Morts pour la France et croyants par défaut
A Paris, le cimetière de Vaugirard (320, rue Lecourbe) contient un carré militaire où près de 500 soldats sont enterrés, morts pour la plupart en 1917 et 1918. Des invalides de la première boucherie mondiale, décédés plusieurs décennies après, y sont aussi enterrés aux côtés de ceux morts pendant les combats. Pourtant, il semble que "mourir pour la patrie" n'autorise pas, pour les athées et les agnostiques, à voir respectées ses propres convictions : un identificateur religieux est imposé à toutes les tombes. Parmi les 481 sépultures, on compte deux tombes juives, vingt trois musulmanes et toutes les autres sont rangées dans la catégorie du christianisme. Aucun soldat n'apparaît sans référence à une des trois sectes monothéistes. Les pierres tombales musulmanes sont disposées de façon que, le corps étant placé sur son côté droit, le visage du soldat soit dirigé vers La Mecque. Elles sont séparées des autres sépultures alors que les deux tombes juives sont mêlées aux tombes chrétiennes.
Les tombes musulmanes séparées des tombes chrétiennes dans le cimetière de Vaugirard à Paris
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Le cimetière de la rue Lecourbe n'est pas l'exception mais la règle. Quand Chirac inaugure, à Douaumont, un mémorial dédié aux soldats des colonies, ceux-ci apparaissent comme des soldats musulmans, occultant qu'ils ne l'étaient pas tous et qu'ils n'intervenaient pas en tant que fidèles d'une religion mais comme colonisés au service de la France. Autre guerre, autre lieu, en Normandie, le cimetière américain de Omaha Beach montre la même absence de tombes dépourvues de référence religieuse ("une étoile de David pour ceux de confession juive et une croix latine pour tous les autres", cf. la brochure de présentation du cimetière d'Omaha Beach à Colleville-Sur-Mer, page 19). Comme dans le cimetière de Vaugirard, les défunts juifs sont placés avec les chrétiens et pas dans un espace séparé.
Que l'existence de soldats athées ou agnostiques soient niée avec autant d'impudence n'est pas une simple facilité d'ordre administratif. L'adhésion à une religion constitue, plus qu'un signe de spiritualité, la marque d'une soumission à une clique de gourous via l'idée fantaisiste de "dieu", une subordination qui prépare l'obéissance docile à d'autres hiérarchies. D'où les partenariats fréquents entre la puissance publique et les religions (concordats, Conseil Français du Culte Musulman, création en 2002 d'une structure pour le dialogue avec l'Eglise catholique, etc.). S'affirmer libre penseur, et ils étaient nombreux en ce début du 20e siècle, n'est pas seulement refuser un assujettissement à la transcendance divine, c'est aussi, et surtout, affirmer sa propre autonomie de jugement sur, par exemple, la pratique de la guerre. Une position subversive évidemment fort malvenue pour les autorités publiques comme religieuses.
16 janvier 2007
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