Présentation de la thèse de Benoît Mély in absentia


La question de la séparation des Eglises et de l'école dans quelques pays européens
(Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie)
1789-1914


11 octobre 2003, La Sorbonne, Paris




Il est des thèses dont la soutenance se réduit à une formalité terminale qui, sans surprise mais avec respect, sanctionne plusieurs années de travaux sérieux et appliqués. L'évènement vécu le 11 octobre 2003 à La Sorbonne s'est hissé bien au-delà de ce genre d'épreuve administrative pour, aux côtés de la rigueur et de l'érudition universitaires, ajouter une intense émotion en témoignage de la personne du candidat et de ses engagements : Benoît Mély était décédé en juin et la présentation de sa thèse a constitué le meilleur des hommages.

Le jury l'a reconnu à l'unanimité : Benoît Mély a réalisé un travail extraordinaire qui mérite d'être considéré comme une œuvre. Une œuvre magistrale tant par son érudition que par la qualité des analyses et la quantité de travail fournie. Benoît Mély, qui est aussi un militant laïque, a su conserver cette distance vis-à-vis du sujet qui assure de l'indépendance d'une analyse dépassionnée. Le militant se confond avec le professeur de collège qu'il était : entré en 1971 à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm, il a obtenu l'agrégation de lettres classiques en 1974 ; sa thèse de 3ème cycle intitulée Jean Jacques Rousseau un intellectuel en rupture est publiée en 1985 et il s'oriente en 1991 dans des études sur les sciences de l'éducation, manifestant ainsi un attachement fondamental à son métier d'enseignant. En 1995 il publie un livre sur Taslima Nasreen et un autre suivra sur Giordano Bruno. Et c'est sous le regard du cardinal de Richelieu, quasiment contemporain de Bruno, que son étude a été présentée, Richelieu qui fut l'exemple absolu de la confusion du dogme religieux et du pouvoir politique.

La thèse de Benoît Mély traite de la question de la laïcité scolaire dans quatre pays européens (France, Angleterre, Allemagne et Italie) afin de se départir d'une opinion trop francophile et, par une étude comparative, distinguer les influences comme les moteurs qui ont conduit à l'éloignement des religieux des systèmes d'éducation. La réflexion de l'auteur a distingué trois axes :
(1) Qu'en est-il de la singularité française, est-elle une réalité ou le résultat d'un égocentrisme national ?
(2) Peut-on postuler une unité des mouvements de déconfessionnalisation observés dans ces quatre pays ?
(3) Quelle place occupe la séparation de l'Eglise et de l'école dans la modernité ?
Pour ce faire, Benoît Mély a organisé son étude en partant du legs de l'histoire, il poursuit avec le débat éducatif élaboré par Condorcet qui sera ensuite remplacé par l'alliance du Trône et de l'Autel de 1815 à 1850, et, enfin, il examine la politique de séparation qui se fait jour pour se concrétiser par la lutte pour la laïcité de l'école publique.

Guidé par le souci constant de l'exigence et de l'exhaustivité, Benoît Mély accompagne son propos de nombreuses sources législatives et n'hésite pas à s'instruire des situations en Angleterre, Allemagne et Italie dans leurs langues respectives. Ses compétences littéraires, et son écriture claire et maîtrisée, servent idéalement ses analyses historique, philosophique et politique ; il produit ainsi une impressionnante somme interdisciplinaire. L'auteur montre la même aisance dans la connaissance de Saint Augustin que de Kant, Fichte ou Condorcet. L'histoire des idées trouve dans le travail de Benoît Mély une contribution de référence comme l'ont rappelé à maintes reprises le président du jury, le directeur de thèse et les deux rapporteurs.

Passée au crible d'un travail aussi riche, l'exception dite française s'évanouit pour céder la place, non pas à la prééminence d'une autre nation, mais à des spécificités propres à chacun des pays étudiés. Il y a une spécificité française comme il y en a une anglaise, allemande ou italienne, et elles ne sont pas réductibles à une dichotomie entre un bloc catholique et un bloc protestant. Certes, la France comporte les singularités de 1789, avec la redéfinition de l'autorité, et 1905 mais c'est dans le Traité de la tolérance de John Locke paru en 1689, comme il le rappelle dans sa conclusion, que figure, en latin, une des premières demandes de séparation entre l'Eglise et l'Etat. L'unité européenne du mouvement de laïcisation de l'école apparaît, quant à elle, peu cohérente ; mieux vaut parler comme l'auteur d'un champ général commun lié à la politique européenne scolaire plutôt que d'un camp laïque qui demeurerait identique par delà les frontières. Benoît Mély, en fin connaisseur des doctrines chrétiennes, est fondé à affirmer que la sécularisation ne trouve pas ses origines dans le catholicisme ni dans la Réforme. Sa naissance résulte de l'opposition au pouvoir clérical dans l'esprit des Lumières. Et pour ne pas s'abandonner à un manichéisme réducteur, Benoît Mély n'oublie pas de nuancer l'opposition effective entre les Eglises et les Etats : celles-ci et ceux-là ont souvent eu besoin les uns des autres...

Dans cette thèse exceptionnelle on retiendra que le factuel et l'interprétatif coexistent pour une juste appréhension de l'histoire de la laïcité scolaire : c'est la collaboration du militant fin observateur du milieu éducatif dans lequel il évolue et de l'érudit qui sait user de la référence aux anciens. En outre, c'est avec beaucoup de discernement que l'auteur est parvenu à passer de la force du détail à l'analyse globale sans verser dans la généralisation hâtive du cas particulier mais en décelant ce que le détail a de plus représentatif de la globalité.

Benoît Mély était enseignant dans le secondaire et ce travail remarquable par sa richesse et son érudition lui vaut l'accession au titre de docteur de l'Université Paris 5 avec la mention Très Honorable assortie des félicitations du jury. En deux volumes de cinq cent pages, dont soixante de références bibliographiques, Benoît Mély apporte la preuve de la compétence des enseignants du secondaire qui ne sont pas, comme on a pu curieusement le suggérer à la tribune, moins méritants que leurs collègues universitaires.


16 octobre 2003


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