Sarkozy ou la laïcité, il faut choisir
Nicolas Sarkozy et la laïcité sont dans un bateau. La laïcité tombe à l'eau. Qui l'a poussée ?
Article paru dans Le Sarkophage n° 3 le 17 novembre 2007
Le pontificat de Nicolas Sarkozy a démarré sur les rails posés durant ses précédents ministères. En roue libre, aussi libre que l'école éponyme. L'homme s'était confié avec franchise en 2004 dans son bréviaire La République, les religions, l'espérance et il poursuit aujourd'hui dans la manipulation des mots : dans une lettre de mission adressée à Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, il reprend le terme d' "espérance" pour décrire ce qui serait, selon lui, l'essence de la religion. Tenace, Sarkozy avait préparé le terrain sous son mandat précédent quand, ministre des Cultes, il avait fait accoucher une commission prête-nom d'un rapport destiné à faciliter le financement des lieux de cultes par les collectivités publiques. Une mosquée à inaugurer, une synagogue à visiter, un scientologue à rencontrer, le ministre qui maniait aussi bien le goupillon que la matraque était toujours prêt. Et depuis son accès au trône suprême, il ne s'est pas fait mentir lui-même : ses prêches passés sont maintenant devenus des actions bien réelles. Le Vatican se réjouit de son élection ? Le voilà qui rédige une bafouille très empressée. Le cardinal Lustiger s'en va vérifier les thèses chrétiennes sur l'au-delà ? Il traverse l'océan pour s'afficher à Notre-Dame sur un beau fauteuil de velours. Françoise de Panafieu estime qu'elle a mieux à faire que d'aller traîner, ce jour-là, à Notre-Dame ? Il la gratifie de sa colère habituelle.
Le premier mandat de Jacques Chirac, en 1995, avait accordé plusieurs postes dans les ministères à des membres ou des amis de l'Opus Dei. Le grand jeu consistait à deviner qui était membre ou seulement ami de la pieuvre. Nicolas Sarkozy a fait plus clair : il a nommé Christine Boutin ministre de la Ville. Opposée à l'IVG, autant qu'à la pilule du lendemain, la députée des Yvelines avait déposé, en janvier 2005, une "Proposition de loi tendant à favoriser l'aide aux femmes enceintes en difficulté" qui consistait, en fait, en une "prévention de l'IVG" par un financement public de la propagande anti-IVG. C'est aussi simple que cela. Auparavant, elle s'était opposée au PACS en montrant la Bible à l'Assemblée Nationale en 1998. Christine Boutin est aussi "consulteur" auprès du Conseil Pontifical pour la Famille depuis 1995 et, en juillet 2006, elle a participé au Congrès théologique et pastoral international de Valence en Espagne sur le thème de la transmission de la foi dans la famille. Dans le même registre, elle avait fondé en 1993 l'Alliance pour les droits de la vie, dont l'objectif est identique, la lutte contre l'IVG. A propos de l'islam, ce frère en monothéisme, la présidente du Forum des républicains sociaux est favorable au port du voile islamique à l'école et elle a participé amicalement au congrès 2006 de l'Union des Organisations Islamiques de France. Tous unis contre la laïcité. Et en novembre 2006, interrogée par Karl Zéro sur Canal +, elle estime que Georges Bush pourrait être à l'origine des attentats du 11 septembre 2001 aux États Unis d'Amérique.
La composition de son cabinet ministériel est à l'image de ses convictions catholiques. Christine Boutin en a nommé directeur le préfet Jean-Paul Bolufer, opposé à l'avortement et à l'homosexualité. Y officie en tant que conseillère technique Christine Dechefdebien, condamnée en 1992 à quatre mois de prison avec sursis et 5000 francs d'amende pour sa participation à un commando anti-IVG dans un hôpital public de Pau. Enfin, on y trouve un curé, Jean-Marie Petitclerc (polytechnicien et salésien), nommé fin juin 2007 comme chargé de mission pour les relations avec les acteurs locaux.
Deux mois après la mise en place du gouvernement, c'est de la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie qu'est venue une nouvelle marque de servilité à l'égard d'une religion avec l'inauguration de la Maison de la Conférence des Évêques de France à Paris (58, avenue de Breteuil). Dans son discours, prononcé en présence du Nonce apostolique et du Président de la Conférence des Évêques de France, la ministre a commencé par noter que le quartier des ministères, dans lequel se trouve le bâtiment, est aussi "celui de nombreux lieux de foi et de réflexion". Le hasard, bien sûr, a placé les émissaires du Vatican à côté du pouvoir politique. Son intervention s'est inscrite dans le partenariat déjà existant avec l'organisation catholique et, sans rire, Michèle Alliot-Marie a évoqué une bien curieuse "évolution vers la modernité" de la Conférence des Évêques de France. Enfin, elle a sacré l'Église comme un guide qui nous sortira de l'incertitude : "Dans un monde qui a vu s'effondrer la plupart des repères idéologiques et moraux, les religions ont plus que jamais vocation à éclairer la société, qu'elle soit civile ou politique. Je remercie l'Église catholique de la contribution déterminante qu'elle apporte à ce débat." Jésus, secrétaire d'État ?
Rien de surprenant dans ces amabilités puisque Michèle Alliot-Marie, fidèle écho de la voix de son nouveau maître, souhaite, aussi, organiser la formation des imams. L'objectif est la constitution d'un islam docile qui devienne un partenaire de l'État. Le 30 juillet, le père de la patrie a jugé utile de mettre tout cela par écrit dans une lettre de mission adressée à la même. Il y confie à Michèle Alliot-Marie le soin de garantir à l'islam les facilités nécessaires à son développement alors qu'il n'incombe pas à l'État d'organiser une religion. Cette bienveillance s'inscrit dans la poursuite logique de la création du Conseil Français du Culte Musulman par Nicolas Sarkozy en 2003, alors ministre de l'Intérieur. C'est ainsi qu'il avait participé au Congrès de l'Union des Organisations Islamiques de France de cette même année. Au sommet de sa forme, le ministre des Cultes s'était abandonné à présenter comme un ami son Secrétaire général, Fouad Alaoui. L'entrée de Nicolas Sarkozy dans le grand hangar du Bourget avait pris une allure messianique auprès d'un public flatté. Mais, comme on peut le mesurer quatre ans après, le pari sur la modernisation de l'UOIF est raté.
Face à tant d'empressement à complaire aux monothéismes, la participation des Petits Chanteurs à la Croix de Bois au défilé des armées du 14 juillet fait figure d'aimable distraction. La chorale catholique a chanté, avec le Chœur des armées françaises, la Marseillaise, le Chant des Partisans et l'Hymne à la joie de Beethoven, qui est l'hymne européen. Encore un effort et l'an prochain, entre un Ave et un Pater, on psalmodiera la Torah et on multipliera les louanges à Allah à la Garden party de l'Élysée...
Nouvelle étape en août où l'on entendit un déluge d'éloges chantés en chœur par l'Élysée et Matignon suite au décès du cardinal Lustiger. Cet opposant irréductible à l'esprit des Lumières a réussi sa mission : venu illico des USA par avion spécial pour assister à ses funérailles, le pèlerin Sarkozy y était accompagné de sa cour de ministres et de secrétaires d'État : François Fillon, Jean-Louis Borloo, Michèle Alliot-Marie, Brice Hortefeux, Luc Chatel, Nathalie Kosciusko-Morizet et André Santini. Un véritable réunion ministérielle à Notre-Dame ! Enfin, en septembre et octobre, saint Nicolas a poursuivi son pèlerinage. D'abord à l'ONU où il a prêché que, tout simplement, la paix dans le monde passe par le respect des religions et des croyances. Puis à la Mosquée de Paris le 1er octobre pour la rupture du jeûne du Ramadan, avec deux bisous à Dalil Boubakeur, le recteur des lieux. François Fillon l'y avait précédé le 18 septembre et Michèle Alliot-Marie s'y est rendue le 10 octobre.
En quelques mois d'activité du président Sarkozy, la séparation des Églises et de l'État ploie de plus en plus sous les coups répétés qui lui sont assénés avec application et méthode. Il est à craindre que l'avenir ne connaîtra aucune modération et c'est une véritable destruction d'un des fondements de la société qui se déroule sous nos yeux ahuris. Pourtant, la laïcité est plus qu'une urgence au niveau national comme mondial : les professionnels de la politique se précipitent aux obsèques de Jean Paul II comme du cardinal Lustiger, le communautarisme musulman s'engouffre dans la brèche constituée fort aimablement par l'État avec le Conseil Français du Culte Musulman, les Églises chrétiennes multiplient les actions de pression au niveau des institutions européennes et Benoît XVI n'en finit pas d'éructer contre la laïcité et le "dragon" du matérialisme.
Séparer les cultes de la chose publique, renvoyer la croyance à une pratique personnelle, en finir avec les privilèges accordés aux religions, tel est l'enjeu d'une laïcité fidèle à son esprit. Une femme, à Paris ou Alger, souhaite s'habiller comme elle l'entend et rejeter ce voile qui fait d'elle un objet sexuel ? La laïcité lui apporte cette faculté. Une autre, au Mexique ou en Irlande, réclame de pouvoir faire un enfant si elle le veut, quand elle le veut et avec qui elle le veut ? La relégation des préceptes machistes des religions hors du système juridique lui assure cette liberté. Un biologiste ou un astronome aspire à mener sa recherche sans contrainte pudibonde ou bandeau posé sur ses yeux ? L'affirmation du caractère obscurantiste des religions lui garantit la liberté de son travail. Un enseignant du Kansas ou de Turquie veut pouvoir instruire ses élèves sur l'évolution des espèces ? L'école laïque constitue un rempart contre les superstitions entretenues par les monothéismes. Enfin, l'antifasciste argentin ou iranien réclame la justice dans son pays contre la tyrannie des militaires et de la religion ? Le devoir de vérité rejettera la réconciliation si souvent prônée par des religions systématiquement acoquinées, ou confondues, avec les despotes.
Sans frontière et de toutes les couleurs, la laïcité affirme la prééminence de l'individu sur la transcendance et place son émancipation comme un enjeu de liberté. L'institutionnalisation de la foi par les religions, dont un ordre moral hypocrite constitue la colonne vertébrale, n'a jamais servi que le confort des clercs et des puissants. Une réalité que ne méconnaît pas Nicolas Sarkozy pour qui il faut plus de curés, d'imams et de rabbins pour acheter la paix sociale.
27 novembre 2007
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