Le Bouton de nacre

Patricio Guzmán

2015





Film après film, Patricio Guzmán construit une œuvre entièrement vouée à la dénonciation de l'abomination que fut la dictature de Pinochet. Dans son premier opus, magistral, La Bataille du Chili, il examinait le processus par lequel la bourgeoisie avait souhaité l'imposition du régime militaire contre la présidence de Salvador Allende, obtenue démocratiquement. Le Bouton de nacre est sa dernière production et, comme dans son film précédent Nostalgie de la lumière, le propos ne porte pas exclusivement sur les années de la dictature mais s'élargit à d'autres perspectives. Dans Nostalgie de la lumière, Guzmán révélait sa fascination pour l'extraordinaire ciel nocturne de son pays qui a conduit à l'implantation de plusieurs observatoires astronomiques. Pendant que les scientifiques observent le ciel, des familles recherchent, dans les mêmes déserts, les restes de leurs proches assassinés par la DINA ou autres sbires de la dictature.

Le Bouton de nacre est un hommage à une autre composante du Chili, sa population autochtone de l'extrême sud. Les peuples Selknam, Yaghan et Kawesqar ont été victimes de l'expansion de l'Église catholique et des colons européens avides de terres pour y élever du bétail. Guzmán exhume les photographies extraordinaires prises par Martin Gusinde au début du XXème siècle en Terre de Feu, et il s'entretient avec Gabriela, une dame très âgée de l'ethnie Kawesqar. Mémoire de son peuple, elle connaît à la perfection le dédale des canaux patagons. En quelques mots, sans discours pontifiant, Guzmán fait apparaître une société sans rapport avec la nôtre dans un échange émouvant au cours duquel il demande à Gabriela la traduction en langue kawesqar de quelques mots. A ceux usuels de la vie quotidienne succèdent ceux, plus essentiels, qui caractérisent plus fondamentalement une société : dieu, police, comment dit-on cela dans la langue des Kawesqar ? Après une courte réflexion, Gabriela se rend compte qu'il n'en existe pas de traduction : "Nous n'avons pas ça". Ni monothéisme, ni police chez les Kawesqar.



12 décembre 2015

    Contact