L'odeur de sang des monothéismes
Michel Onfray
Texte extrait, avec l'autorisation de l'auteur, du livre de Michel Onfray, La philosophie féroce, Galilée 2004, un ouvrage énergique très salutaire car à contre-courant des conventions actuelles, l'auteur se moque des censeurs de tous ordres. Des "Exercices anarchistes" à conseiller vivement.
On fustige parfois mon antichristianisme agressif au motif que la France ne serait plus catholique et que je tirerais sur une ambulance, activité inutile et incertaine... Or je crains l'inverse : la moindre adhésion aux pratiques rituelles de terrain - encore que... - se double d'une soumission viscérale aux idéaux chrétiens qui travaillent le corps et l'âme du plus grand nombre comme jamais. Cette religion apparemment absente détermine encore les pensées, les comportements et les réactions avec la complicité d'une laïcité qui singe à s'y méprendre les valeurs bibliques.
En revanche, si je dois confesser un tort en matière d'antichristianisme militant, c'est mon européanocentrisme, voire ma position franco-française. Il me faudrait en effet élargir et fustiger moins le catholicisme apostolique et romain que toutes les modalités du monothéisme - dont sa version papiste locale... Car le judaïsme, le christianisme et l'islam pourrissent pareillement la vie de millions d'individus sur la planète ; ils fomentent des guerres, des conflits, des haines dirigées contre soi, les autres et le monde ; ils prêchent l'amour du prochain et sabrent à qui mieux mieux.
La religions monothéistes communient dans une même foi : la vie sur terre est une fiction ; seul compte un arrière-monde peuplé de créatures à faire pâlir les contes d'enfants - un dieu qui voit tout, un barbu qui fend la mer en deux, une vierge qui enfante, un mort qui ressucite, un prophète abstène détestant la charcuterie ; le corps est une punition ; la femme, une catastrophe ; l'enfantement, une nécessité pour perpétuer la négativité au nom de laquelle on nous châtre; la pauvreté, la misère, la mort des enfants, la souffrance procèdent d'un plan dont on ignore le détail, mais qui a ses raisons ; etc.
Quand cessera-t-on d'enseigner ces balivernes tout juste bonnes pour les marmots ? À quel moment dirons-nous que ces histoires à dormir debout valaient il y a des siècles, à l'époque de la pensée magique, mais qu'elles font honte aujourd'hui à l'humanité de l'homme ? Qui se lèvera pour inviter à récuser les religions et à célébrer les activités intellectuelles qui en appellent à la raison, à la déduction, à l'intelligence ? Quand pourrons-nous rejouer la Révolution française, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, Mai 68, autant d'occasions offertes aux hommes pour arracher leur destin aux mains des prêtres afin de le réapproprier ?
Les monothéismes détestent également les individus qui ne sacrifient pas au même Dieu qu'eux. Intolérants, jaloux, exclusifs, arrogants, sûrs d'eux, dominateurs, ils s'érigent en loi pour autrui. D'où leurs complicités de toujours avec les guerriers, les soldats, les militaires - du sicaire payé par les tribus primitives au terroriste surfant sur le Net, en passant par les armées régulières de tant d'Etats... Du sacrifice d'Abraham aux fatwas islamiques en passant par le goût des crucifixions, des martyres et autres guerres saintes catholiques, les monothéismes vouent un culte au sang et à la mort.
Qu'on en finisse avec ces religions du meurtre et de la haine cachée derrière un verbe de paix et d'amour du prochain. Si les hommes demandent des fictions pour vivre malgré le trépas, qu'au moins ils les cherchent puis les trouvent dans un registre où l'on n'invite pas à supporter la mort en mourant de son vivant ou en l'infligeant partout autour de soi. En augmentant la négativité on n'a jamais fabriqué de positivité. La vie se vit et se construit en résistant aux pulsions de mort contre soi, les autres et le monde, pas en y consentant comme y invitent les trois religions du Dieu unique...
19 mai 2004
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