Manifestation du centenaire de la loi de 1905 :
le service d'ordre de la Libre Pensée rejette des manifestants
L'appel à l'unité des laïques qu'avait lancé la Libre Pensée pour la manifestation du 10 décembre avait suscité la méfiance habituelle dans de nombreuses organisations. Depuis sa captation par le Parti des Travailleurs (PT), la Fédération Nationale de la Libre Pensée (FNLP) montre un égocentrisme inquiétant, une phobie de l'altérité et un refus systématique d'adhérer à des dynamiques impulsées par d'autres organisations non marquées du sceau lambertiste. La FNLP ne participe qu'aux évènements dont elle est à l'initiative, toujours placés hypocritement sous la thématique de l'unité des laïques. Unité oui, mais sous sa bannière. En 1996, quand une manifestation unitaire est organisée à Paris contre la venue de Jean Paul II en France, la Libre Pensée s'isole à Reims, dans un colloque. Début 2003, un appel est lancé à Jacques Chirac contre une révision de la loi de 1905 mais la Libre Pensée ne s'y associe pas. Deux ans plus tard elle reprend le mot d'ordre, seule, comprenne qui pourra ! En 2003-2004, elle continue à se démarquer des autres défenseurs de la laïcité en s'opposant à une loi contre les signes religieux à l'école. Et en 2005, la Libre Pensée est tout autant absente de la campagne unitaire pour le "non" de gauche au TCE. Quant à son secrétaire général, Christian Eyschen, il veille à ne participer quasiment qu'à des conférences organisées par et pour la Libre Pensée et ses fédérations départementales. La peur de l'autre, le refus de la confrontation qui parfois enrichit, atteignent ici des sommets. La promotion de la pensée libre, celle qui se nourrit de la diversité, se perd dans les limbes de la parole sacralisée du trotskisme. La pensée libre, oui, mais à condition qu'elle soit bien encadrée...
Pourtant, la méfiance devant le sectarisme du Parti des Travailleurs n'avait pas détourné de nombreuses organisations de la participation à la manifestation du 10 décembre, date anniversaire de la loi de 1905. Elles avaient ainsi eu l'intelligence politique de jouer la carte de l'unité en mettant sous le boisseau leurs divergences. La FNLP fut très gênée du succès de son appel, plus habituée, dans sa solitude, à s'identifier à la Cause pour mieux ignorer les innombrables autres défenseurs de la laïcité. Une ultime saloperie avait alors été insérée dans l'appel aux laïques pour la manifestation : le classement des organisations signataires en distinguant les associations laïques des autres, les indésirables étant placées dans une catégorie de second rang. Toutefois, après de vives protestations, l'UFAL avait pu être réintégrée parmi les associations laïques mais d'autres sont demeurées dans la seconde catégorie.
Il convenait donc d'opérer une fracture en rejetant physiquement ces nouveaux arrivants qui avaient pourtant montré leur aptitude à l'union. C'est une solution musclée qui a été adoptée : un cordon d'isolement, plutôt que de sécurité, séparait les manifestants adoubés par la Libre Pensée de ceux indésirables, l'Union des Familles Laïques, la Fédération Anarchiste, l'Association Des Libres Penseurs de France, Laïcité Ecologie Association, le CREAL et d'autres organisations. Ségrégation binaire, élus contre réprouvés, image représentative de l'auto-enfermement de la Libre Pensée verrouillée par le PT. La Libre Pensée avait d'ailleurs laissé entrevoir ce rejet dans son communiqué de presse du 14 novembre où elle menaçait très clairement l'UFAL d'une exclusion.
A l'opposé des manœuvres souterraines et des non-dits du PT, la Fédération Anarchiste clamait haut son athéisme, la seule attitude cohérente et émancipatrice face aux religions. Radio Libertaire avait, le matin de la manifestation, rappelé la nécessité d'un militantisme véritablement antireligieux. S'il est une voix nécessaire dans le combat contre les religions, c'est bien celle, sans maître, de la Fédération Anarchiste.
Les banderoles de la Fédération Anarchiste le 10 décembre 2005
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Les gros bras du PT qui constituaient le cordon de sécurité sont à la pensée progressiste ce que les aboiements d'un bouledogue sont au chant du rossignol. Hermétique, la ligne opposée par une quarantaine d'hommes séparait les "bons" militants des "mauvais". Agressif, sourd à toute discussion, le service d'ordre montrait le comportement habituel des CRS qui n'attendent que l'ordre du chef pour charger et expulser une agressivité longtemps contenue. Et parmi les parias ainsi insultés, une membre de l'UFAL s'est heurtée au machisme du SO tenu en laisse par un chef à oreillette. Les échanges entre cette militante et les bouledogues libidineux attestent de la hauteur de leurs convictions :
- Si je passe, tu me casses la gueule ?, demande la jeune femme.
- Non, pas toi, pas avec de si beaux yeux. Avec toi, on fait autre chose.
- C'est une menace de viol ?
- Non, c'est l'amour, aboie le bestiau.
La Libre Pensée s'appuie donc sur une escouade de machistes pour rejeter les autres militants et se bercer de l'illusion qu'elle serait le meilleur, car le seul, rempart contre le cléricalisme.
Mais le machisme exprimé dans les rangs des chiens de garde de la FNLP n'est pas une observation nouvelle. Le 1er octobre, en préparation de la manifestation, la réunion organisée à la Mutualité à Paris comportait 10 intervenants, tous masculins. Dans son communiqué de presse du 18 septembre, Christian Eyschen, le vrai ordonnateur de la manifestation, s'abandonne à un jeu de mots puéril en transformant le prénom d'une collaboratrice de la lettre électronique Respublica : Lucette Jeanpierre devient sous sa plume énervée "Sucette" Jeanpierre... Le problème de la récupération de la Libre Pensée par les lambertistes réside précisément dans son secrétaire général. Sourd à toute alternance au sein de la Libre Pensée, à tout débat interne, à toute écoute extérieure, Eyschen verrouille la situation à un point tel que la libre pensée, en tant qu'attitude intellectuelle, est vidée de sa substance par l'autoritarisme d'un chef d'une autre époque.
En excluant de nombreuses organisations, en les ignorant dans le compte rendu de la manifestation qui sera publié dans son mensuel, la Libre Pensée sert la soupe à Xavier Ternisien, journaliste au Monde friand d'attaques calomnieuses contre l'UFAL. Le recours aux gros bras du PT révèle aussi des méthodes que n'auraient pas désavouées les staliniens. Pour les membres de la Libre Pensée qui pratiquent véritablement la pensée libre et qui ne reconnaissent ni dieu, ni maître, et ils sont très nombreux à ne plus supporter la situation actuelle, il y a urgence à opérer un renouveau de l'organisation, à rompre avec l'autoritarisme du chef et sa rigidité au service d'un PT groupusculaire autant qu'inutile et paralysé par la phobie de l'autre, de la différence, si minime soit-elle. Il incombe aux membres de la Libre Pensée de désigner de nouveaux responsables qui ne seront plus les dépositaires d'un pouvoir absolu. Autant dire une révolution rue des Fossés-Saint-Jacques à Paris...
13 décembre 2005
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