Les religions méritent-elles le respect ?
Sondage après sondage, en France comme dans le reste du monde, l'athéisme progresse. Incapables de prôner de façon crédible, et de mettre en pratique concrètement, une philosophie de paix et d'amour, les religions ont failli. Ne leur restent que des sursauts convulsifs de violence (l'islam et son djihad), de nostalgie réactionnaire (le catholicisme) et de puritanisme obscurantiste (le christianisme évangélique) pour se bercer de la douce illusion que le XXIème siècle serait religieux alors qu'il l'est moins que le précédent, lui-même beaucoup moins que celui d'avant, etc. Toutefois, une arme demeure à la disposition des religions, une arme jadis très employée et qui n'a même jamais cessé de l'être : la censure. Mais une censure d'un visage nouveau, une censure qui se pare des atours de la tolérance, une censure qui voudrait faire taire toute critique des religions et des comportements fanatiques et obscurantistes, une censure maquillée par le respect des religions.
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L'Assiette au Beurre, 12 janvier 1907, numéro illustré par Jossot
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Respect des religions
Les religions doivent-elles jouir d'un statut hors-norme, d'une exception politique qui les placerait hors du champ de la critique, du débat, de la polémique ? L'Histoire montre à profusion que jamais elles n'ont témoigné ce respect, ni envisagé de le faire, à quiconque ou à n'importe quel système de pensée qui s'écarte, même d'un seul verset, de leurs fondements autoritaires. Avant de décréter qu'une religion, ou n'importe quel système de pensée, mérite le respect, un examen préalable apparaît nécessaire.
Toute religion doit être jugée sur trois éléments : ses textes fondateurs, son histoire, son discours actuel.
Les textes dits sacrés, qu'ils soient ceux du judaïsme, du christianisme ou de l'islam, sont des abominations rarement égalées dans l'Histoire des idées. Obscurantisme bien sûr, mais aussi un amas de haine, de violence, de misogynie qui serait rapidement convoqué devant un tribunal s'il était publié actuellement. Affirmer la supériorité de l'homme sur la femme (Bible : 1 Cor 11, 3 ; Coran : sourate IV, verset 38), des croyants sur les incroyants (omniprésente dans le Pentateuque et le Coran), appeler au meurtre des athées ou, de façon plus indistincte, de quiconque n'entre pas dans le moule étroit et rigide du culte décrété véritable (versets innombrables dans le Pentateuque, Coran : V 37, X 4, XLVII, 4 et des dizaines d'autres), les versets punissables par la législation française se comptent par dizaines. Bien sûr, çà et là, quelques propos d'amour et de paix ont été glissés pour donner sa pitance à quiconque serait pressé d'ignorer la fange restante. Que valent des textes qui savent complaire au pacifiste comme à la brute, au faible comme au puissant qui l'opprime, à la femme comme à l'homme qui la domine ? Textes experts en psychologie, la Bible et le Coran ne doivent leur pérennité qu'à une réelle habileté à proposer un discours polysémique, garanti pour passer les siècles. Le discours religieux est d'abord l'art de la manipulation.
L'histoire des religions, leur bilan, est à l'aune de leur base théorique : l'Inquisition, les Croisades, l'islam guerrier et conquérant, la coopération de l'Église catholique avec les régimes fascistes du XXème siècle, les théocraties islamiques, le désert intellectuel et scientifique qui touche actuellement la grande majorité des pays frappés par l'islam, tout cela est connu. L'inquisition de Torquemada, le pape Urbain II qui lance la première croisade, les Wahhabites du XVIIIème siècle, Ben Laden et le rabbin Ovadia Yosef, furent les élèves pieux et appliqués des injonctions bibliques et coraniques. Cohérence totale donc de la pratique religieuse avec les textes fondateurs.
Tout cela a-t-il changé aujourd'hui, les religions ne pourraient-elles pas se racheter par l'astuce de l'interprétation des textes, expliquer qu'on a mal compris pendant vingt ou quatorze siècles, persuader de comprendre "amour" quand il est écrit "haine" ? Jean-Paul II y avait répondu en rappelant que les athées sont des "insensés" (Audience générale du 14 avril 1999 donnée au Vatican), confirmant la haine et le mépris bibliques. Parier sur la réforme d'une religion, et son adaptation aux valeurs de liberté et d'égalité, est une idiotie à laquelle s'abandonnent l'immense majorité des commentateurs à chaque nomination d'un nouveau pape. Benoît XVI savait que la modernisation d'une religion est une fissure dans le dogme, et que les réformes la changeraient en crevasse, en gouffre.
Quel respect alors pour les religions ? Quel respect pour le Coran qui ordonne au mari de frapper sa femme (sourate IV, verset 34 ou 38 selon les traductions), qui décide que la fille n'héritera que la moitié de son frère (IV, 12), qui précise quand et comment frapper l'incroyant (VIII 12, XLVII 4, XVIII 28) ? Quel respect pour l'Ancien Testament qui n'a, pour tout projet législatif, que la loi du talion (Deutéronome : 19.21 et 25.12) et la lapidation (Deutéronome : 13.7-12, 17.2-7, 21.21, 22.21, 22.24), et dont les massacres exigés par le concept fantaisiste de "dieu" s'étirent en une pénible litanie (Lévitique : 10.2-3, 20.1-5, 20.9-16, 21.9, 24.16-17, 26.14-39, 27.29) ? Quel respect pour le Nouveau Testament qui accumule les prodiges irrationnels, ordonne aux femmes de se taire dans les assemblées (1 Cor 14, 34-35), présente le légendaire Jésus comme un individu apportant le glaive plutôt que la paix (Matthieu 10,34) et prêt à séparer des familles pour constituer sa secte (Matthieu 10, 35-37) ? Poser la question est y répondre.
Respect des croyances
Juridiquement, l'irrespect des religions est souvent admis dans les décisions de justice, du moins en France. Mais qu'en est-il de la croyance, c'est-à-dire aussi bien le contenu de la croyance que l'acte de croire, cette attitude personnelle qui consiste à accorder du crédit à une opinion sans l'exigence de se justifier par la force de la preuve ?
Comme précédemment pour les religions, aucune croyance, quelle qu'elle soit, ne peut bénéficier du respect a priori sans qu'elle soit soumise à un examen attentif de son contenu. Croire qu'un individu a marché sur l'eau, qu'un autre s'est élevé au ciel sur un équidé ou qu'un troisième fit reculer la mer, sont des stupidités dont on doit pouvoir librement se gausser. Imposer le silence face à ce qui demeure des imbécilités tordantes, les présenter comme des monuments de sagesse ou demander d'accéder à l'essence de la croyance plutôt que demeurer rivé au fait avancé, sont une piètre défense de l'indéfendable par de tristes diversions. Si l'examen rationnel d'une opinion religieuse la juge erronée, ridicule, ou hilarante, taire ce jugement consisterait, en pratique, à enterrer la liberté de débattre sous une montagne d'ouvrages de théologie. Le glaive du respect impose donc, en pratique, un mutisme complet.
En amont du contenu de la croyance et sans se préoccuper du contenu de celle-ci, que dire de l'acte de croire ? Si la stupidité d'une croyance la soustrait à toute marque d'estime, l'acte mental qu'elle constitue devrait-il néanmoins bénéficier de plus d'indulgence ? Avant de dire ce qu'est "croire", il faut préciser ce que "croire" n'est pas : croire n'est pas penser de façon déductive ou inductive. La pensée, en tant que résultat d'un processus, n'est pas un état qui frappe l'individu de façon instantanée comme la croyance, sans considération pour l'avant ; elle résulte d'une construction mentale et ne se réduit pas à une simple sensation. Le souci de justification est constitutif de l'acte de penser. La croyance, elle, n'a que faire de sa justification par la force de la preuve. Elle est un état qui se suffit à lui-même et ne souhaite pas se confronter aux éléments qui la fondent (la Terre est plate, la résurrection de Lazare, la réapparition de Ganesh avec une tête d'éléphant, etc.). Croire relève de la sensation, du besoin, du pari. Pas de la réflexion logique et argumentée. Le mystique ne se soucie pas de prouver sa croyance ; elle suffit à la satisfaction de ses nécessités psychologiques du moment. L'acte de croire est un placebo pour le confort qu'il apporte, et la notion de "dieu" un artifice ad hoc.
L'Assiette au Beurre, 12 janvier 1907
Respect des croyant-e-s
Si les religions et les croyances ne méritent aucune bienveillance, les adeptes peuvent-ils quand même bénéficier d'un peu de considération par les athées ? L'argument du respect des croyant-e-s, systématiquement avancé quand sont rappelés l'obscurantisme et l'autoritarisme des religions, est en fait l'ultime étape juridique pour restaurer le délit de blasphème.
En contrepoint, jamais les militants communistes ou les partisans du capitalisme n'ont menacé de plainte pour stigmatisation ou racisme quiconque pratique une critique acerbe de leur système politique, et il y en a de virulentes comme dans tout système démocratique reposant sur la liberté d'expression. Pourtant, ces convictions, qui façonnent la conception du monde de leurs défenseurs, peuvent être fortes, intimes, et représenter l'engagement d'une vie (qu'il s'agisse du militant ouvrier ou du patron).
Ce qui est dit des communistes ou des capitalistes peut évidemment être étendu à n'importe quelle catégorie d'individus dont une pratique est contestée radicalement par un autre groupe (exemples : les footballeurs professionnels et leurs salaires exorbitants, les conducteurs de 4x4 et le gaspillage d'énergie associé, etc.), et jamais, fort heureusement, l'argument de la stigmatisation n'a été avancé pour faire taire les contestataires.
Les mystiques, par contre, mériteraient plus d'égards par respect, antiracisme, amour du prochain ou autre forme voilée de censure. Derrière ce statut d'exception se terre le présupposé que les adeptes des religions seraient nécessairement vertueux du fait des mythes auxquels ils s'abandonnent, et nécessairement tolérants et bons par le message d'amour parait-il inclus dans les textes rabâchés. Si les croyant-e-s invoquent le respect, ce n'est pas tant en raison des vertus manifestées mais, plutôt, en raison de leur difficulté à convaincre de les posséder, parce que leur passion pour l'amour est souvent conditionnée à l'appartenance au groupe, que la colère de certains est immense dès que leur foi passe sous le grill de la critique ou de la moquerie, que quand d'autres expriment une préférence nationale, certains optent pour une préférence confessionnelle dans une hiérarchie des êtres très clairement exprimée tant dans la Bible que dans le Coran (IV 143, V 56 et LX 1 et 9).
En résumé, les croyant-e-s ont droit au même respect que n'importe quel individu mais le fait de croire ne saurait leur conférer une respectabilité spécifique. Sauf à considérer les mystiques supérieurs aux rationalistes.
Respect du droit de croire
Pourtant, dans ce jeu de massacre sur le respect non dû aux religions, il est un droit qui ne peut être contesté. Si la plus grande irrévérence doit pouvoir être manifestée à l'égard des croyances religieuses, s'il est essentiel que la polémique soit portée contre l'autoritarisme de toutes les religions, si le caractère instantané et émotif de l'acte de croire mérite d'être distingué de la démarche de la pensée, il n'est serait pas acceptable que soit limité le droit de croire à ce qui peut sembler bon pour inventer un sens à sa vie et de pratiquer les rituels associés.
Les bénéfices psychologiques de la croyance sont parfois réels : douceur de vie apportée par l'indolence intellectuelle du refus de la force de la preuve, sentiment d'être désiré ou considéré par une haute autorité vaguement localisée dans un monde suprahumain, confort du communautarisme par le regroupement entre semblables. La vie est complexe, ses épreuves nombreuses, son parcours inattendu, et les réponses à ses questionnements ne sauraient être dirigistes : chacun-e doit pouvoir être libre de confectionner le placebo de son choix, ou d'en adopter d'autres définis au cours des siècles passés. Le droit de croire et d'exprimer sa religiosité doit donc être garanti. De façon plus générale, et plus banale aussi, ce n'est finalement qu'une composante de la liberté de pensée et de la liberté d'expression.
Note :
Les références utilisées sont :
- pour la Bible, les traductions de l'Alliance Biblique Universelle (nouvelle édition révisée 1997) et de Pierre de Beaumont (Fayard-Mame 1972) ;
- pour le Coran, la traduction de Kasimirski (GF-Flammarion 1970).
12 août 2014
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