Fabre, le miroir aux insectes

Patrick Tort

Editions Vuibert Adapt 2002


Jean Henri Fabre (1823 - 1915) fut de ces érudits locaux attachés à cultiver leur légende et à s'assurer une lignée de disciples. Observateur passionné des insectes pendant toute sa vie, Fabre le méridional resta assez isolé dans ses recherches plus par rejet des cercles scientifiques officiels que par manque de soutien. S'il fut un travailleur infatigable, son ardeur remarquable à l'examen minutieux des insectes aveyronnais et provençaux ne peut excuser ni son culte du chercheur pauvre et solitaire ni son refus de concevoir la recherche scientifique comme une entreprise adogmatique.

Dans cet ouvrage remarquable, l'auteur Patrick Tort explore indirectement la psychologie d'un homme dont l'incapacité à produire une analyse rigoureuse de ses observations n'est que le signe de croyances fortement ancrées en la Providence. La démission de Fabre devant l'investigation de la nature réelle de l'instinct chez les insectes, révèle son abandon aux thèses chrétiennes et son rejet obstiné du transformisme. Mais il est peu question de religion dans l'ouvrage, l'auteur nous emmène plutôt dans le quotidien de Jean Henri Fabre et il parvient à passionner le lecteur sur la vie des insectes étudiés.

Adversaire résolu de Darwin, Fabre ne lui témoignera aucune sympathie lorsque celui-ci le qualifiera d'"inimitable observateur" bien qu'il n'ait pas hésité à se vanter de cette déclaration. Mais l'auteur pose une question essentielle: Fabre a-t-il lu Darwin? Et de façon plus générale, a-t-il une bonne connaissance de la littérature entomologiste de l'époque? Poser la question c'est y répondre: reclus dans sa Provence, Jean Henri Fabre préfèrera la compagnie d'adeptes locaux, quelques gloires médiatiques ponctuelles ou l'écriture de ses Souvenirs entomologistes.

Avec un style aussi agréable que précis et rigoureux, Patrick Tort démystifie celui qui est, aujourd'hui encore, l'objet d'un véritable culte. Une popularité paradoxale pour un individu obstinément opposé à tout ce qui fera la biologie moderne pour lui préférer l'archaïque création providentielle des espèces.

L'auteur est philosophe, linguiste, historien des sciences et auteur, en particulier, de l'imposant Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution. Il est aussi directeur de l'Institut Charles Darwin International.


Exposition sur Jean Henri Fabre à Paris

Une exposition édifiante est consacrée à Jean Henri Fabre à Paris jusqu'au 31 août 2003 (EDF espace Electra, 6, rue Récamier, 7ème arrondissement). Répartie sur trois niveaux, elle se fait l'apôtre, au premier étage, du concordisme entre science et religion, une stratégie qui noie les débats d'idées par la mode du consensus. La légende d'une des pièces exposées nous apprend en effet que "le rapport de l'insecte avec la mort a entrainé les entomologistes à rapprocher leur science de Dieu". On y trouve aussi une œuvre très mystique d'un artiste contemporain reliant l'entomologie à la foi. Et le texte explicatif qui accueille le visiteur à cet étage conclut sur une phrase de Fabre : "La mort n'est pas une fin, mais le seuil d'une vie plus haute". Consternant. La science est bien loin...

Il faut aussi noter que le rez-de-chaussée, qui présente divers objets relatifs à Fabre, ne fait pas vraiment état de ses résultats scientifiques mais plutôt de ses capacités d'observateur (ses aquarelles de champignons sont magnifiques). Quant au sous-sol, on peut y voir le très apologétique film d'Henri Diamant Berger Monsieur Fabre (1951) avec le talentueux Pierre Fresnay. L'exposition permet d'apprécier quel fut (est ?) le culte autour de l'entomologiste.


11 décembre 2002, mis à jour le 6 août 2003


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