Le cœur de Louis XVII à la basilique de Saint Denis

L'éternelle alliance du sceptre et du goupillon




À défaut d'être porteur d'un projet d'avenir, les royalistes aiment à fouiller le passé afin d'assouvir le besoin d'expiation de l'époque contemporaine. Les commémorations de Louis XVI (21 janvier) et Marie-Antoinette (16 octobre) sont l'occasion de rappeler les douceurs de l'Ancien régime dans ce cadre si chrétien dont les despotes ont toujours su être les alliés stratégiques. Le 8 juin 2004, jour anniversaire possible de la mort en 1795 de celui qui n'est jamais devenu Louis XVII, le cœur supposé, ou ce qu'il en reste, de celui-ci a été déposé dans la crypte de la Basilique de Saint Denis, ultime domicile des rois de France.

La veille, une cérémonie religieuse avait été célébrée en l'église Saint-Germain l'Auxerrois, dans le 1er arrondissement de Paris, en l'honneur du vase qui le contient et en présence de la famille "royale". Le lambeau de chair attribué au Dauphin, dont la validité est contestée par d'autres royalistes, a ensuite été ramené le lendemain à la basilique de Saint Denis où il était exposé auparavant. Fascination pour le morbide et goût maladif pour les reliques, l'évènement a donné lieu à une cérémonie religieuse le 8 juin à 10 h en présence du nonce apostolique Fortunato Baldelli et de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture ! L'après-midi, à 15 h, le dépôt du morceau de viande dans la crypte fut le prétexte à de nouvelles émotions pour cette frange archaïque de la population française. Le non-évènement a été suivi sur un grand écran par 200 à 300 personnes à l'extérieur de l'église, où alternaient les badauds et les monarchistes.

Soucieuse d'accueillir cet hôte de marque avec les honneurs qui ne lui sont pas dus, la basilique, propriété d'une République qui s'oublie assez fréquemment, avait revêtu ses plus beaux atours : une cape bleu ciel ornée de fleurs de lys trônait dans l'église et une moquette de même couleur était étendue dans l'allée centrale ainsi que sur le parvis. Surestimant l'intérêt porté à l'évènement, les organisateurs, ou la Préfecture de police, avaient protégé l'accès à la basilique par une double rangée de barrières, barricade bien inutile pour une assistance curieuse plus que fascinée...

La cérémonie relativement courte a débuté par un extrait de la première lettre de "saint" Paul aux Colossiens qui exhorte à croire en la résurrection, comprendre la résurrection de Louis XVII et de l'Ancien régime. Bien que l'officiant en ait appelé fréquemment à la lumière des princes, ce sont plutôt les ténèbres de l'obscurantisme chrétien qui s'abattent sur la ville de Saint Denis. Devant le prétendant à la couronne Louis-Alphonse de Bourbon, qui aime à se faire désigner sous le nom de "Prince de Bourbon, duc d'Anjou", et une assistance pétrie de nostalgie et de ressentiment, le prélat ordonne : "pour tous les défunts de cette famille, prions le Seigneur". Admirable compassion pour une lignée d'oppresseurs. Mais le religieux, dans son assistance aux déshérités de la foi, inclut aussi les mécréants dans ses prières : "pour tous ceux qui n'ont pas la consolation de la foi, prions le Seigneur". Ceux-ci étant désespérément plus nombreux que les précédents, la magnanimité de l'ecclésiastique n'est pas si surprenante, rien n'est plus motivant que l'abondance d'âmes à convertir pour un agent de l'Église.

Une cérémonie plus complète ayant déjà eu lieu le matin, il était inutile de reproduire les mêmes simagrées et toute la confrérie se mit en marche vers les profondeurs de la crypte pour y déposer le cœur. Le "prince de Bourbon" avançait en tête des paroissiens disciplinés, à la suite de l'officiant. À n'en pas douter, l'exiguïté de l'endroit dut provoquer moult frissons aux descendants de la couronne, se figurant marcher sur les pas de la sainte famille au Temple ou errer dans les catacombes. L'imagination et l'exaltation du souvenir ne sont pas les plus mauvaises alliées pour inventer à la royauté un calvaire mythologique. Une fois les personnalités descendues dans les bas-fonds du catholicisme, le prélat s'est adressé directement à Louis XVII par "Sire" et a confirmé l'inscription de l'Église dans le sillon des monarques : "nous regardons toujours les rois comme des êtres de lumière". Puis, dans ce cénacle restreint, il s'est autorisé à vomir une déclaration trop longtemps contenue :"avec ce petit morceau de cœur, ce sont tous les combattants de Vendée, les martyrs de la Révolution, tous ceux qui ont voulu dire non à la barbarie organisée" qui sont ainsi célébrés. Alléluia ! Le mot est lâché : 1789 est résumé en une "barbarie organisée". On imagine sans peine le tressaillement d'allégresse des cœurs monarchistes. Louis XVII dans la crypte est ainsi un "signe d'espoir" (pour le retour de l'Ancien Régime ?) et le souhait (ou l'annonce ?) de "la victoire de la croix sur le péché". Les croisades et le bûcher ne sont pas loin. Plus de deux siècles d'histoire et de progrès sont balayés sans frémir par un catholicisme revanchard dans un bâtiment qui est aussi propriété de la République laïque...

Après le prêche, bref mais dense, la procession devant l'amas informe d'hémoglobine est pour chacun l'immense privilège d'approcher le faux roi et, pourquoi pas, dieu aussi dans le même mouvement. Peu après, le départ en voiture du "prince" donnera lieu à une escorte surnaturelle : son véhicule sera précédé de motards et suivi d'une voiture de la police !

À quelques pas de là, un groupe de royalistes imbibés de bière et de haine pour le cours de l'histoire chantent des "chansons françaises". Brandissant un drapeau orné de fleurs de lys et du dessin d'un dauphin (l'animal, pas le gamin), ils s'écrient "Vive le roi, à bas la République". Deux dames âgées affichant les mêmes sympathies capétiennes réagissent, mi outrées mi amusées : "Oh ! Ça, ce n'est pas bien." Les ivrognes poursuivent, aidés par la bière et l'arrogance :

"Vive le roi, à bas la République !
Vive le roi, la gueuse on la pendra,
Et si on ne la pend pas, on lui cassera la gueule."



Mais dans ce fatras d'archaïsmes, de haine des acquis de la Révolution et de soumission aveugle à l'idée de dieu, une voix discordante s'est néanmoins faite entendre. Devant la mairie de Saint Denis, en face de la basilique, des affichettes ont relevé l'insupportable acceptation de l'évènement par la République : "une République qui honore un dauphin est un parc d'attraction."


8 juin 2004

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