Crise de foi
un excellent spectacle de Sophia Aram

La présentation du spectacle annonce une précaution inhabituelle : il est "déconseillé aux personnes plaçant leur foi au-dessus de leur sens de l'humour". L'avertissement, souriant, n'est pas de trop car, effectivement, Sophia Aram fustige gaiement les trois monothéismes avec beaucoup d'intelligence et une vigueur très saine, à défaut d'être sainte. On rit beaucoup, on vient d'ailleurs pour cela et se gausser autant des idéologies religieuses que des phobies des croyants les plus fanatiques et obscurantistes.

Sophia Aram ne se contente pas de s'en prendre à ce que d'autres présenteraient comme des déviations ou des excès des religions : ce sont leurs fondements idiots et oppressants qui sont sa cible. Le public s'en délecte du début à la fin ; on y jouit d'un vrai moment de détente où, enfin, tout peut être dit sur les sectes monothéistes. Tout, car Sophia Aram, et c'est sa spécificité, est véritablement libérée de toute inhibition et peut aborder avec une simplicité piquante le sujet du sexe dans son intimité, sans la moindre censure de langage. Le sujet est légitime puisque c'est par le sexe, sa phobie, ses mutilations, ses interdits et la culpabilisation du plaisir que les religions ont toujours accaparé l'individu pour en faire un sujet soumis et docile.

Avec un sourire désarmant, Sophia Aram balance tout. Du concept fantaisiste de "dieu" (sans majuscule !) au contenu de la Bible et du Coran, en passant par les tarés qui en sont lobotomisés, l'humoriste allume toutes les âneries de ces textes de référence, tous les déjantés, qu'ils se réclament du christianisme, de l'islam ou du judaïsme. Aucun favoritisme entre les trois puisque le temps de parole qui leur est consacré semble rigoureusement égal, et c'est une autre des qualités de ce spectacle. Il faut saluer le courage de l'artiste qui n'a pas craint d'attaquer l'islam et ses pratiques avec la même liberté, la même franchise que les mythes concurrents : elle se présente comme une athée issue d'une "culture musulmane", ce qui rend son propos sur l'islam d'autant plus remarquable et précieux. Quel imbécile osera la traiter de raciste ?

Le public conquis a sa ration, pour s'en goinfrer, de curés, d'imams et de rabbins tant la charge est dévastatrice. Les croyants sont eux aussi au menu avec les footballeurs musulmans qui ont refusé de jouer avec une équipe d'homosexuels (véridique), la phobie de certains juifs d'utiliser les ascenseurs pendant le shabbat ou encore les catholiques persuadés que la notion de "dieu" aurait, lors de la mythique Création en six jours, inventé la lumière avant de créer le soleil. Mais comme l'humoriste n'a pas pour dessein d'accroître les divisions entre mystiques, elle n'hésite pas à proposer un nouveau mode de prière qui combine les gesticulations des trois monothéismes : bras tendus vers le ciel pour les catholiques, prosternation vers le sol pour les musulmans et oscillation pour les juifs. Le ridicule du résultat est hilarant tant elle met d'énergie dans son entreprise de démolition.

Bien sûr, se moquer des religions ne se fait pas sans quelques grincements. A la gare d'Austerlitz à Paris, de brillants produits des sectes monothéistes ont jugé que l'outrage méritait sanction en apposant des graffitis sur une affiche du spectacle. Visibles, au moins, du 9 au 12 mars, on pouvait y lire, écrit de deux mains différentes, "PUTE" sur le front de l'artiste, et "Journée des femmes ? et le respect tu connais ??" à côté. Ou l'argument du respect comme forme d'intolérance pour faire taire une gêneuse. Connaissant sa détermination à décocher des flèches en tout sens, comme elle le fait sur France Inter chaque lundi et mercredi à 8h55, ces énervements ne feront qu'accroître sa détermination jubilatoire contre les idiots et les fachos. Écouter, en particulier, son billet du 7 mars 2012 qui rappelle que "compte tenu de l'état de la science", l'humanité gagnerait à se débarrasser des religions.

Crise de foi est représenté au Palais des Glaces à Paris jusqu'au 14 avril 2012. Courez-y vite pour voir une artiste talentueuse en complète liberté.


21 mars 2012