L'anticléricalisme de Prosper Mérimée




De Prosper Mérimée on connaît surtout Carmen au détriment de ses nouvelles et de ses pièces de théâtre qui sont quelque peu occultées par la brune andalouse. Partageant l'athéisme et l'anticléricalisme de ses parents, l'inspecteur des monuments historiques a saupoudré plusieurs de ses histoires d'un anticléricalisme où le prêtre comme Jésus et "Dieu" ne bénéficient pas des aimables portraits distillés dans l'obscurité des églises.

Les nouvelles

Dans Carmen et treize autres nouvelles (Folio), l'anticléricalisme n'occupe jamais une part majeure mais s'invite souvent dans de brèves évocations. Ainsi, Histoire de Rondino donne à voir la scélératesse d'un prêtre qui dénonce à l'autorité un hors-la-loi ami des pauvres. Dans H.B., l'auteur dresse le portrait posthume d'un de ses amis qui estimait que "Ce qui excuse Dieu, c'est qu'il n'existe pas". Prêtres et royalistes ne sont, pour celui-ci, que des hypocrites. D'ailleurs, la profession de prêtre peut ne pas être toujours sincère. Dans Il viccolo di Madama Lucrezia, c'est contre son gré qu'un jeune homme est destiné à cette profession contre nature. Il ne s'en libèrera que par l'amour. Le thème de l'amour interdit aux prêtres apparaît aussi dans L'Abbé Aubain : un curé s'éprend de la conscience féminine qu'il est censé accompagner sur la voie du salut. En dotant le prêtre de sentiments réellement humains, c'est l'Eglise qui, incidemment, apparaît comme responsable de bien des vies brisées par l'imposition du célibat et de la chasteté.

Les superstitions catholiques n'échappent pas à la sagacité de l'auteur. Arsène Guillot met en scène une jeune femme pauvre et dévote qui demeure dans une détresse matérielle comme sentimentale malgré un don à saint Roch. Mais celui-ci, ingrat ou impuissant, "n'avait point payé au centuple l'offrande qu'on lui avait adressée". Sur le même thème de l'inefficacité du surnaturel chrétien, la dévotion à la Vierge est ridiculisée dans Les sorcières : en ayant chacune sa Vierge qu'elle place au-dessus des divinités concurrentes, chaque ville ignore la voisine et de la réalité de son influence... La multiplicité des idoles réduit le pouvoir de chacune à néant.

Prosper Mérimée ne limite pas ses flèches aux seuls curés mais les dirige aussi avec humour vers le fondateur mythique de la secte chrétienne. Dans Federigo, un habile joueur de cartes, c'est-à-dire un tricheur, héberge Jésus qui, en remerciement, lui offre d'exaucer ses vœux. En proposant les mêmes services qu'Aladin et sa lampe magique ou tout autre avatar de Merlin l'enchanteur, Jésus est relégué au rang d'un banal magicien qui, finalement, sera berné.

Enfin, Une exécution présente des dévotes royalistes qui perdent toute crédibilité par leurs propos dénués de la moindre fiabilité, un crucifix n'y est qu'une "hideuse image" tant le dolorisme est figuré avec une application malsaine, et l'irréligion apparaît comme un facteur aggravant pour le suspect destiné au supplice. Le narrateur se présente d'ailleurs lui-même comme impie.

Le théâtre

L'opposition à la religion n'affleure, dans ces nouvelles, que ponctuellement. Plus féroce et irrévérencieux, le Théâtre de Clara Gazul (Folio) sonne une charge continue contre l'idée de Dieu, l'Eglise, les prêtres. Pas de quartier semble nous dire l'écrivain. Présentées comme émanant d'une certaine Clara Gazul, qui n'a jamais existé que dans l'imagination de Mérimée, ces petites pièces sont tout à la fois drôles, romantiques et mécréantes. Dans sa notice sur Clara Gazul, l'auteur glisse sa haine des dominicains et fait de son auteure inventée une femme honnie par l'Eglise. Elle revendiquerait une ascendance non chrétienne mais mauresque et sa vie aurait été contrariée par un tuteur ecclésiastique. Le ton est donné dès la présentation.

Ecrit en 1829, Le carrosse du Saint-Sacrement met en scène l'impétueuse Perichole dont les frasques et les caprices se jouent du vice-roi comme de l'Eglise. Elle inspirera, bien plus tard, Jacques Offenbach. Berné par la comédienne, le vice-roi s'épuise en jurons "Vive Dieu !", parfois en écho à "morbleu". L'indomptable Perichole est une fausse dévote qui ne va à la messe que pour impressionner l'assistance. Dans une belle leçon sur l'hypocrisie des riches, la Perichole obtient de son amant benêt qu'elle s'y transporte dans son luxueux carrosse. Alors que son arrivée dans l'église cause un scandale par son manque de discrétion, l'évêque s'abstient d'une ferme admonestation pour la pardonner bien vite : elle lui fait don du carrosse. A l'hypocrisie précédente s'ajoute maintenant la vénalité des hommes d'Eglise ! Pour achever le portrait d'une Eglise corrompue, Mérimée décrit un évêque aux penchants lubriques quand il prend la main de la Perichole au retour au palais royal, une attention bien peu chaste. Sans oublier auparavant, au détour d'une conversation, d'évoquer la conversion des autochtones au catholicisme.

Autre pièce, autre charge, nettement athée cette fois dans Le Ciel et l'enfer. Don Pablo est athée et condamné à mort pour avoir écrit un pamphlet contre l'Etat et l'Eglise. Le prêtre confesseur de sa dulcinée, lui, boit et fume. Mais Mérimée use du pouvoir infini de l'écrivain pour réserver une fin heureuse aux amants : le prêtre inquisiteur est tué. Le couple est enfin débarrassé de l'infâme. D'autres flèches, plus ironiques, sont aussi adressées contre l'Inquisition dans La femme est un diable.

Pourtant, tous les prêtres ne sont pas totalement mauvais et peuvent apparaître sujets à des sentiments humains. L'occasion confronte un prêtre à l'amour, le sacerdoce n'ayant pas été pour lui une vocation mais une contrainte. Hélas, même dans cette situation inédite, il est cause de malheurs : ses deux prétendantes décèdent, l'une par accident, l'autre par suicide.

La plume de Prosper Mérimée est toujours alerte et elle use d'un mot typique du vocabulaire anticlérical : la "monacaille" est fustigée dans Les Espagnols en Danemarck. La religion n'y est que superstition et les moines sont des assassins et des fous qui font honte à leur pays : "Je voudrais que l'on fît une loi en Espagne pour défendre à tous les fous de se faire moines, exceptés aux fous d'amour. Ce serait le moyen de diminuer le nombre des couvents; et, s'il en restait encore, cela donnerait une bonne idée de nous aux étrangers."

Manipulation, superstition, argent, fausseté, sexe, totalitarisme, violence, le festin antireligieux est total chez Mérimée.


Un site du Ministère de la Culture sur Prosper Mérimée


1er février 2007


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