Extraits de l'interview de Pierre-Henri Gouyon, directeur du Laboratoire
d'écologie systématique et évolution (CNRS),
parue dans la revue La Recherche, n° 292 en novembre
1996 (voir aussi quelques remarques):
Pierre-Henri Gouyon «Le néodarwinisme ne menace pas
l'éthique»
Les individus sont des artifices inventés par les gènes
pour se reproduire.
Ingénieur agronome de formation, Pierre-Henri Gouyon dirige le
Laboratoire d'écologie systématique et évolution
(CNRS). Il est professeur à l'université de Paris-Sud,
maître de conférences à l'Ecole Polytechnique et
chargé de cours à l'Agro (INA). Il a été
«Managing Editor» du Journal of Evolutionary Biology de
1991 à 1995. Avec Jean-Pierre Henry et Jacques Arnould, il est
coauteur d'un ouvrage sur la théorie darwinienne de
l'évolution, à paraître chez Belin.
[...]
La Recherche: Venons-en à l'analyse des résistances au
darwinisme. Elles sont multiples et viennent de loin...
Pierre-Henri Gouyon:
Je pense qu'elles varient moins dans le temps que dans l'espace. La
résistance s'exprime différemment dans le monde
anglo-saxon, où elle revêt la forme du créationnisme,
et dans le monde latin. Le créationnisme anglo-saxon, qui revient
à la lettre du récit biblique, me semble lié à
une répulsion totale à l'idée de descendre des
singes. Pourquoi se fixer sur les singes? On descend aussi des poissons...
Le créationnisme touche une bonne fraction de la population
américaine. Si Reagan l'a défendu avec tant
d'énergie c'est parce qu'il y voyait l'électorat
derrière. Le créationnisme n'épargne pas les
universités. Il concerne une forte proportions des
étudiants, et je ne serais pas surpris qu'on trouve des
créationnistes chez les mathématiciens.
La Recherche: En France le créationnisme ne semble
guère répandu ailleurs que chez les témoins de
Jéhovah.
Pierre-Henri Gouyon:Oui, mais les résistances au
néodarwinisme qu'on rencontre en France ont tout de même
une parenté avec le créationnisme, car elles sont le plus
souvent liées à la religion. Les opposants au
néodarwinisme que j'ai pu rencontrer au cours de débats,
y compris le professeur Schützenberger, m'ont toujours paru
fortement impliqués dans les affaires religieuses.
La Recherche: Le néodarwinisme menacerait-il la
religion catholique?
Pierre-Henri Gouyon: Dans la variante latine des
résistances au darwinisme, l'épouvantail n'est pas le
singe, ni l'évolution elle-même, mais la
génétique. Le protestantisme admet plus facilement que le
catholicisme une certaine prédétermination du sort des
gens. Pour l'Eglise catholique c'est largement ce que l'individu fait
durant sa vie qui détermine s'il sera sauvé ou pas. Ce
n'est peut-être pas un hasard si la génétique s'est
développée d'abord dans les pays protestants et a surtout
rencontré des résistances dans les pays catholiques. Ce qui
a du mal à passer chez nous, ce n'est pas le phénomène
évolutif mais le fait qu'il y ait une information qui se transmet
à travers nous et qui dans une certaine mesure décide
à notre place.
[...]
La Recherche: Revenons à la religion. Néodarwinisme
rime-t-il avec athéisme?
Pierre-Henri Gouyon: Absolument pas, il n'y a pas
d'incompatibilité. Je travaille avec un théologien
catholique, Jacques Arnould, qui est tout a fait néodarwinien. Il
pense qu'il serait temps que la hiérarchie catholique comprenne
qu'il n'y a pas d'incompatibilité, à condition de revoir un
certain nombre de points de théologie. Le problème
théologique posé par l'existence du mal me paraît
autrement plus difficile à intégrer que l'existence des
gènes.
[...]
Remarques:
Une fois de plus nous nous heurtons dans ce dernier paragraphe à
l'argument classique que la science et la religion ne s'opposent en rien
car se plaçant sur des plans différents. Ce point de vue
très à la mode et très confortable (il évite
l'affrontement donc l'effort) est bien entendu repris par le
clergé qui voit dans ces auteurs des alliés
inespérés.
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