut s'étonner que le message biblique ait traversé 2000 ans d'histoire malgré ces innombrables incohérences. Il faut cependant reconnaître au clergé le mérite d'avoir, d'une part, su administrer au peuple SA version des évangiles et, d'autre part, répété depuis des siècles que l'examen critique, rationnel ne pouvait s'appliquer aux textes sacrés.

Jésus menaçant et autoritaire

JC, tel qu'il est décrit dans les évangiles, n'est pas uniquement l'être bon, généreux, humaniste que l'Eglise chrétienne nous dépeint. Les clercs ont prudemment oublié de montrer le perturbateur qui n'hésite pas à menacer des pires maux ses opposants ainsi que ceux qui n'adhèrent pas à sa foi, la liberté du culte lui étant inconnue.

Ainsi, Matthieu (10,34) précise clairement les motivations de JC quand celui-ci s'exclame:"Ce n'est pas la paix que je suis venu apporter mais le glaive". La notion de famille se trouve malmenée dans Matthieu (10,35-36): "Oui je suis venu séparer le fils de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère. On aura pour ennemis les gens de sa maison." Ou plus loin (Matthieu 10,37): "Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi". Voir aussi Luc (12,51-53). L'autoritarisme de JC est manifeste dans son injonction à un individu de laisser l'enterrement de son père pour le suivre (Luc 9,59-60).

La vision chrétienne de la tolérance est une notion très sélective: le pardon n'est accordé qu'aux pécheurs qui acceptent de se soumettre à la nouvelle foi. Ainsi, un refus entraîne le courroux de JC, les blasphémateurs ont tout à craindre (Marc 3,29): "qui blasphème contre l'Esprit Saint n'aura jamais de pardon, car sa faute est éternelle". De même Jean (3,18): "Qui ne croit pas est déjà condamné parce qu'il n'a pas cru en la personne du Fils unique de Dieu". Hors de l'Eglise point de salut!.

Afin de rendre son propos plus persuasif, JC s'exprime par des paraboles, dont le sens échappe d'ailleurs souvent aux apôtres. Il peut alors déchaîner sa violence verbale comme dans la parabole de l'ivraie dans le champ (Matthieu 13,40): à la fin du monde "le Fils de l'homme enverra ses messagers qui enlèveront de son royaume tous les scandales et ceux qui font le mal. Ils les jetteront dans la fournaise ardente, hantée de pleurs et de gémissements." Ou encore dans la parabole du roi attendant son remboursement (Matthieu 18,34-35): "Dans sa colère, le maître le livre aux bourreaux jusqu'à ce qu'il ait tout remboursé. C'est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur." Autre exemple dans la parabole du festin (Matthieu 22,13): "Alors le roi (c'est à dire Dieu) dit aux servants: Liez-lui pieds et poings; puis jetez-le dans les ténèbres hantées de pleurs et de gémissements. Beaucoup sont appelés, peu sont élus." La colère de Dieu est omniprésente: Luc (17,28-30), Luc (19,27): "Quand à ces gens qui me haïssent et n'ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et massacrez-les en ma présence!", Jean (15,6) "Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il sèche, et les sarments secs, on les ramasse, on les jette dans le feu et ils brûlent." La liste est interminable et il n'en a pas fallu plus pour inspirer Torquemada et ses collègues inquisiteurs.

Le passage sur les marchands du temple révèle un JC qui ne se contente pas de proférer des menaces mais qui est sujet à l'énervement et capable d'actes violents. Ainsi, Matthieu (21,12) "Puis Jésus, entre dans le temple, en chasse les marchands et les acheteurs, renverse les comptoirs des changeurs et les étalages des marchands de colombes." et Jean (2,15) "S'étant fait un fouet avec des cordes, il les chasse tous hors du temple ainsi que les brebis et les bœufs, disperse la monnaie des changeurs et renverse les comptoirs.", voir aussi Marc (11,15).

Enfin, élément vital dans l'enseignement de JC, la fin du monde et l'avènement du règne de Dieu. Naturellement ceci ne se fera pas dans la douceur mais dans un cataclysme planétaire. Matthieu (24,15-25) en fait une prédication apocalyptique, morceau choisi: "il y aura alors une détresse telle qu'il n'y en a pas eu depuis le commencement du monde jusqu'à ce jour et comme il n'y en aura jamais plus."

Jésus mégalomane

Lors de l'instauration d'une nouvelle secte, un élément primordial est d'assurer l'unicité du Dieu et du prophète vis à vis des mythes concurrents. JC satisfait à cette règle, il proclame à maintes reprises qu'il est le seul vrai prophète et qu'il n'y a qu'un seul christ (Matthieu 7,15 et 24,23-25, Marc 13,5-6, Luc 21,8). Par ailleurs: "Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde" (Jean 9,5), "moi j'ai vaincu le monde" (Jean 16,33, encore un vocabulaire guerrier). Le gourou entend qu'on cesse toute occupation pour se consacrer à lui: dans Luc (10,38-41) JC accorde sa préférence à la femme inactive assise à ses pieds et qui l'écoute, plutôt qu'à sa sœur occupée à faire le travail de la maison.

Enfin le sentiment de supériorité de JC est éclatant dans Matthieu (26,6-12), Marc (14,6-7) et Jean (12,5), achevant de détruire l'image pieuse du généreux JC: lorsqu'une femme répand un parfum de grand prix sur sa tête, les disciples s'indignent, la vente du produit aurait pu être très bénéfique pour les pauvres. JC donne alors la justification suivante: "des pauvres vous en aurez toujours avec vous, mais moi vous ne m'aurez pas toujours" (Matthieu, 26,11).

Eloge de la souffrance

La religion chrétienne place la souffrance des pauvres à un très haut degré de la beauté. Il est bon de souffrir de son vivant, la place au ciel n'en sera que meilleure. Dieu peut même être à l'origine de nos souffrances, ainsi la rencontre de l'aveugle de naissance (Jean 9,2-3): "qui a péché, lui ou ses parents pour qu'il soit né aveugle? Jésus répond: Ni lui, ni ses parents; mais c'est afin que se manifestent en lui les œuvres de Dieu." Le martyre peut même aller jusqu'au sacrifice de sa vie pour suivre le gourou (Marc 8,35): "qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera."

Cette soumission du peuple chrétien à ses chefs spirituels est la meilleure garantie pour assurer la pérennité du système. JC assure qu'il faut subir les affronts sans sourciller (Luc 6,22-23): "Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent, vous frappent d'exclusion, vous insultent et proscrivent votre nom comme infâme à cause du Fils de l'homme." La persécution vient, dans cet exemple, des opposants à la foi chrétienne mais l'Eglise a su adroitement, au cours des siècles, ne retenir que la notion de résignation tout en changeant la nature de l'oppresseur.

Les qualités de thaumaturge de JC ne manquent pas d'attirer l'admiration des chrétiens actuels mais ce serait oublier que JC ne fut pas toujours disposé à guérir. Nombreux furent les malades qui essuyèrent un refus de sa part lorsque celui-ci préféra se retirer en des lieux déserts pour se soustraire à la populace (Luc 5,15-16): "des foules nombreuses se rassemblaient pour l'entendre et se faire guérir de leurs maladies. Mais lui se tenait retiré dans des lieux déserts et il priait."

Des évangiles ésotériques

Les évangiles n'échappent pas à l'ésotérisme largement répandu à l'époque de leur rédaction. Le nombre 12 y est très fréquent (ce qui renvoie à des préoccupations plus astrologiques que chrétiennes mais la différence est-elle si grande?):

  • 12 tribus dans Israël (Luc 22, 30)
  • lors de la multiplication des pains et des poissons les restes furent rangés dans 12 corbeilles (Matthieu 14, 20, Marc 6, 43, Luc 9, 17, Jean 6, 13)
  • 12 disciples
  • guérison d'une femme atteinte d'hémorragie depuis 12 ans (Marc 5, 25)
  • guérison d'une fillette âgée de 12 ans (Marc 5, 42)
  • évocation du déplacement de JC à Jérusalem lorsqu'il était âgé de 12 ans
  • désignation de 72 disciples (6 fois 12) pour un travail de propagande (Luc 10, 1)

  • Les descriptions de la fin du monde sont elles aussi des monuments d'ésotérisme.

    Les miracles et autres absurdités

    Les prouesses paranormales de JC révèlent une polyvalence remarquable: virginité de Marie, guérisons (d'aveugles, de boiteux, de lépreux, de sourds...), résurrections, marche sur l'eau, figuier desséché, changement de l'eau en vin, multiplication des pains et des poissons. Inutile de s'attarder trop longtemps sur ces légendes, leur absurdité suffit à les ridiculiser.

    La crucifixion du héros donna lieu, selon Matthieu, à un scénario catastrophe: Jérusalem fut plongée dans les ténèbres, les tombeaux s'ouvrirent, les morts ressuscitèrent et se mirent en marche. Comment expliquer qu'un tel évènement ne soit mentionné par aucun historien? Faut-il voir là une simple parabole annonçant la fin du monde? C'est douteux car les passages où JC s'exprime par parabole sont clairement identifiés comme tels. Cette scène est donc à ranger dans la rubrique des miracles autrefois considérés comme des évènements bien réels que les théologiens actuels s'efforcent de regarder de façon symbolique. Echappatoire facile qui fait oublier que ces faits illogiques tiennent une très grande part de responsabilité dans l'adhésion à la foi chrétienne. Les reléguer au rang de métaphores, allégories ou symboles signe un réel recul de l'Eglise dans son interprétation des textes.


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