Qui est Thomas Milcent ?
La face peu cachée de "Docteur Abdallah"
Le 7 février 2004, Thomas Milcent exhorte les jeunes filles à résister face à la loi contre les signes religieux à l'école
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Converti à l'islam en 1980, le médecin strasbourgeois Thomas Milcent est devenu le héros d'une jeunesse musulmane en mal d'idolâtrie. Son créneau n'est pas le labyrinthe de l'exégèse ou l'impasse de l'humanisme dans l'islam, encore moins la modernisation de l'enseignement de Mahomet ou la suppression des mutilations sexuelles. Non, son credo, sa passion, c'est le textile : défendre coûte que coûte le port du voile islamique à l'école. On a les combats qu'on peut. Et sa dernière trouvaille est l'appel à la grève des élèves pour refuser le renvoi de l'école de quelques jeunes filles voilées à la rentrée 2004 - 2005 (Le Monde 25 juin 2004).
Thomas Milcent, né en 1958, est titulaire d'une thèse soutenue en 1992 à Strasbourg, L'OMS : l'aide humanitaire et l'Afghanistan, et placée sous une dédicace insolite : "À Dieu, Créateur de l'Univers, Maître du Jour du Jugement. C'est de Toi que nous venons et c'est vers Toi que nous reviendrons." Mais la thèse traite plus de géopolitique que de médecine et c'est au cours d'un de ses voyages en Afghanistan qu'il se convertit à l'islam. Lors de son audition par la Commission Debré le 1er juillet 2003, Milcent raconte cette rencontre mystique :
"Après mon bac, j'ai pris un an de congé sabbatique pour partir sur la route des Indes
et j'ai passé pratiquement un an en Afghanistan. C'était l’Afghanistan du temps de
Daoud Khan, avant le coup d’Etat communiste. Je suis tombé amoureux de ce pays et de ses
habitants. J'y ai noué de très grandes amitiés. Puis, il y a eu le coup d’Etat communiste
prosoviétique et l'invasion russe. J’étais étudiant en médecine. Les médecins ne pouvant pas
travailler, avec des amis nous avons commencé à collecter des médicaments et du matériel
médical. Nous les avons acheminés là-bas et nous avons vérifié que, sur place, les médecins
les utilisaient. J’ai ainsi fait 14 ans d’aide humanitaire pendant mes études. Un jour, en
1980, alors que je convoyais du matériel médical, j'ai été pris sous un feu très nourri.
C’étaient des rideaux d'artillerie qui se rapprochaient et il était impossible de fuir. Vous
pensez alors : « Dans cinq minutes, c'est pour moi ». C'est comme cela que la foi m'est
venue pensant qu’il valait mieux mourir musulman que mourir athée. Je suis devenu
musulman."
Quelques compléments indiquant une autre orientation pour ces voyages "humanitaires" sont utilement apportés par un article de Cédric Simon paru dans News d'Ill de novembre 2001 (Centre universitaire d'enseignement du journalisme à l'Université Robert Schuman de Strasbourg). Au cours de ses convois de médicaments, Milcent fait la rencontre d'islamistes dont il ne jugera pas utile de se distancier (lire l'article au format html ou pdf) :
"Sur leur chemin, ils [Milcent et ses amis étudiants engagés dans l'action humanitaire au sein de l'association Action Internationale Médicale Efficiente] croisent les médecins de l’Aide médicale internationale (AMI). Les objectifs sont les mêmes, les méthodes divergent. « Ils nous ont reproché de travailler avec des islamistes alors qu’eux travaillaient avec la résistance royaliste, se souvient Thomas Milcent. Notre principal souci était l’efficacité et les combattants du Hezb-i-Islami de Gulbuddin Hekmatyar nous semblaient les plus efficaces pour acheminer les médicaments vers les lignes de front. » Des islamistes qui s’engagent alors à ne faire aucune discrimination pour les soins.
Année après année, les moyens de l’Aime augmentent. L’association obtient un financement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et compte bientôt une soixantaine d’étudiants qui ne sont plus exclusivement strasbourgeois. Mais l’aventure va prendre fin avec le retrait des troupes soviétiques en 1989 qui marque le début de la guerre civile. « Les Afghans commençaient à se battre entre eux et pour nous ça devenait compliqué... Et puis il fallait qu’on pense à notre diplôme. »"
L'islam afghan d'Hekmatyar comme source d'inspiration pour le médecin converti, voilà qui devrait rassurer ses disciples actuelles sur la pureté de son islamité. Dans sa thèse, Milcent présente Hekmatyar sous des traits étonnants : le chef du Hezb-e-Islami apparaît comme un démocrate (pages 62 et 153) alors qu'il refuse que l'ONU agisse en observateur du processus électoral (page 63). L'auteur marque une neutralité bienveillante, sinon une déférence, constante à l'égard du chef islamiste, dont il évoque aussi sa pratique de la guerre sainte (page 36). Et la collaboration entre l'AIME et les troupes d'Hekmatyar réjouit naturellement Docteur Abdallah (page 142) : "L'acheminement [de l'aide médicale] du Pakistan en Afghanistan est assuré gratuitement par la logistique militaire du Hezb Islami de Monsieur Hekmatyar." Le tableau plein d'espérance que dresse, en 1992, Milcent de l'Afghanistan (page 153) révèle une dramatique incapacité à prévoir le chaos qui va s'installer dans les années suivantes : celui qui se voudrait analyste politique cède ici la place au croyant aveuglé par sa foi. Milcent admet d'ailleurs qu'il connaît personnellement "les dirigeants de premier plan de la Résistance" (page 154).
Gulbuddin Hekmatyar est l'un d'eux et s'est illustré dans le combat contre l'Union Soviétique, soutenu alors par les États Unis d'Amérique du fait de ses liens étroits avec le Pakistan du général Zia ul-Haq. Hekmatyar souhaite l'instauration d'une République islamique et, pendant la guerre civile qui suit le départ des soviétiques (1992 - 1996), obtient le poste de Premier ministre avec Burhanuddin Rabbani comme Président. Mais le fou d'Allah, financé par le trafic de drogue, montre surtout que son "efficacité" tant louée par Milcent ne se limite pas au transport de pharmacie mais s'étend aussi à l'artillerie : afin d'assiéger Massoud, ministre de la Défense et son ennemi juré depuis l'époque soviétique, il ordonne le bombardement de Kaboul en 1994 et laissera la capitale en ruines. L'efficacité fut telle (25 000 morts) que le désastre permit l'accession au pouvoir des Talibans en 1996. Hekmatyar s'enfuit ensuite en Iran mais en est chassé et finit par revenir en Afghanistan en janvier 2002. Actuellement, le chef sanguinaire est recherché par le gouvernement de Hamid Karzai pour crimes de guerre. Sans oublier les atrocités commises contre les femmes par Gulbuddin Hekmatyar et ses sbires du Hezb-e-islami : jets d'acide contre les femmes non voilées, viols, meurtres (pour le détail de ces exactions, voir le site de Droits et démocratie, une organisation émanant du gouvernement canadien, et un rapport d'Amnesty International de 1995).
Lorsqu'il n'est pas en mission en Afghanistan, Thomas Milcent, qui cultive aussi une proximité avec le Milli Görüs, un mouvement islamiste turc, s'engage dans la bataille du voile. En 1989, lors de l'affaire de Creil, il est membre du Bureau de la Fédération nationale des musulmans de France, un poste qu'il quittera en 1992 à la fin de son mandat. Sous son nom de converti "Docteur Abdallah", il publie en 1994 un argumentaire pour défendre le voile à l'école : "Le foulard islamique et la République française : mode d'emploi", disponible sur internet au format PDF. Membre de l'équipe du site oumma.com, il y écrit de nombreux articles sous la signature bien immodeste de "homme de science". Le mirage d'un islam dont le livre dit saint serait aussi un traité scientifique demeure encore très présent dans l'imaginaire obscur de l'islam contemporain. Se présenter comme "homme de science" ne vise rien moins qu'à s'inventer une notoriété par le très classique argument d'autorité dont tout scientifique sait pourtant la nocivité. Abdallah Milcent est aussi très présent sur les forums d'oumma.com où les vertiges de la foi l'abandonnent à désigner les incroyants par le terme de kaffers (oumma.com 11 juin 2004), effrayant symbole du mépris absolu envers la race inférieure des incroyants et de leur mort programmée à la gloire d'un dieu vengeur.
Entre autres sujets publiés sur oumma.com, Abdallah Milcent défend avec enthousiasme la circoncision avec des arguments de boucher (oumma.com 10 mai 2000) : s'ils craignent la douleur de l'opération, que les convertis "se consolent en se disant que le Prophète Abraham se l’est fait lui même avec un cailloux tranchant à l’âge de 70 ans quand Allah le lui a ordonné et naturellement sans anesthésie". Au motif qu'"il est difficile de trouver une musulmane pratiquante qui acceptera de se marier avec un non-circoncis" et qu'"une étude américaine montre que les femmes de mari circoncis font moins de cancers du col de l’utérus que les femmes de mari non-circoncis" (quelle étude ? quand a-t-elle a été publiée ? par qui ?, l' "homme de science" Milcent devrait savoir que ce genre d'argument ne vaut que par l'indication de ses références précises), la circoncision apparaît donc naturelle et doit être pratiquée le plus tôt possible : "pas de souvenirs, geste plus facile du point de vue technique, cicatrisation plus rapide." Du grand art. Le couteau dans une main (et le Coran dans l'autre ?), Docteur Abdallah pratique les circoncisions "uniquement sous anesthésie locale".
En dépit de son goût, empreint de nostalgie, pour les pratiques les plus barbares, Thomas Milcent n'est pas relégué au rang d'obscur illuminé mais a eu l'honneur d'être entendu par la Commission Debré de réflexion sur les signes religieux à l'école. Probablement grisé par ce qu'il considéra être une marque d'estime, le médecin strasbourgeois s'est hâté de diffuser son allocution sur oumma.com malgré la réserve qui devait accompagner ces discussions. Mais son texte n'y fit qu'une brève apparition, remplacé par un prompt mea culpa (oumma.com 7 juillet 2003) : "A la demande de la Mission d’information sur les signes religieux à l’école, les auditions étant à huis clos, j’ai supprimé toutes les informations sur les propos échangés dans l’attente de leur éventuelle publication dans le rapport de cette mission. Je n’avais pas compris qu’il m’était impossible de publier sur ce sujet et en conséquence, je m’excuse auprès des personnes que j’ai pu ainsi choquer." Le texte de son entretien avec la Commission Debré est disponible sur le site de l'Assemblée nationale. Milcent avait aussi été invité auparavant à l'émission de télévision Ça se discute le 9 mai 2001.
Le basketteur converti Tariq Abdul Wahad donne l'accolade à Thomas Milcent lors de la manifestation du 17 janvier 2004.
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Mais la promotion du voile musulman se fait avant tout sur le terrain, avec les barbus et les femmes voilées. Thomas Milcent devient alors le "conseiller" de familles éplorées, persécutées par l'islamophobie galopante... Ainsi à Thann (Haut-Rhin), en octobre 2003, Docteur Abdallah soutient une fillette de douze ans dans son refus obstiné d'enlever le voile, ce qui n'a toutefois pas empêché son exclusion. Milcent participe aussi à la manifestation du 17 janvier 2004 organisée par le Parti des Musulmans de France, le groupuscule raciste de Mohammed Latrèche. Il récidive le 7 février 2004 en apportant sa contribution à la calamiteuse manifestation contre l'islamophobie. Le maintenant fameux Docteur Abdallah y a pris la parole sous la pluie pour exhorter les jeunes filles à résister à l'enlèvement du voile en précisant qu'il leur faudra néanmoins être prudentes. Le téméraire autant qu'altruiste médecin a ajouté qu'il sera toujours à leurs côtés pour aider, par ses conseils "techniques", à contourner adroitement la loi. Tant de générosité fut saluée par d'enthousiastes "Allah akbar".
Quelques semaines après, Milcent participe au colloque de ses amis de l'Union des Organisations Islamiques de France organisé au Bourget du 9 au 12 avril pour, là encore, prôner la "résistance". Une UOIF qu'il connaît bien puisqu'il a été élu en avril 2003 au Conseil Régional du Culte Musulman d'Alsace sur une liste conjointe de l'UOIF et du Milli Görüs, un mouvement qui contrôle la plus grande mosquée de Strasbourg. Ce succès lui a permis d'obtenir une place au Conseil d'Administration du Conseil Français du Culte Musulman où il est en charge de la commission Organisation. Enfin, le coup de grâce est donné dans Le Monde du 25 juin 2004 où, sous la plume toujours sibylline de l'inébranlable Xavier Ternisien, Thomas Milcent appelle au boycott de l'école. Fort de son statut de juriste autoproclamé, il demande que les parents d'élèves refusent d'envoyer leurs enfants à l'école si une jeune musulmane s'en voit l'accès refusé pour cause de port de voile islamiste. Un discours paradoxal quand l'argumentaire principal des pro-voile réside au contraire dans le refus que les élèves ne puissent plus suivre les cours, ce qui est précisément ce que propose Milcent.
2 juillet 2004
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