Congrès 2003 de l'Union des Organisations Islamiques de France

ou comment simuler l'attachement aux valeurs républicaines pour mieux détruire la laïcité




Comme chaque année, l'Union des Organisations Islamiques de France a effectué une démonstration imposante de sa puissance et de sa représentativité auprès des musulmans de France. Des dizaines de milliers de croyants, venus de tout le pays, se sont rendus à la vingtième édition de ce rassemblement du 18 au 21 avril 2003 au Bourget, près de Paris.

Compte rendu de la journée du 19 avril 2003 :

Intitulé L'islam d'une lecture à une pratique, le congrès 2003 a abordé la spiritualité sous ses aspects les plus variés mais a aussi réservé ses allocutions phares à la mise en place récente du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) avec la venue du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy.

Dans une ambiance chaleureuse et fraternelle où tous sont frères et toutes sont sœurs, les immenses halls du Parc des expositions du Bourget accueillent des conférences (avec des entrées distinctes pour les hommes et les femmes qui sont aussi séparés à l'intérieur de la salle), des salles prières (une pour chaque sexe) et des stands d'exposition. On vient au Bourget autant pour écouter tel prédicateur fameux que pour flâner dans les librairies islamiques ou acheter le hidjab de la dernière mode. C'est la fête, les visages sont souriants, on devine des croyants réjouis de mesurer leur présence à la lumière de l'extraordinaire affluence, tous se sentent unis par même fraternité et Allah est grand. On note autant d'hommes que de femmes et les jeunes âgés de vingt à trente ans sont très nombreux. Les voiles et hidjabs sont aussi de sortie : environ les trois quarts des femmes sont voilées alors qu'elles étaient les deux tiers lors du congrès 2001. L'accroissement est réel et atteste du pouvoir de persuasion des gourous de l'UOIF dans leur incitation à porter le voile. L'UOIF défend systématiquement le port du voile pour les jeunes filles menacées d'exclusion des établissements d'enseignement et leur propose parfois des cours de soutien dans les mosquées.

La force de l'islam réside aussi, et peut-être avant tout, dans l'importance attachée à la tenue vestimentaire que les croyants souhaitent la plus proche de ce qu'elle était il y a 1400 ans dans les sables saoudiens. La diminution de la femme passe par la réserve que le port du voile lui impose, des voiles de couleurs variées mais souvent noirs. Si le simple foulard posé sur les cheveux et le hidjab qui recouvre les épaules et masque le cou sont les plus fréquemment arborés, de rares ombres féminines hantent aussi le Parc des expositions du Bourget : tchador à l'iranienne laissant n'apparaître que le visage, voire des yeux maquillés (que devient alors cette pseudo morale islamique qui voudrait que le voile a pour unique objet de dissimuler la beauté et le pouvoir de séduction de la femme ?), ou, pire, un voile intégral ne laissant absolument rien paraître de la femme qu'il enferme. Oui, rien ne paraissait mais la faible distance qui m'a séparé de cette personne m'a permis de deviner des yeux énigmatiques derrière le linge noir. Qu'étais-je pour elle ? Un voyeur, un gêneur, un ignorant à convertir ? Sensation troublante de se savoir le seul horrifié dans un troupeau soumis à une morale machiste. Surréalistes aussi ces femmes attachées à dénicher dans les boutiques de prêt-à-porter le hidjab ou le tchador qui les effacera encore mieux aux yeux salaces de leur coreligionnaires. Si la vue d'une femme non voilée n'évoque chez le musulman que des pulsions sexuelles en la réduisant à ses caractéristiques anatomiques, la mosquée semble alors moins recommandée que l'hôpital psychiatrique. L'islam choisit une autre thérapie par la culpabilisation féminine.

Les hommes ne sont pas moins adeptes de ce mimétisme vestimentaire qui remplace confortablement les interrogations d'ordre spirituel. Barbes, calottes, sandales et djellabas ont les faveurs de mâles rivalisant de ressemblance avec leur prophète.

Parmi les obligations de l'islam, la zakat (l'aumône) appelle le fidèle à payer sa dîme aux associations de charité : construction de mosquées dans les villes de France (Reims, Caluire, Le Blanc Mesnil, Genevilliers, Trappes, etc.), soutien financier aux souffrances des palestiniens et aide aux enfants d'Irak. L'enfer vécu par les palestiniens est omniprésent dans les consciences : des vidéos montrent des témoignages de victimes, des comités de bienfaisance viennent en aide aux blessés et des écharpes sont vendues aux couleurs de la Palestine tandis que des boutiques informent que partie de leurs bénéfices reviendra aux palestiniens. Et les dons affluent.

Les conférences

Contrairement l'édition 2001, l'organisation du congrès a imposé une fouille au corps à tous les participants en prévision de la venue du ministre Sarkozy en fin de journée. La tribune est entourée de deux oriflammes qui résument correctement le dilemme de l'islam de l'UOIF : "UOIF, pour un islam citoyen et authentique" et "UOIF, pour un islam du juste milieu". Promouvoir un islam à l'heure française tout en conservant ses archaïsmes sans détruire le consensus fragile, et de circonstance, observé actuellement avec les autres partenaires du CFCM, telles sont les missions de l'UOIF.

Dans son allocution sur le rôle de la religion dans l'équilibre mondial, le cheikh jordanien Kamel Cherif, secrétaire général du Conseil Islamique Mondial, n'a laissé espérer aucune évolution intellectuelle révolutionnaire dans la conception des rapports entre l'islam et la science : "l'islam se distingue des autres théories par les liaisons fortes qu'il fait entre la science et la foi". Il poursuit en s'affligeant que "la science moderne est devenue destructrice, sauvage, car elle s'est éloignée de la foi" et déplore que "le rôle de la religion dans la résolution des problèmes contemporains a souvent été dénigré". Peut-être qu'un instant de lucidité permettra au brave cheikh d'entrevoir que l'exemple de la "résolution des problèmes" dans les pays musulmans n'est pas pour inciter à demander son avis à l'islam...

Sur le même thème, le père Michel Le Long, un habitué de l'UOIF déjà présent lors du congrès 2001, distillera les banalités habituelles sur la "vraie" laïcité, celle qui doit respecter les religions.

La communication suivante sera faite en arabe par le cheikh Abdallah Basfar et révèlera la hauteur de la spiritualité de l'islam : comment mémoriser le Coran ? Il n'est pas inutile de rappeler que très peu de jeunes français musulmans connaissent l'arabe littéraire. Réduire la foi à l'observance de rites et à la mémorisation obstinée d'un texte à la pauvreté philosophique affligeante demeure le plus efficace moyen de tenir à sa disposition un peuple de croyants dont les pensées seront soigneusement orientées ou réprimées. Le cheikh a terminé son allocution en psalmodiant des prières qui ont plongé l'assistance dans une intense méditation, les mains à hauteur de la poitrine, les paumes tournées vers le ciel. Allah est vraiment grand. L'UOIF organisait aussi un concours destiné à récompenser les enfants les plus habiles à l'apprentissage par cœur du Coran. Là est la réelle pratique de la religion par le croyant, l'appréhension de la spiritualité n'est pour la majorité d'entre eux que l'obéissance à un fatras de règles autoritaires.

La suite de la journée a été consacrée à l'organisation du culte musulman en France. Le secrétaire général de l'UOIF, Fouad Alaoui (Docteur Fouad Alaoui) n'aura de cesse d'affirmer l'importance de l'attachement des musulmans à la République et de se réjouir du consensus établi entre les différents partenaires du CFCM. On ne martèle que les vérités dont il est permis de douter. Fouad Alaoui a salué le travail "extraordinaire" de Jean Pierre Chevènement, ainsi que celui de Daniel Vaillant, et a comblé de louanges l'actuel ministre de l'Intérieur et des Cultes dont il a félicité la méthode "dynamique, qui fonce, qui va très vite" (traduction : l'autoritarisme antilaïque de Sarkozy qui est allé encore plus loin que Chevènement en imposant par la force la structuration de l'islam en France avec la désignation de ses représentants). L'orateur a multiplié les appels à l'union des musulmans dans un style qui contraste assez avec la fermeté de ses injonctions du congrès 2001 : "Ce qui nous unit en France c'est l'islam et la France", l'unité des musulmans doit être basée sur "l'appartenance à la République". Tout en reconnaissant que des divergences persistent avec les autres membres du CFCM, il s'est réjoui de l'esprit de consensus, une nouveauté dans la pratique de l'islam en France : "Nous choisirons l'intérêt de l'islam et des musulmans de France même si c'est au désavantage de l'UOIF". Jamais il n'avait été donné d'entendre avec une telle fréquence les mots France et République dans les propos d'un soumis (sens littéral du mot musulman en arabe) ! L'islam serait-il en mutation ? La suite montrera que non ; si la stratégie change, l'objectif final demeure le même. Enfin, Fouad Alaoui s'est voulu rassurant à l'intention des mécréants en déclarant sans plus de détails (un propos est d'autant plus persuasif qu'il est simple et direct et ne requiert aucune exégèse pour sa pleine compréhension) : "Nous ne sommes pas des fondamentalistes". L'assistance est rassurée, l'orateur est un bon musulman (les critères de distinction des bons musulmans sont identiques à ceux pour les bons astrologues, très égocentriques par référence à soi-même).

L'intermède qui suit est vite perturbé par un brouhaha, une rumeur : c'est lui, il arrive, l'heure tant attendue est là, il apparaît sur les écrans géants, le héros entre en scène, il sourit, salue l'assistance, il sourit encore c'est donc qu'il est sincère, il est heureux, tout le monde est heureux, Allah akbar. Nicolas Sarkozy apparaît sur la tribune dans une gigantesque ovation qui récompense celui qui, par ses efforts opiniâtres, a permis aux communautaristes de l'UOIF de s'asseoir à la table de la République. L'apprenti sorcier est salué chaleureusement par une foule en admiration devant son sauveur. Le messie prend place entre le président de l'UOIF, Lhaj Thami Breze, et le secrétaire général Fouad Alaoui, et des enfants offrent un bouquet de fleurs à Dieu descendu sur Terre.

En préambule aux interventions des deux premiers personnages de l'UOIF, Abdallah Ben Mansour, ancien secrétaire général, rappelle avec enthousiasme que "les musulmans de France sont fiers d'être musulmans et fiers d'être français". Plus intimiste, Lhaj Thami Breze présente son nouveau pote : "nous recevons un ami avant de recevoir un ministre". L'assemblée se pâme, un Allah akbar retentit, on crie, on gémit de bonheur. Mais une fois les amabilités passées, le président de l'UOIF n'en oublie pas de plaider pour la laïcité, certes, mais une laïcité "ouverte, tolérante" dont on apprendra plus tard en quoi elle consiste... Boubaker El Hadj Amor, en charge des questions d'enseignements à l'UOIF, insistera à son tour sur l'importance de la formation d'imams en France sachant que le thème est cher au ministre. Enfin, dernier orateur avant la vedette du jour que la salle attend avec impatience, le suspens étant à son comble, Fouad Alaoui, le visage satisfait de celui qui a réussi son opération de communication, manipule l'information : en affirmant que désormais "la République reconnaît que les musulmans sont des citoyens", il insinue fallacieusement que ce n'était pas le cas auparavant. Pourtant, la pleine compréhension de la laïcité lui aurait appris que l'Etat ne se soucie pas de la croyance ou de l'incroyance de chacun. Affirmer que, par la désignation du CFCM, la République accorde un traitement égal aux musulmans par rapport aux autres est un pur mensonge puisque l'égalité était acquise depuis toujours. Allant encore plus loin dans le racolage, Fouad Alaoui désigne le ministre par un Nicolas affectueux, un ministre qu'il estime "ouvert, tolérant, d'une grande spiritualité" (tout le monde avait oublié que la spiritualité était le thème du congrès...), et, pour les infidèles qui en doutaient, "intelligent". Et comme le quota du mot laïcité n'était pas atteint, Alaoui a affirmé que les musulmans veulent vivre dans la laïcité.

Nicolas Sarkozy et l'UOIF : de la complaisance au choc frontal

Sous les cris et les vivas, dans une émotion intense, Nicolas, l'ami de Fouad et Lhaj, gratifie l'assistance toute entière de son amitié : "je suis venu en ami". C'est le bonheur, cet homme est envoyé par Dieu, tout le monde s'aime, Allah akbar. Afin de préparer son public à la suite, le ministre lit un texte racoleur, complaisant, fait d'une flagornerie qui fait mouche. Si une flatterie peut ne pas suffire à retourner un auditoire, une avalanche aura une efficacité meilleure. Parmi les ressources du ministre, le mensonge figure en bonne place: "il n'est pas normal qu'en France un musulman n'ait pas le droit de vivre sa religion, de la transmettre à ses enfants", et "la France est la première démocratie à avoir réalisé l'organisation du culte musulman". Il est faux d'affirmer que la République ne permettait ni de pratiquer sa religion (la présence de 1500 mosquées sur le territoire français en atteste) ni de la transmettre à ses enfants (quoique étant fréquemment transmise par la descendance, un vaccin nommé esprit critique existe pour limiter cette contamination multi-millénaire). Quant à l'organisation du culte musulman, le ministre oublie intentionnellement l'exemple antilaïque de la Belgique qui a procédé à l'organisation d'élections en 1998 ; depuis, la structure qui en a émergé est en proie à d'incessantes querelles de minarets.

Seul moment de détente dans l'allocution du ministre, voire de la journée, une phrase eut pu faire sourire ceux qui disposaient de suffisamment de recul sur la passion de l'instant. Le rédacteur du discours ministériel s'est abandonné à une liberté risquée en faisant prononcer au ministre que "comme votre religion est plus récente", elle "doit être démystifiée par la connaissance et le respect". Démystifier les religions en a envoyé plus d'un au bûcher...

Poursuivant dans l'opération de séduction, le ministre s'est voulu rassurant en déclarant qu'il n'appartenait pas à l'Etat de se mêler des débats théologiques des musulmans, préférant ignorer que l'union de tous ceux qui se disent musulmans en est précisément un ! Le ministre s'est alarmé du faible nombre d'imams parlant le français (30% !) et a souhaité que les emplacements des carrés musulmans dans les cimetières soit décidés en concertation avec les maires alors qu'il est illégal de séparer les défunts par leurs croyances. En affirmant, imprécateur, que "la mort d'un musulman est la même que celle d'un catholique ou d'un juif ou d'un protestant", Sarkozy insulte les athées plus qu'il ne les oublie en assimilant dans un honteux amalgame l'absence de sépulture religieuse à l'insensibilité devant la mort. Pour mieux se faire, ensuite, l'ardent prosélyte des vertus imaginaires des religions : "la religion, dès lors qu'elle respecte les valeurs de la République, est porteuse de valeurs positives et d'intégration".

Le séisme et les huées : l'UOIF pour une modification des lois laïques !

Les propos du ministre avaient reçu des applaudissements très chaleureux tout au long de son discours quand fut venue l'heure de rappeler que si les musulmans ont des droits (ce qui est nouveau dans un système laïque...), ils ont aussi des devoirs. Propos de pure forme se dit-on, le ministre ne saurait chercher l'affrontement dans une aussi belle fête.

Ferme et déterminé, le ministre précise alors courageusement sa pensée par la question de la photographie apposée sur les cartes d'identité où la personne doit apparaître tête nue. Sachant que les religieuses catholiques s'y montrent sans leur foulard, il est hors de question, a-t-il poursuivi, que les femmes musulmanes dérogent à cette règle pour y apparaître voilées. Le public, jusque-là sous le charme d'un ministre qui maniait l'eau et le feu, se déchaîne dans des huées immenses et prolongées. Spectacle colossal où celui qui était adulé devient honni en quelques secondes ! Par ces sifflets monumentaux, les soumis de l'UOIF démontrent la détermination et la force de leur opposition à laïcité et font apparaître toute l'hypocrisie des efforts des responsables musulmans qui glorifient faussement la République. Non, l'islam, comme aucune autre religion, n'est pas compatible avec la République ; non, l'islam n'acceptera jamais la laïcité.

L'agitation de la salle est à son comble et, lorsque les clameurs cessent et que le ministre redevient audible, une nouvelle bronca accueille son rappel de la distinction d'une association culturelle et cultuelle : Nicolas Sarkozy insiste qu'il est et restera toujours illégal que des mairies louent des locaux à des associations culturelles pour en faire un usage cultuel ! Les passions se déchaînent de nouveau et les huées redoublent quand Sarkozy précise que cette loi n'est pas négociable. L'évènement ne doit pas être minimisé car il ne s'agit pas, comme l'a déclaré le ministre, d'une poignée de sifflets mais d'une cohorte de milliers d'opposants à la laïcité. Il ne sera donc plus désormais possible de prétendre que la confiance peut être accordée aux musulmans de France pour devenir les ferments d'un islam laïque : l'UOIF est une force majeure depuis le résultat des élections du CFCM des 6 et 13 avril 2003 où il a obtenu un tiers des voix. Les réactions houleuses de ce samedi 19 avril resteront dans les mémoires. En conclusion de son allocution, Nicolas Sarkozy suivra Maurice Thorez soixante sept ans après, à deux jours près (17 avril 1936) : "Saisissez cette main tendue de la République et ne la décevez pas".

Sarkozy revenu à sa place, Abdallah Ben Mansour s'avance à la tribune. On attend des mots d'apaisement mais la diplomatie de l'UOIF en est encore au stade du développement et il annonce fièrement que si les musulmans respectent les lois comme cela est ordonné par l'islam, ils prévoient néanmoins de demander leur modification quand elles sont mauvaises. Une ovation retentissante secoue les hangars du Bourget. Fouad Alaoui, avant de remercier Nicolas Sarkozy pour sa franchise, affiche lui aussi son intransigeance : "le respect de la loi est un devoir religieux" mais "si la loi, dans un de ses aspects, est injuste alors il est de notre devoir de le dire à la République". Nouvelles acclamations unanimes du public. La messe est dite. L'idéologie de l'UOIF est magnifiquement résumée dans cet entrisme à s'insérer dans la République pour mieux détruire ses fondations laïques. L'UOIF agit à visage découvert et ses futurs interlocuteurs seront désormais comptables de leurs compromissions avec les fondamentalistes en costume et cravate. Le ministre Sarkozy n'a que ce qu'il mérite : le CFCM qu'il a enfanté est une pieuvre dont l'unique ambition sera de façonner les lois de la République dans le sens d'une meilleure compatibilité avec l'islam. A trop jouer avec le feu, on se brûle.


21 avril 2003


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