10ème Congrès Sceptique Européen
17 - 19 septembre 1999, Maastricht
La Fondation Sceptique Néerlandaise a organisé du 17 au 19
septembre 1999 à Maastricht (Pays Bas) un congrès
rassemblant des sceptiques européens et américains. Les
thèmes abordés concernaient aussi bien l'absurdité
des croyances paranormales que le danger qu'elles représentent
pour l'individu et l'attitude des organisations sceptiques pour lutter
contre leur emprise sur la société. Je donne ici un compte rendu
non exhaustif du congrès.
Le congrès a débuté par une présentation
de Rob Nanninga du charlatanisme des "déprogrammeurs". On appelle
ainsi des spécialistes autoproclamés dont la prétention
est de ramener à une vie saine un ancien adepte de secte. L'objectif
est louable mais en fait de thérapie libératrice, il
s'agit plus d'un nouveau lavage de cerveau d'un individu déjà
fragilisé, à des fins financières naturellement.
Populaires il y a quelques décennies, ces "déprogrammeurs"
semblent connaître une activité de moins en moins importante
depuis les années 80.
Les affinités de certains mouvements ésotériques
avec l'antisémitisme ont ensuite été
développées par Herman de Tollenaere. L'antisémitisme,
qui suppose l'existence d'une "race juive", est à distinguer de
l'antijudaïsme, plus ancien, qui s'oppose aux juifs en tant que groupe
religieux.
Willem Betz a dénoncé de façon remarquable la dangereuse
prolifération des médecines dites alternatives qui
mériteraient plutôt le terme de médecines non
scientifiques. Son réquisitoire a d'abord rappelé que la
plus grande découverte de la médecine a été
la notion de maladie; les
troubles ressentis par le patient ne sont pas dus au manque de foi ou
à une quelconque configuration planétaire. A quoi les
praticiens de médecines alternatives répondent qu'ils ne
soignent pas des maladies mais des personnes, se réfugiant
derrière le paravent d'une plus grande humanité devant une
science froide et impersonnelle...
Willem Betz a révélé le traitement spécial
réservé à l'homéopathie et à l'acupuncture
par rapport à la médecine conventionnelle. Alors qu'un
traitement conventionnel doit faire la preuve de son efficacité avant
d'être diffusé, les médecines alternatives se voient
dispensées de ce filtre. Une solution heureuse pour des pratiques
dont l'efficacité n'a jamais été prouvée et
où la pression des groupes pharmaceutiques concourt à cette
indulgence.
Pire, l'Organisation Mondiale de la Santé (World Health Organization)
n'a pas hésité à déclarer qu'"une
médecine utilisée depuis longtemps peut être
considérée comme valable". La WHO a par ailleurs
dressé une liste de 40 situations dans lesquelles l'acupuncture
peut être utilisée.
La stratégie d'imposition des médecines alternatives est
offensive: déclarations fracassantes dans la presse
("Benveniste prouve l'homéopathie", "l'acupuncture guérit
la dépression"), demandes pour être enseignées dans les
universités. Plusieurs universités espagnoles dispensent des
cours d'homéopathie, au Danemark l'homéopathie est exempte de
TVA, grande popularité aussi en Allemagne et en Europe de l'est.
Le nombre d'européens de l'ouest qui utilisent
régulièrement ces médecines est estimé à
entre 5% et 10%.
Willem Betz a conclu sur l'incohérence des défenseurs
des médecines non scientifiques qui ne tarissent pas de critiques
à l'égard de la médecine conventionnelle mais acceptent
sans scrupules l'absence de contrôle et de tests expérimentaux
envers leurs propres méthodes.
Autre médecine, autre continent: les chirurgiens philippins. Ici
il n'est plus question d'en évaluer l'efficacité mais de
s'élever contre l'arnaque. Ab de Neeling a démonté
pièce par pièce les trucs de ces présumés
chirurgiens à main nues qui opèrent sans laisser de
cicatrices. Sang et organes animaux sont utilisés abondamment pour
donner au patient l'illusion d'une réelle opération.
La lutte contre l'astrologie par l'enseignement de l'astronomie
figurait aussi au programme grâce à Mogens Winther
(voir son site). Enseignant
dans un lycée danois, celui-ci a reçu le prix du meilleur
vulgarisateur en 1998 pour ses cours. Mogens Winther a porté à
la connaissance du public la tentative de mainmise de l'astrologie sur un
planétarium danois en difficulté financière.
Le maire de la commune n'ayant pas trouvé contradictoire d'accorder
l'utilisation du planétarium à un astrologue, son directeur
a du démissionner pour faire échouer le projet.
Gerd Aldinger a présenté le Feng Shui, pratique chinoise
qui consiste à requérir l'avis d'un maître lors de la
construction d'un édifice, pour son orientation en particulier. Les
ossements des ancêtres, par exemple, ne doivent pas être
enterrés dans une direction quelconque. Le Feng Shui est une
astrologie appliquée à la vie pratique, et sert à
"canaliser l'énergie". La popularité du Feng Shui a
été exportée de Chine en Angleterre et en Allemagne.
L'adhésion à ces croyances paranormales n'est pas blâmable
dans la mesure où elle reste du domaine privé et n'atteint ni
le mental ni les finances de l'individu. Par contre, beaucoup plus grave est
la prise en considération de ces idioties dans les méthodes
de recrutement. Jacques Théodor a détaillé les
diverses pratiques utilisées: astrologie, graphologie,
morphopsychologie et numérologie. La morphopsychologie affirme une
relation très précise entre le caractère et la forme
du visage. Question du conférencier: qu'arrive-t-il au visage si le
caractère évolue? L'utilisation de ces croyances dans les
recrutements peut non seulement rejeter des candidats
valables mais aussi renvoyer des employés de façon arbitraire.
Jacques Théodor a ainsi donné l'exemple d'une personne
licenciée pour "incompatibilité zodiacale"!
La réflexion sur les mouvement sceptiques a reçu la
contribution de Wayne Spencer qui a souhaité que le scepticisme du
21ème siècle ne se limite pas au paranormal mais étudie
aussi les croyances au sens plus large comme celles
générées par les révisions de l'histoire et la
création de mythes nationaux (exemple de la Serbie). Wayne Spencer
s'est montré réticent face à l'utilité des
apparitions télévisées de sceptiques, les
médias qui recherchent avant tout le sensationnel sont peu
enclins au rationalisme.
Cette réflexion sur le rôle du sceptique dans la
société s'est enrichie par la présentation d'Henri Broch.
Celui-ci a exposé avec beaucoup de clarté l'enseignement de
zététique (*) dont il est responsable à
l'Université de Nice depuis 1993. Afin de montrer la
nécessité d'un tel enseignement, l'universitaire s'est
appuyé sur des graphes indiquant la croyance au paranormal selon
les catégories professionnelles. Etudiants et enseignants apparaissent
beaucoup plus tentés par ces délires que les techniciens et
les agriculteurs. Mais les croyances évoluent elles aussi. Il
suffit pour s'en convaincre d'examiner les performances de la
psychokinèse, l'aptitude à déplacer des objets par
la seule force de la pensée. Un esprit habile du 18ème ou
19ème siècle n'avait aucune peine à déplacer
des masses de plusieurs tonnes (comme les statues de l'île de Paques) alors
que les médiums les plus qualifiés ne parviennent actuellement
qu'à déplacer des objets de quelques grammes (l'objet le plus
docile est généralement la cuillère). Le cours
dispensés par Henri Broch comporte 26 heures. On doit y ajouter
la réalisation d'expériences par les étudiants
eux-mêmes où ils reproduisent, par des moyens bien peu
surnaturels, les prouesses de divers charlatans. Au delà de la
réfutation de ces croyances, l'intérêt fondamental du
cours de zététique est le développement de l'esprit
critique chez l'étudiant face à toute information.
Pour plus d'informations, se rendre sur le site
http://www.unice.fr/zetetique.
Enfin, le colloque s'est achevé par Paul Kurtz sur le thème
controversé du rôle des sceptiques face aux religions.
Les sceptiques peuvent-ils et doivent-ils appliquer leurs investigations
aux croyances religieuses? L'auditoire exprima aussi bien une
réponse négative, une croyance ne peut se prêter
à la méthode rationaliste, qu'une réponse affirmative,
les religions ne sont que des superstitions qui se distinguent du paranormal
par le nombre de morts qu'elles ont causé (opinion dans laquelle
je me range). Paul Kurtz a tranché le débat dans une
conclusion décevante: l'examen rationnel des religions doit être
effectué mais il n'incombe pas aux sceptiques (manque de temps) et
l'époque actuelle ne le permet pas (environnement politique, culturel et
économique défavorable).
Sites à consulter:
le Cercle Zététique,
pour de nombreux documents et liens.
le site du
congrès (en anglais)
*: Zététique: la méthode zététique, ou,
substantivement, la zététique, méthode dont on se sert
pour pénétrer la raison des choses (Littré, cité
par Henri Broch, Le
Paranormal)
21 septembre 1999
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