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L'obscurantisme dans la littérature musulmane: "le Coran est un livre de science"
La Bible, le Coran et la science, Maurice Bucaille, Seghers Pocket
L'islam est une religion binaire qui se réduit à la distinction autoritaire entre le Bien et le Mal, le licite et l'illicite. Il en va de la science comme de la morale: Maurice Bucaille affirme et répète que le Coran est un livre de science parfait où n'est présente aucune erreur ni approximation. Quand une thèse est difficilement défendable, le recours à la répétition et au martèlement d'une proposition simple (simpliste) remplace adroitement la démonstration rationnelle qui aurait été attendue. Bucaille verse donc sans retenue dans la diversion consistant à asséner que le Coran prédit les découvertes scientifiques, toutes les découvertes, et cela avec une absolue perfection afin de ne laisser aucune fissure où pourrait s'insérer le doute et le questionnement. La Bible, par contre, ne trouve pas grâce à ses yeux, précaution utile pour se démarquer de la concurrence.
Devant tant d'ambition, le livre de Maurice Bucaille, une référence vénérée par les musulmans, présente immanquablement le flanc à d'innombrables critiques.
1/ Fraude intellectuelle
Le principal grief à faire à l'ouvrage est la juxtaposition frauduleuse de versets approximatifs ou abscons avec l'état actuel de la science et de la connaissance. La différence entre la méthode scientifique, faite de rigueur et de rationalisme, et la connaissance en tant que possession d'un savoir est bien entendu absente de l'ouvrage, le livre étant plus doctrinal que pédagogique. L'islam se plait à pratiquer l'amalgame entre la méthode scientifique et les connaissances humaines, de même qu'entre musulman et arabe pour toujours étendre sa sphère d'influence. La nuance n'est pas une vertu religieuse. 0 ou 1, pas d'autre choix.
Un exemple des divagations de l'auteur: à l'observation faite par les scientifiques du grand intérêt représenté par l'étude des abeilles, des araignées et des oiseaux migrateurs pour l'organisation de leur système nerveux, Bucaille revendique la primauté du Coran dans cette découverte arguant du fait que ces espèces sont décrites, rapidement néanmoins, dans le Coran (pages 239 et 240). Un raccourci qui évite de nombreuses recherches et berce le croyant dans le confort de son ignorance.
2/ Propositions contraires aux connaissances actuelles
Bucaille est maître dans l'art d'ajouter du sens à des versets qui en sont dépourvus mais il se tait sur ceux ouvertement en contradiction avec les connaissances actuelles. Il cite plusieurs versets (pages 214 et 215) qui évoquent des montagnes immobiles échouant ainsi à annoncer la dérive des continents ce qui aurait mieux servi sa cause.
3/ Confusions
Avec cet universalisme qui fonde les religions, l'auteur n'hésite pas à aborder tous les domaines mais montre des insuffisances en astronomie par la confusion de la nébuleuse proto solaire avec la matière issue des premiers instants du Big Bang. Deux époques séparées par des milliards d'années où les conditions physiques et l'état de la matière n'avaient rien de comparable, mais de cela Bucaille ne se soucie pas.
4/ L'escroquerie de l'interprétation finaliste des traductions du Coran
Quand un verset ne s'accorde pas avec le dessein de l'auteur, le bazar de la variété des traductions l'assure d'y trouver quelque moyen de sauver les apparences, au prix d'une extrapolation mensongère coutumière de l'ouvrage. Bucaille se réfugie à maintes reprises dans ce finalisme: page 208 (trouver le précieux traducteur qui autorisera d'affirmer que l'expansion de l'univers était déjà contenue dans le Coran), page 231 (la science actuelle aide à comprendre le Coran), page 243 (des traducteurs éminents sont renvoyés à leurs études pour n'avoir pas su retranscrire le contenu scientifique approprié d'un verset)...
5/ Anathème sur les hadith en opposition avec la science
Les hadith sont une compilation de textes sur la Tradition des débuts de l'islam et la vie de Mahomet; très volumineux, ils sont autant de chances d'imaginer de nouvelles prédictions. Pourtant, l'auteur le reconnaît, certains sont en contradiction flagrante avec la science. Le conflit est alors immédiatement dissipé: ces versets sont faux (pages 300 et 301). Pourquoi s'encombrer d'une exégèse lourde quand la solution est aussi simple?
6/ La béquille du symbolisme
Enfin, et pour donner une juste description du "rationalisme" musulman, on notera les échappatoires dans le symbolisme où la métaphore dispense le croyant du douloureux effort de penser: symbolisme du chiffre sept, songe de Joseph évoquant onze planètes.
Il serait fastidieux de dresser la liste des prédictions du Coran présentées par Maurice Bucaille, tant l'obscurantisme religieux s'est toujours attaché à ne rien laisser en dehors de son champ d'application pour mieux étouffer la pensée libre. Plus fastidieuse encore serait la tâche de rassembler les prédictions absentes, les versets abscons, les propos incohérents et les conclusions stupides. Ce constat de l'incapacité de l'islam à se défaire de la tentative d'accaparer la science révèle le dramatique asservissement intellectuel d'une communauté de croyants privés d'esprit critique.
Une histoire de la science arabe, Ahmed Djebbar, Seuil, 2001
Rares sont les livres de vulgarisation sur l'histoire de la science arabe et l'ouvrage d'Ahmed Djebbar est à ce titre nécessaire et très instructif. Il examine l'apport des arabes aussi bien en ce qui concerne la traduction et la diffusion d'œuvres plus anciennes, grecques ou indiennes, que les découvertes et inventions des arabes eux-mêmes. Tous les domaines sont abordés: astronomie, mathématiques, physique, science de la Terre, médecine, chimie. A une époque où l'Europe s'enlisait dans l'obscurantisme chrétien, les arabes assuraient une très grande activité scientifique dont elle bénéficiera ensuite.
Mais la question qui demeure est celle du rôle de la religion dans le développement intellectuel de l'époque. La science arabe fut-elle une science musulmane?
Malheureusement, l'auteur répond par l'affirmative sans même poser la question. Il entretient d'abord l'illusion mensongère d'un islam qui se serait propagé pour le plus grand bonheur des peuples colonisés : "La rapidité relative de l'avance des armées musulmanes (du moins jusqu'au Maghreb, dont nous reparlerons plus loin) s'explique par l'accueil favorable des populations" (page 34), l'esclave applaudit son maître... L'auteur fait preuve d'une naïveté affligeante (pour ne pas dire plus) dans son portrait hagiographique de l'islam conquérant: "Il y a eu sûrement encouragement à la conversion, mais il n'y a pas eu, à ma connaissance, de conversions forcées à l'Islam parce que cela est contraire à l'esprit du dogme musulman affirmant qu'«il ne doit pas y avoir de contrainte en religion»." (page 36).
Les fondements de la science arabe, Ahmed Djebbar croit les déceler dans les débats générés, dès la 2ème moitié du 7ème siècle, par les diverses versions du Coran et du message de Mahomet. Une démarche qu'il n'hésite pas à qualifier de "rationnelle" (page 60). Les tergiversations sur le message coranique sont pour lui "le véritable départ de la tradition scientifique arabe" (page 61). Le pas est alors franchi pour autoriser à parler de "science de l'exégèse du Coran" et de "science du Hadith" (page 63), où on accorde des mots à défaut d'accorder les concepts. Et quelle meilleure preuve de la scientificité de l'islam que le fait que le mot science et des expressions apparentées soit rencontrés plus de 400 fois dans le Coran (page 64) ?
La science reçoit les faveurs des croyants non pas pour son rejet du dogmatisme et son incitation au doute mais pour le label de sérieux et de vérité qu'elle véhicule. Afin d'éviter l'écueil de faire face à l'autoritarisme religieux, l'attention du croyant est détournée vers une science soumise à la foi et dont l'objet n'est plus l'investigation libre de la nature mais la célébration d'Allah.
Néanmoins, ceci ne saurait éloigner le lecteur de cet ouvrage riche et très intéressant bien que "Une histoire de la science arabe" ne soit pas une histoire du rationalisme en terre d'islam.
Science et Croyance, Essai sur l'application de la méthode inductive aux Croyances fondamentales de l'Islam: le révélateur (Allah) le messager (Le Prophète) le message (L'Islam), Mohammad Bâqer al-Sadr, Editeur Abbas Ahmad al-Bostani, Montréal (le texte et un site sur l'auteur)
L'auteur n'est pas un obscur imam de quartier à l'auditoire très local mais il a été au contraire un personnage très important de l'islam chiite irakien. Né en 1935, il est l'un des fondateurs du parti islamiste irakien Da'wa et il se réclamait de l'héritage de Khomeiny. Le régime de Saddam Hussein l'a assassiné en 1980.
Cet écrit ne peut donc voir son importance minimisée vu l'aura de martyr dont jouit l'auteur. Pourtant, ce texte n'est qu'un amas de contresens, d'erreurs et de verbiage abscons. Mohammad Bâqer al-Sadr souhaite proposer une démonstration de l'existence de Dieu par un raisonnement inductif, c'est à dire par des analogies simplistes et rapides qui ne convaincront que des esprits peu au fait de la méthode rationaliste.
Tout d'abord le style employé est caractéristique du manichéisme de la littérature musulmane. Ce qui est musulman est bon et parfait, tout le reste est dans l'erreur, aucune nuance ne peut atténuer la frontière entre ces deux mondes: "Ce sont les gens les plus courageux et les plus aguerris qui ont porté l'étendard de la religion à travers les temps.
L'auteur se fait fort d'impressionner le lecteur par un usage fréquent des mots "science", "probabilité", "démonstration", des mots qu'il vide de leur sens pour mieux abuser son public. Est alors considérée comme une démonstration une quelconque analogie simpliste entre des questions sans rapport. Et l'ensemble reste un fatras de concepts incompris enrobés d'une phraséologie obscurantiste.
Mais à l'inintelligibilité de la démonstration s'ajoute une incompétence flagrante en matière de science. L'auteur martèle le lecteur de la puissance du recours au calcul des probabilités alors que lui-même ne possède pas la connaissance de cet outil. Mohammad Bâqer al-Sadr affirme que la probabilité d'un évènement est inversement proportionnelle à la probabilité de l'évènement opposé alors qu'elle en est le complémentaire à 1: p(A)=1-p(non A) et pas p(a)=1/p(non A) comme il le prétend. En fait on constate un emploi inconsidéré du mot "proportionnel": pour l'auteur la probabilité d'un évènement diminue proportionnellement à l'augmentation du nombre de hasards qu'elle suppose. Il aurait été plus correct de dire qu'une probabilité diminue au fur et à mesure qu'augmente le nombre de hasards qu'elle suppose. Comme s'énonce clairement ce qui se conçoit clairement, l'incompétence de l'auteur en mathématique n'en est que plus criante. Mais elle ne s'y limite pas, ses déficiences sont encore plus nombreuses en astronomie.
La liste des absurdités assénées en astronomie est affligeante. Après avoir mal retranscrit une des lois de Kepler (le carré de la période de révolution d'une planète n'est pas proportionnel à sa distance au Soleil comme il le dit mais au cube de cette distance), Bâqer al-Sadr pense informer le lecteur en indiquant que "les neufs planètes sont originaires du Soleil et s'en étaient séparées il y a des millions d'années." D'une part les planètes ne sont pas issues du Soleil mais de la nébuleuse proto solaire et, d'autre part, la constitution des planètes par accrétion s'est produite il y a 4 à 5 milliard d'années au lieu des "millions d'années" avancées. On pourra juger du sérieux et de la rigueur de l'auteur quand il dit que "les mêmes éléments dont se compose la Terre existent plus ou moins dans le Soleil". "Plus ou moins" n'est pas ce qui se fait de plus précis. Mais la phrase suivante en dit plus et, immanquablement, s'égare dans l'erreur: on y apprend que les éléments chimiques ont des proportions similaires dans la Terre et le Soleil. D'un revers de la main Bâqer al-Sadr balaie les travaux des astronomes qui ont pu établir qu'au contraire les abondances y sont extrêmement différentes. Mais l'auteur a une excuse: quelques lignes plus bas il qualifie le Soleil de planète, une absurdité supplémentaire. Autre révélateur de la confusion de son esprit, la présence de phrases incompréhensibles telles que: "la vitesse de la révolution de la Terre autour du Soleil et autour d'elle-même concorde avec la vitesse de la rotation du Soleil autour de lui-même". Quelle grandeur égale quelle autre? Vitesse angulaire ou linéaire? Dans quel référentiel? Tout cela n'a aucun sens, mais la question du sens a toujours été un grand mystère en théologie... A l'ignorance des observations s'ajoute aussi celle des concepts: une mystérieuse "loi de la continuité" remplace ce qui aurait plutôt dû être appelé moment angulaire. La suite est du même acabit. Dernier point à mentionner: l'assimilation sans autre formalité d'une très faible probabilité à une probabilité nulle.
Il est ensuite permis de passer au fond du sujet avec, enfin!, la démonstration de l'existence de "Dieu" (première partie, paragraphe A.3). Mais une erreur supplémentaire s'est glissée dès le début qui permet d'apprécier l'abîme où réside le niveau scientifique du gourou chiite: quand la distance à une source de chaleur est diminuée de moitié, la quantité de chaleur reçue n'est pas multipliée par un facteur 2 comme il le croit mais par un facteur 4. Et la suite reste dans la ligne: mieux que le meilleur des astrologues, Mohammad Bâqer al-Sadr délivre une idiotie comparable aux précédentes en affirmant que si le rayon de l'orbite lunaire avait été très légèrement différent la vie n'aurait pas été possible sur Terre. Enfin, bien qu'ayant montré la plus grande incompétence dans la manipulation des concepts, l'auteur n'hésite pas à inventer la notion de "plausabilité d'une probabilité". Mais ceci ne l'empêchera pas de parvenir à son but par des réflexions où l'on chercherait en vain une quelconque cohérence.
On aurait tort de négliger cet ouvrage par un haussement d'épaules. L'auteur est un dignitaire très influent de l'islam contemporain et, à ce titre, il est vénéré et suivi quoiqu'il ait dit et écrit. Le dogmatisme et l'obscurantisme religieux assurent une très large diffusion et une grande popularité à ses textes bien qu'ils ne résistent pas un instant à l'analyse critique. Ne pas oublier que musulman signifie soumis, à "Dieu" et à toutes les foutaises proférées en son nom. Les ouvrages tels que celui de Mohammad Bâqer al-Sadr abondent dans les librairies musulmanes, dramatique constat d'une communauté incapable, car le refusant, de procéder au moindre questionnement de ses maîtres à (ne pas) penser.
7 octobre 2002
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