Les militants de SOS Tout-petits prient contre l'avortement
Ils étaient environ une centaine à avoir bravé la pluie pour prier contre l'avortement et la franc-maçonnerie ce vendredi 28 février 2003 à Paris. Pendant au moins une heure et demie ce ne fut que chants et prières en français (Notre Père, Je vous salue Marie) ou en latin (Ave maria). "À proximité du Grand Orient de France" comme l'indiquait un tract (recto, verso) distribué un mois auparavant au requiem de Louis XVI, les militants de l'association catholique d'extrême droite SOS Tout-petits se sont réunis à la sortie de la station de métro Cadet pour une "prière publique de réparation". Des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des curés (dont un déguisé avec soutane et béret) présentaient des slogans lapidaires "L'avortement est un meurtre", ou se voulant plus inquiétant "Derrière l'avortement, la franc-maçonnerie, derrière la franc-maçonnerie ... ?", le traditionnel complot n'est pas loin, c'est sûr. En première ligne, un crucifix fait parler les enfants : "Merci maman de ne pas avoir avorté, avorter c'est tuer". Ou encore "Non à la loi civile qui primerait la loi morale", que l'on rapprochera utilement d'un verset des Actes des apôtres (5, 29) : "Pierre et les apôtres répondent: Il nous faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes".
Les militants de SOS Tout-petits prient et récitent consciencieusement. Ils sont sages, trop sages, et tous en admiration devant le gourou Xavier Dor (voir photo en compagnie du pape), un pédiatre qu'on ne désigne que comme le Docteur Dor. Il prononcera une allocution sous la pluie, une épreuve céleste supplémentaire envoyée par "Dieu". Xavier Dor a été condamné une douzaine de fois pour l'organisation musclée de commandos anti-avortement dans des cliniques qui pratiquent l'interruption volontaire de grossesse (des opérations soutenues et encouragées par le Vatican). Mais ces quelques jugements ne sauraient masquer un certain laxisme des tribunaux (voir un modèle de lettre à adresser au ministère de la Justice et aux députés).
Les passants pressés sont intrigués, certains esquissent des sourires d'incrédulité. Une catholique du quartier confie son complet désaccord avec les fondamentalistes. Mais l'indifférence prédomine globalement, les manifestants semblent trop inoffensifs pour attirer des quolibets. Pourtant, le rassemblement n'a rien de l'escapade parisienne d'un club de troisième âge. Un sympathisant de ces fachos confie qu'un service d'ordre musclé existe bien, dissimulé mais bien présent. Au cas où. Il semble presque regretter l'absence de contestation. Pas de contre manifestants ici comme cela se voit parfois dans les cliniques. Un examen attentif de ces trop sages manifestants identifie rapidement ceux susceptibles d'actions violentes, des hommes jeunes, cheveux toujours courts, l'œil aux aguets. Tels un chien de garde qui n'attend que le signal du maître pour attaquer. Quand un passant exprime son désaccord d'un geste évocateur (poing serré, pouce dirigé vers le bas) accompagné d'un sifflet, les regards se braquent vers le téméraire contestataire qui ne s'attarde toutefois pas. Le DPS (Département Protection Sécurité) n'est pas une structure uniquement spécifique au Front National mais a fait des émules dans toute l'extrême droite française par l'infiltration d'un bras armé dans toute association. Peu après, c'est un membre du service d'ordre qui vient faire part de ses avis sur l'organisation. Le vocabulaire pauvre ("pas d'avortement, ça c'est bien") et l'haleine chargée d'alcool, l'abruti en chaussures de combat est une illustration de la phalange des militants anti-avortement. Le fondamentalisme chrétien reçoit son meilleur soutien parmi ces brutes plus alourdies par la boisson que par leurs fonctions cérébrales.
À un jet de crucifix de là, le siège du Grand Orient de France ne reçoit que faiblement les prières diffusées par haut parleur. Le gardien, un sourire un rien amusé, indique que les militants de SOS Tout-petits avaient auparavant transmis leurs prières au GODF par téléphone ! Mais les acrobaties verbales des antifranc-maçons ne suscitent que quelques sourires de pitié chez les membres du GODF.
Il reste à souhaiter que l'extrême droite catholique continue à compter encore longtemps et uniquement sur un Dieu inexistant pour empêcher la régulation des naissances...
La franc-maçonnerie, question complexe... Il faut d'abord distinguer dans les obédiences maçonniques celles se déclarant adogmatiques c'est-à-dire qui n'imposent pas la croyance en un Grand Architecte de l'Univers, notion confuse que certains peuvent assimiler au "dieu" des religions monothéistes, à l'Être Suprême vénéré par la Révolution française ou à n'importe quoi d'autre. On compte parmi ces obédiences le Grand Orient de France, la Grande Loge Mixte de France, le Droit Humain. Néanmoins, si ces loges n'imposent pas la croyance en une entité surnaturelle, elle ne la méprisent pas non plus et on constate dans leur mode de fonctionnement un fatras archaïque de réminiscences ésotérico-religieuses : vocabulaire (on parle de temple et pas de salle de réunion, de Grand Maître et pas de président, de frère et pas de membre), décoration des lieux de réunion (colonnes grecques, rideaux, carrelage, éclairage), séparation en monde des maçons et des profanes, etc. En considérant un cadre plus étendu que celui de la franc-maçonnerie, le seul symbolisme acceptable est le symbolisme mathématique dont le langage est compris parfaitement par tous les mathématiciens du monde, ses codes ne souffrent d'aucune ambiguïté. Le symbolisme républicain (Marianne, drapeau tricolore, hymnes) n'est pas plus justifié que la numérologie maçonnique : qu'est-il besoin de personnifier la République dans une jeune femme à forte poitrine ? À trop se prosterner devant les représentations des institutions on peut oublier d'en défendre les valeurs essentielles. Noter que ces propos peuvent désormais être passibles d'une condamnation par la loi depuis le 23 janvier 2003 (discussion à l'Assemblée Nationale et réaction dans Libération 29 janvier 2003).
Mais la critique la plus fondamentale, et rédhibitoire, qui puisse être faite à la franc-maçonnerie demeure le refus de la mixité dans certaines obédiences : au Grand Orient de France il semble qu'on préfère être entre hommes pour discuter des choses sérieuses. Sachant que quantité de membres du GODF sont de réels humanistes et de vigilants défenseurs de la laïcité, le refus d'admettre les femmes comme leurs égales relève d'un irrationnel surprenant.
15 mars 2003
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