La Science voilée
Faouzia Farida Charif
Odile Jacob 2013
La Science voilée de Faouzia Farida Charfi n'épargnera pas un sentiment de déception à quiconque considère les religions comme nuisibles à l'humanité : l'ouvrage est une occasion manquée de clamer enfin l'incompatibilité de l'islam et de la science, et une chance avortée pour l'émergence d'une pensée matérialiste sur l'autre rive de la Méditerranée.
Faouzia Farida Charfi est physicienne à l'Université de Tunis et profondément préoccupée par l'activisme des musulmans fanatiques qui gangrènent la Tunisie. Son propos n'est pas d'affirmer que les religions, par leur dogmatisme constitutif, sont un frein au libre développement de la pensée mais, plus restrictivement, de contester la propagande obscurantiste des islamistes, ce qui requiert, certes, une réelle détermination face à Ennahda et aux salafistes. Les thèmes exploités par les islamistes sont ceux déjà développés par des chrétiens archaïques : l'astronomie et l'évolution des espèces. Si l'auteure fustige avec adresse les âneries diffusées par d'innombrables sites internet sur les "miracles scientifiques dans le Coran" et d'obscurs auteurs, c'est aussi pour avancer posément qu'un autre islam existerait, un islam qui ne succomberait pas à la tentation du concordisme. En s'appuyant sur les siècles anciens où rayonnait le monde arabe, l'auteure rejette que l'islam constitue un obstacle à la science (page 21), qu'il soit la cause du déclin du monde arabo-musulman (page 22), pour estimer au contraire "que la foi en l'islam n'est pas un frein à des recherches créatives" au vu de l'existence, actuellement, de brillants scientifiques musulmans (page 23).
Bien sûr, l'argumentation, compréhensible de tous et toutes, développée en faveur de l'évolution des espèces et de la théorie du Big Bang en astronomie mérite d'être considérée et diffusée. Les insultes à l'intelligence proférées par des charlatans obnubilés par le texte coranique sont dénoncées sans relâche et on mesure bien la sincérité de l'auteure, éprise de progrès, face aux ennemis d'une pensée scientifique autonome, en Tunisie ou ailleurs. Tout aussi remarquable est son identification de l'omniprésence des questions religieuses comme responsable du retard scientifique et intellectuel du monde arabo-musulman. L'aspiration à une Tunisie libre et démocratique qui ne soit pas polluée par de sombres religieux résonne fort dans ses mots engagés et vibrants. Mais en restant au milieu du gué, en protégeant l'islam d'une confrontation avec la science, Faouzia Farida Charfi demeure dans la situation incertaine de celle qui tente de concilier un mythe et son antidote, spiritualisme et matérialisme, dogmatisme inhérent à toute religion et refus d'une pensée autoritaire.
L'humanisme et la détermination de l'auteure à contrer les fanatiques sont dignes d'être salués, comme ses combats salutaires, depuis plusieurs décennies, pour la démocratie, la séparation du politique et du religieux, l'égalité entre femmes et hommes. Mais l'ouvrage laisse la porte ouverte sur le labyrinthe des réflexions consensuelles sur la science et la religion ainsi que l'illusion actuelle d'un islam des lumières. Il serait toutefois insolent de n'en retenir que cet aspect et de minimiser le courage d'une intellectuelle dont le propos ne peut que susciter la colère des musulmans fanatiques, même s'il laisse les rationalistes un peu sur leur faim.
4 juillet 2013
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