Just a kiss
Ken Loach
2004, fiche technique
Ken Loach n'en finit pas de réaliser des œuvres fortes et justes. Après Raining Stones et les ravages de l'Angleterre sous Thatcher, le somptueux et révolutionnaire Land and freedom, l'épopée latino-américaine de Carla's song, le naufrage prévisible de la privatisation des chemins de fer anglais dans The navigators et le court métrage de 11'09''01 September 11 où le 11 septembre est aussi celui de 1973 et du coup d'Etat de Pinochet contre Allende, l'excellent Just a kiss s'ajoute à cette longue liste par son réalisme remarquable et son courage à aborder avec justesse le communautarisme et le racisme entretenus par les religions.
Traiter la question des barrières qui séparent ceux adeptes de religions différentes n'est pas chose aisée et Ken Loach a réussi le défi de montrer qu'elles peuvent et doivent être forcées, contre l'avis de la famille, de l'employeur ou des religieux. Casim est anglais, il travaille comme DJ et rêve de créer sa propre discothèque mais sa famille est originaire du Pakistan et en a conservé les habitudes conservatrices. Roisin est enseignante, catholique, libre et indépendante. Casim aime Roisin et Roisin aime Casim. Pas une passion passagère mais un lien fort qui ne saurait être brisé par leurs environnements réactionnaires. Car la famille de Casim a tout prévu pour lui : le mariage avec une cousine pakistanaise qui fera le voyage en Angleterre spécialement pour la présentation et l'agrandissement du domicile familial pour accueillir les futurs époux. La sœur de Casim est une élève brillante et entend elle aussi décider seule de son avenir : elle veut suivre des études de journalisme et, donc, quitter le domicile familial. La communauté et l' "honneur de la famille" passant avant les projets et le bonheur personnels, le père oppose une négation ferme aux souhaits de la jeune fille ; elle restera à Glasgow avec ses parents. Le projet secrètement entretenu par Casim et Roisin ne recevra pas un meilleur accueil : se marier avec une blanche est une trahison à la famille, à l'islam.
Roisin, bien que libre, voit de même sa carrière soumise au bon plaisir du curé local dont l'agrément est nécessaire à sa titularisation dans le collège public où elle enseigne. En l'espace d'une phrase, Ken Loach relève la situation ahurissante qui consiste, pour un établissement public, à dépendre de l'avis de responsables religieux catholiques censés juger la bonne moralité des enseignants ! Roisin, indépendante autant que volontaire, sait ce qu'elle veut et le choix est vite fait entre l'injonction d'un curé autoritaire à quitter Casim et la liberté de choisir sa vie.
Ken Loach réussit à dresser le portrait de deux êtres attachants qui savent dépasser les incompatibilités de leurs propres convictions religieuses pour aller à l'essentiel : eux. La controverse théologique se résume fort judicieusement à une brève discussion, l'essentiel n'est pas de se positionner par rapport aux mythes mais de voir ce que chaque être recèle de bon et de positif en son sein. Au diable les curés dogmatiques et les barbus habitués de la mosquée ! Just a kiss est LE film que chaque collège et lycée devrait programmer à la rentrée : d'un esprit positif, il oppose le bonheur voulu, et obtenu, par deux personnes contre la norme archaïque dictée par la famille ou l'environnement social. Les religions ne prospèrent que sur la négation du bonheur individuel mais les personnages courageux de Ken Loach sont plus forts et outrepassent la paralysie imposée par les monothéismes.
3 septembre 2004
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