Une messe pour Marie-Antoinette sur la place de la Concorde
Chaque 16 octobre, le formol royaliste s'ébroue au son, non pas du canon,
mais du Kyrie eleison. Ce 16 octobre 2005, les nostalgiques de l'Ancien
Régime se sont rassemblés place de la Concorde à Paris pour honorer la
mémoire de Marie-Antoinette, raccourcie ici même en 1793. Louis XVI avait
mangé la sciure à peu près au même endroit le 21 janvier de cette même
année. Le monarque étant de droit divin, c'est le lien qui asservissait le
peuple à l'idée de dieu, via la cléricanaille, qui était ainsi tranché.
Depuis ces jours funestes, les cardiolâtres entretiennent la mémoire du
boulanger, de la boulangère et du petit mitron dans de poussiéreuses
oraisons funèbres.
Devant la statue dédiée à la ville de Rouen, en face de l'Hôtel Crillon, un
autel a été installé pour l'occasion avec la quincaillerie et les amulettes
habituelles du catholicisme. Un cercueil (vide ?) recouvert d'un drap orné
de fleurs de lys, sur lequel repose une couronne, trône au milieu des
christicoles; des bouquets comportant des fleurs de lys l'accompagnent et
ajoutent une touche noblement champêtre à l'évènement. Quelques paysans très
18e siècle, la fourche à la main, arborent le sacré viscère et ajoutent au
pittoresque. La composition est très chic, un vrai décor de théâtre, genre
spectacle de rue qui sent bon la sacristie. Un portrait de Marie-Antoinette
surveille le bon déroulement du piteux spectacle, dérisoire mortification
d'une clique obsolète. Des torchons qui ne s'aèrent que lors des processions
anti-avortement et des messes de souvenir de la sainte famille sont exhibés
avec fierté : des oriflammes très chrétiens flottent au vent et des drapeaux
hissent haut le cœur vendéen ou se placent sous la double autorité de "Dieu
et le roi, armée catholique et royale", le souvenir viril d'un catholicisme
qui savait se faire respecter. L'assistance chante ou murmure de saints
borborygmes, une partie s'agenouille, le recueillement et l'affliction sont
complets. L'ennui aussi. Une quête tente, sans grand succès, de collecter
quelques fonds. La dîme, c'est l'impôt des pauvres. Le gain aurait servi à
"acheter des chaises pour l'an prochain", boutade évidemment, l'humour des
noblaillons est trop sous-estimé.
La messe a été dite par l'abbé Neri pour "réparer" l'outrage commis par les
révolutionnaires. Se lamenter sur le sort de l'autrichienne ne suffit
pourtant pas, c'est un prompt retour à une France chrétienne et monarchique
qui est souhaité par l'assistance, c'est-à-dire entre 150 et 200 personnes.
Et pour cela il faut prier fort, très fort. Mais la restauration de l'Ancien
Régime peut traîner autant que l'attente a duré jusqu'à aujourd'hui. Pour
faciliter l'action de l'esprit saint et autres fariboles, on entonne moult
cantiques en latin et en français où on invoque le bestiaire immuable du
catholicisme ("dieu", Jésus, Marie, Clovis, etc.), les plus pieux, ou les
plus prévoyants, disposant de leur missel personnel. Pendant que l'abbé Neri
et son collègue excellent dans les litanies soporifiques en latin, un jeune
ensoutané aux cheveux ras affiche une remarquable endurance à
l'agenouillement. Un autre enfroqué semble, lui, sorti directement d'une
caricature de la très mécréante Assiette au beurre.
Le spectacle semble en fait hésiter entre une reconstitution historique
souffreteuse et un carnaval ridicule. Des passants s'arrêtent, ébahis. Que
trouver de mieux qu'une messe royaliste sur la voie publique pour contester
la laïcité ?
23 octobre 2005
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