L'étranger

Luchino Visconti

d'après l'ouvrage d'Albert Camus





Fiche technique, 1967


Dans l'Algérie française, un employé de bureau sans relief mène une vie qui n'en montre pas plus. Prenant peu d'initiative, d'un tempérament affable, Meursault (Marcello Mastroianni) laisse la vie le conduire : le travail, la plage, des relations de voisinage superficielles résument son existence. Jugeant peu les gens comme les faits, rien ne semble réellement important, ou décisif. Le décès de sa mère l'affecte peu; les liens s'étaient distendus par désintérêt. Pas de rupture conflictuelle avec elle mais un simple ennui. Dans son acceptation placide du quotidien, Meursault s'engage dans une liaison avec une ancienne collègue (Anna Karina) que le hasard a placé sur ses pas. De l'amour ? Non, est-ce d'ailleurs nécessaire ? Plutôt une envie, une compagnie agréable, une simple amélioration d'un quotidien ordinaire. Le mariage ? Sans importance. Il se lie aussi d'amitié avec un proxénète, annonce de sa perte future.

La singularité du personnage de Meursault sera révélée grâce à un évènement insensé. La mise en situation ne va pas créer un être hors norme mais le découvrir. Sans élément déclencheur, des vies entières peuvent paraître inutiles quand leur hôte aura paru falot par manque d'occasion de rupture. Entraîné dans une sale histoire entre le proxénète et le frère de l'amante algérienne de celui-ci, Meursault va tuer. Sans le vouloir, sans le savoir, sans en mesurer les conséquences. Un acte insensé au sens premier du terme. Aveuglé par le couteau de l' " Arabe ", les sens affectés par un soleil de plomb, Meursault tire plusieurs coups de feu sur l'homme sans que cela obéisse à aucune nécessité de défense. Étonnamment, ce crime absurde n'entraîne ni remord ni sentiment de culpabilité chez celui qui, pourtant, est tout sauf un monstre. La question de l'importance, ou pas, d'un fait, d'un acte, d'une vie, dirige l'œuvre.

Si Meursault montre une insensibilité totale, sa détention, son procès et sa condamnation révèlent, au monde comme à lui-même, un homme à la détermination sans faille et à la sincérité absolue. Meursault ne cache ni ne calcule. Organisé dans un crescendo magistral, le film livre son apothéose dans un face-à-face avec un prêtre. Parasite éternel, l'aumônier de la prison (Bruno Cremer) harcèle ses proies jusqu'à leur dernier souffle pour leur faire mettre genou à terre devant la sainte oppression catholique. Face au rapace ensoutané, à son hypocrisie et sa stupéfaction devant son incroyance assumée, jamais Meursault ne pliera. De son propre aveu, s'il ne mesure pas forcément ce qui est important, il sait par contre ce qui ne l'est pas : le dieu du prêtre, sa religion, son système. Les assauts du corbeau se heurtent à la détermination d'un homme que la guillotine prochaine ne fera pas s'effondrer. Avec l'élaboration ultime de ses convictions, Meursault affirme, sans héroïsme caricatural, sa liberté de rejeter les valeurs ordinairement jugées incontestables : le mariage, la religion, le deuil, la famille.

Jamais, bien sûr, Visconti et Camus ne légitiment l'acte criminel déclencheur. Le propos est ailleurs : comment une situation exceptionnelle, bien qu'injustifiable, permet à un individu de formaliser une pensée totalement détachée de toute convention, dans une réflexion qu'il n'avait jamais envisagé de mener auparavant.


France Culture a rediffusé, du 4 au 15 janvier 2010, un excellent feuilleton radiophonique sur L'étranger, suivi par des enregistrements d'Albert Camus à la fin de chaque épisode.


23 février 2010


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