La culture, un alibi pour détourner la laïcité
conférence donnée à Lille le 5 juin 2004 au colloque de la Libre Pensée
Droits des cultures, droit à la culture, principes philosophiques, enjeux politiques et juridiques
1/ La religion n'est pas réductible à la culture
La question des rapports entre la culture et la religion est une question très actuelle à une époque où le discours religieux est en train de louvoyer pour chercher son chemin. Il cherche une route qui offrirait de nouvelles perspectives pour un redéveloppement de l'activité évangélisatrice. Il convient donc de décrypter le discours religieux quand il s'intéresse à la culture.
Ce qu'on désigne habituellement par culture religieuse est en fait une collection de composantes non fondatrices des religions : elles en sont une conséquence dans les habitudes de vie des croyants mais elles ne constituent pas l'essence des religions. Ainsi, on citera comme éléments de la culture chrétienne les vitraux des cathédrales, la musique sacrée ou encore des fêtes familiales comme Noël ou Pâques. Pour l'islam, on parlera de la fraternité du repas pris en famille pendant le Ramadan, les chants soufis ou la calligraphie arabe. On veille bien à n'inclure dans la culture religieuse que les aspects inoffensifs ou les moins inacceptables des religions.
On affecte donc à la culture religieuse des éléments peu cultuels ou qui peuvent en être détachés aisément pour faciliter l'acceptation de la religion. Ce n'est naturellement pas en évoquant l'Immaculée Conception de Marie ou la résurrection du personnage de Jésus qu'on va convaincre le sceptique d'entrer dans une église. Par contre, on l'attirera beaucoup plus facilement en lui présentant tel tableau ou telle marque d'appartenance à une communauté en n'en retenant que l'aspect fraternel ce qui le rassurera. Comme l'indulgence du sceptique ne s'acquiert pas par l'ébahissement devant le surnaturel, on l'obtiendra donc par la considération d'une composante de la religion qu'on qualifiera de culturelle. Il y aura une confusion entre les bases spirituelles et les manifestations de la foi, c'est-à-dire entre, d'une part, les dogmes et l'autoritarisme qui en est la condition de survie et, d'autre part, la pratique des croyants qui, aujourd'hui, n'adhèrent plus qu'à une infime partie du canon.
Ce ne sont pas les bases d'une religion qui définissent une culture ; culture et foi ne sont pas équivalentes et l'une n'est pas incluse dans l'autre. L'assimilation de l'une à l'autre est plutôt le signe d'une conception communautariste où l'individu s'efface devant le groupe. Il n'y a plus d'émancipation individuelle mais priorité à la communauté. On impose à l'individu la culture de sa communauté et la culture perd la liberté qui doit la caractériser. De plus, si on s'accorde pour admettre que la culture a aussi pour tâche d'élever l'individu, de combattre l'obscurantisme, alors la culture religieuse n'y a plus droit de cité. La culture n'est pas figée, elle n'est pas une simple collection d'information, elle est l'instruction de chacun dans sa recherche d'humanité.
Dans la pratique, l'argument de la culture religieuse a pour objectif de maquiller en éléments acceptables ce qui relève de la tradition, les mutilations sexuelles en constituent l'exemple le plus édifiant. Les traditions ne sont pas toutes des marques de civilisation et c'est précisément parce qu'on doit sans cesse œuvrer à la réforme des mentalités et des comportements que certaines traditions doivent être mises à bas. La culture religieuse, au sens de la conservation des traditions religieuses, doit donc elle aussi être rejetée comme facteur d'immobilisme, de conservatisme, voire d'oppression.
Si culture religieuse il y a, c'est une culture mortifère et doloriste où la mort et la souffrance sont non seulement omniprésentes mais aussi élevées au rang de vertus ; ceci pour mieux culpabiliser et asservir le croyant. Les églises sont remplies d'œuvres d'art qui exaltent la souffrance, la crucifixion, le martyre, le malheur. C'est bien de cette culture-là que font implicitement commerce les religieux actuels dans leurs efforts pour ré évangéliser une société qui est de moins en moins soumise à leurs dogmes. La culture n'est invoquée par la religion que quand la force du dogme fait défaut, quand l'opinion publique rejette la confusion du politique et du religieux. Alors, l'Église verse dans une confusion subtile où culture, art et foi sont fondus dans une même entité : en effet, on ne pourrait désormais plus rejeter l'intrusion de la foi en politique sans rejeter la culture et l'art puisque les trois sont liés. On voudrait ainsi faire accroire à la consubstantialité de la culture et de la religion alors que l'une est dynamique, elle porte en elle-même les germes de sa propre régénération, et que l'autre est passéiste, engoncée dans le culte du passé et de la représentation du passé.
En fait de culture, ou d'instruction, les religions ont toujours défendu qu'on les examine sous des aspects anthropologiques, sociologiques, historiques et bien sûr scientifiques. Un exemple récent a été donné avec le blâme et les menaces de procès à l'encontre d'un enseignant de classe de 5ème qui avait dit quelques vérités peu honorables sur le personnage de Mahomet et les débuts de l'islam. On voit donc que la notion de culture religieuse est extrêmement sélective et ne doit servir que la promotion des religions, elle n'a pas une fonction émancipatrice mais anesthésiante ou de censure.
2/ La réquisition stratégique de la culture par la religion
Donc, afin de mieux anesthésier son monde, la religion va opérer une réquisition stratégique de la culture. C'est une stratégie dont la finalité est de combattre la laïcité et on va voir maintenant ce qu'en disent des religieux.
Il existe au Vatican un organisme qui est précisément chargé de promouvoir la notion de culture religieuse, c'est le Conseil pontifical de la culture. Dans son texte Pour une pastorale de la culture, les objectifs sont très clairement établis : " il s'agit non seulement de greffer la foi sur les cultures, mais aussi de redonner vie à un monde déchristianisé dont souvent les seules références chrétiennes sont d'ordre culturel. Ces nouvelles situations culturelles à travers le monde s'offrent à l'Église, au seuil du IIIe millénaire, comme autant de champs nouveaux d'évangélisation."
Le texte s'alarme ensuite plusieurs fois de "l'inculturation de la foi", ce faisant il insinue que la perte de popularité du christianisme résulte d'un manque de connaissance du christianisme alors qu'elle est plutôt la conséquence d'une trop bonne connaissance de son histoire.
L'ambition du Conseil pontifical de la culture n'est pas tant de parfaire les connaissances des citoyens sur tel ou tel point de doctrine religieuse que d'atteindre chaque individu dans son élan d'émancipation et d'indépendance : "L'enjeu d'une pastorale de la culture est de restituer l'homme dans sa plénitude de créature 'à l'image et ressemblance de Dieu' (Gn 1, 26), en l'arrachant à la tentation anthropocentrique de se considérer indépendant du Créateur. " On est loin de la simple considération de la religion comme un fait sociologique, il s'agit là de dissuader l'être humain de son émancipation vis-à-vis de l'idée de dieu. La culture religieuse se manifeste alors par un double discours : pour les uns c'est une simple réminiscence historique du passé au nom de laquelle on devrait admettre l'intrusion des religions dans la sphère publique alors que pour les autres, ceux qui en tiennent les rênes, ce n'est rien moins que le prétexte à la captation de nouveaux adeptes.
Le texte poursuit en citant Jean Paul II pour franchir une étape supplémentaire dans la récupération des valeurs : " La dimension première et fondamentale de la culture est la saine moralité: la culture morale ". De religion on est d'abord passé à culture, pour aboutir finalement à la morale : la religion est donc une source de la morale mais elle en est en plus la seule du simple fait que l'inculturation de la foi est à combattre comme cela a été dit précédemment.
Jean Paul II a rappelé une fois de plus son plan conquête en janvier 2004 dans l'Osservatore Romano : "Le milieu culturel constitue un aréopage significatif de l'action missionnaire de l'Église." Il y a profusion de paroles similaires.
Mais il serait erroné de croire que le christianisme est le seul à user de l'argument culturel pour maintenir sa présence. L'islam fait de même avec souvent des conséquences bien plus dramatiques dans l'intégrité physique de chacun. C'est la question des mutilations sexuelles qui sont pratiquées pour des raisons barbares de pudeur et d'honneur. La circoncision et l'excision ne sont pas des expressions culturelles de la relation au corps, c'est de la barbarie, il n'y a pas à débattre de cela. La culture devient là une persécution. Il ne faudrait pas croire que les mutilations sexuelles ne sont, en France, que le fait de praticiens clandestins. Un de leurs promoteurs est Thomas Milcent, de son nom de converti Docteur Abdallah, qui n'hésite pas à justifier cette pratique sauvage. Thomas Milcent a été entendu en 2003 par la Commission Debré et c'est un intervenant omniprésent dans la promotion du voile musulman. Donc rien de clandestin dans le personnage. Rien de clandestin non plus dans la mosquée Addawa située dans le 19ème arrondissement de Paris. C'est une mosquée très fréquentée où, en 2003, on pouvait remarquer une affiche qui informait les fidèles d'une campagne de circoncision en indiquant les coordonnées du responsable. Donc là encore, rien de caché, on perpétue une horreur au motif de la tradition.
La mosquée Addawa n'est pas non plus un endroit obscur géré par un de ces imams qu'on qualifie un peu rapidement de marginal. Elle est dirigée par Larbi Kechat qui est un homme intelligent, excellent orateur, qui sait parfois bousculer son public pour l'entraîner vers un peu de modernité. Mais l'homme a aussi son double langage en invitant des conférenciers pas toujours très recommandables. Les conférences sont données dans une salle au premier étage qui a reçu le nom de Centre culturel de la mosquée Addawa. Deux exemples de cette culture dont la mosquée fait la promotion : en 2003, lors d'une journée consacrée aux droits des femmes, une oratrice voilée a justifié le port de la burka, le voile intégral des talibans, sous le regard bienveillant du recteur. Quelques semaines plus tard, c'est le fasciste Hani Ramadan qui est venu expliquer les délices de la lapidation. Hani Ramadan avait, à cette occasion, été présenté comme un ami par Larbi Kechat. Peut-être la lapidation fait-elle partie de la culture musulmane ?
Dernier point sur la mosquée Addawa qui témoigne de l'habileté de son recteur à se jouer des non musulmans : la reconstruction de la mosquée. Pour ce faire, les travaux sont décrits comme la "Reconstruction du centre socio-culturel et de la mosquée Addawa" alors que l'essentiel de l'activité concerne la salle de prière et pas la salle de conférence. Mais le terme de culturel est nettement mis en évidence. On mesure mieux d'ailleurs la confusion intentionnelle entre activité culturelle et activité cultuelle par le nom de l'association propriétaire des lieux : Association cultuelle islamique.
3/ Les religions contre les cultures autres : l'altérité n'a pas sa place dans l'environnement religieux
Après avoir vu comment la religion récupère à son profit la notion de culture, il s'agit maintenant d'examiner la cohérence et la sincérité de cet attachement. Comment ? En confrontant une religion à des cultures autres. La meilleure preuve de l'attachement à la notion de culture est le respect de la culture d'autrui. Comment réagit une religion face à l'altérité ? La réponse a été donnée depuis les premiers mouvements d'évangélisation : l'altérité n'a pas sa place dans l'environnement religieux. Les innombrables conquêtes du colonialisme religieux sont là pour en donner des illustrations éloquentes, dont la suivante prise en Amérique latine pour le christianisme.
En Colombie, aux confins des Andes et de l'Amazonie, la région de Sibundoy a de tout temps bénéficié d'une situation isolée. Les premiers espagnols ont pénétré le territoire en 1535 et le christianisme commence à faire son apparition une dizaine d'années après. Les noms propres sont hispanisés et un syncrétisme local apparaît en conciliant le christianisme avec les croyances précédentes. Des éléments d'acculturation sont donc perceptibles dès le début de l'arrivée des blancs mais, du fait de la situation isolée et difficile d'accès du territoire, les autochtones jouissent d'un calme relatif pendant trois siècles. C'est en fait au début du 20e siècle que l'invasion blanche commence véritablement avec l'arrivée de missionnaires capucins venus de Catalogne. En quelques décennies, on va assister à une déchéance complète de ce groupe humain, c'est-à-dire une christianisation totale.
La méthode utilisée s'est avérée douloureusement efficace :
- réquisition des terres pour transformer les religieux en puissance économique locale ;
- introduction de la propriété privée qui était inconnue aux Sibundoy et qui permettra de les priver de leurs possessions collectives ;
- réaménagement de l'habitat ;
- imposition de nouvelles habitudes vestimentaires ;
- culpabilisation des mœurs qui ne paraîtront pas suffisamment chrétiennes.
Les capucins agiront en véritables despotes. Les usurpations de terres agricoles vont s'accentuer et les locaux seront peu à peu réduit à un endettement qui les réduira à l'esclavage sans autre issue possible. À cela, il faut ajouter l'installation de religieuses dans des couvents et la construction d'églises, construction par les autochtones non rémunérés évidemment. Avec le christianisme, c'est aussi le recours aux châtiments corporels et l'imposition du mariage aux jeunes dès l'âge de 16 ou 18 ans ; le scandale des mariages forcés n'a pas lieu qu'en terre d'islam mais a aussi été observé en plein vingtième siècle dans une région gérée par des européens. Il n'est donc pas très surprenant qu'on observera des vagues de suicides chez les Sibundoy, ce qui ne suscitera aucune émotion chez les religieux. Vingt cinq ans après le début de la colonisation par les capucins, le nombre d'autochtones a diminué de moitié !
On pourrait aussi parler de l'extermination des peuples de la Patagonie et de la Terre de Feu évangélisés de force, ainsi que du prosélytisme agressif que subissent les Huicholes au Mexique, par des protestants cette fois. En sachant qu'il n'est pas nécessaire de quitter la France pour trouver d'autres exemples. Ainsi en Bretagne, des mégalithes ont parfois été surmontés de crucifix pour les détourner de leur identité première.
Si les missionnaires sont légions dans les rangs du christianisme, ils ne sont pas moins nombreux dans l'islam qui, comme le christianisme, s'est propagé plus par l'usage de la violence que par la force de la prédication pacifique. Mais le trait le plus marquant en ce qui concerne la détestation par l'islam des cultures non musulmanes est sans doute l'intoxication qui veut qu'avant l'islam était le néant. Il est assez révélateur qu'un mot soit systématiquement associé à cette période : c'est le mot Jahilya, c'est-à-dire de l'ère de l'ignorance, de l'erreur permanente, les ténèbres. D'ailleurs, Mahomet lui-même avait procédé à la destruction physique des idoles antéislamiques. On a ainsi fait disparaître les référents précédents pour mieux convaincre de l'unicité de l'islam. Comme chez les missionnaires catholiques de Colombie, on détruit les marques spécifiques des groupes humains qu'on veut coloniser ; c'est à la mémoire d'un peuple qu'on s'attaque. Et c'est un système qui fonctionne très bien vu le degré d'obscurantisme visible actuellement chez une partie non négligeable de l'islam de France.
Enfin, il faut aussi mentionner que la destruction des cultures autres a atteint le point le plus effroyable avec l'esclavage. La traite des noirs est effectuée au nom de l'islam depuis 1400 ans, c'est-à-dire depuis les origines de l'islam, et le phénomène se poursuit encore à l'heure actuelle, dans un nombre réduit de zones. Les évaluations sont difficiles mais le nombre de victimes est du même ordre ou un peu supérieur à celui de l'esclavage blanc. Comment peut-on convoquer la culture au secours de la religion quand on a si allégrement réduit son prochain au statut de bête de somme, et qu'on en a trouvé la justification dans les textes dits "sacrés ?
4/ Détournement de la laïcité au prétexte de la conservation de la culture religieuse
Les relations entre culture et religion étant clarifiées, comment le prétexte de la culture a-t-il concrètement permis aux religions de détourner la laïcité ?
Le cas sans doute le plus éclairant de ces dernières années est le cadeau de Jack Lang pour la construction de la cathédrale d'Évry, de son nom Notre Dame de la Résurrection. La cathédrale d'Évry a été en partie financée sur fonds publics : Jack Lang avait en effet reconnu qu'il avait "contourné la loi de 1905" en usant d'un artifice illégal, l'attribution d'une subvention à un musée d'art sacré qui devait faire partie du projet et être intégré dans les murs de la cathédrale. Celle-ci a été construite entre 1991 et 1996 mais le musée est toujours dans les cartons. En fait de musée, ce qu'à l'accueil de la cathédrale on présente comme musée est une simple salle d'exposition temporaire. Il n'y a même pas de collection permanente. Et aucune date n'est d'ailleurs fournie pour la réalisation du futur autant qu'hypothétique Centre national pour les arts sacrés ; peut-être attend-on que Jack Lang revienne au ministère de la Culture. Le Conseil Général de l'Essonne, EDF et la RATP avaient aussi mis la main au porte-monnaie pendant les fêtes organisées pour l'inauguration de la cathédrale. Le financement public de ce pseudo musée est une véritable infraction au principe qui veut qu'on ne subventionne pas des bâtiments cultuels avec de l'argent public. Le financement des lieux de culte ne doit pas incomber à des collectivités publiques.
L'implication du ministère de la Culture ayant fonctionné une fois, il aurait été dommage de ne pas tenter l'aventure une nouvelle fois quand il s'est agi de restaurer l'ancien couvent des Bernardins à Paris. La restauration d'édifices religieux est une porte ouverte à l'engloutissement des finances publiques dans des projets qui peuvent être parfois de nature strictement religieuse comme c'est le cas ici. Cet ancien couvent, qui avait été nationalisé à la Révolution, va devenir un institut de théologie au profit de l'Association diocésaine de la ville de Paris. Cette association fait une double bonne affaire : non seulement elle devient propriétaire du bâtiment mais, en plus, il lui sera remis complètement restauré. L'Association diocésaine de Paris n'aura déboursé que 20 % des 13,7 millions d'euros nécessaire aux travaux de restauration. 80 % du budget est assuré par un financement public avec, là encore, le ministère de la Culture en tête avec 40 % à lui seul. Le reste est assuré à parts égales par la ville de Paris et la Région Île de France. Alors que le propriétaire n'est pas l'État mais l'Église et qu'elle en fera un usage prosélyte, le financement est très majoritairement public. La ministre de la culture était Catherine Tasca, en 2000 quand les sources de financements ont été fixées.
Jack Lang n'était pas très loin à cette époque-là puisqu'il était ministre de l'Éducation et qu'il s'activait alors à la promotion de l'enseignement du fait religieux à l'école, un autre moyen frauduleux pour détourner les notions de culture et de savoir à la seule fin d'introduire l'obscurantisme à l'école alors que l'école, au contraire, à pour mission l'apprentissage de la faculté de penser par soi-même.
Mais en fait ni Lang ni Debray n'ont innové puisque l'Institut du Monde Arabe avait déjà eu cette idée lumineuse d'apprendre la religion aux élèves pour parfaire leur culture. L'Institut du Monde Arabe est financé à 40 % par des dictatures musulmanes. À la fin 2001, une exposition livrée par l'Institut du Monde Arabe devait être présentée dans un lycée de Nemours. Pas gratuitement évidemment puisque le lycée devait participer au financement. Devant les protestations des enseignants, l'exposition a été tenue ailleurs, dans un autre bâtiment municipal, mais des visites d'élèves sont restées programmées. Il suffit de consulter les questionnaires qui étaient soumis aux enfants après la visite pour constater que l'argument culturel s'effaçait vite devant la volonté de réécrire l'histoire de l'islam. Ses fondements les plus inacceptables étaient occultés, le sort réservé aux infidèles ignoré et aucune condamnation n'était à attendre de la situation des femmes.
Quant au troisième des monothéismes, le judaïsme, il pratique lui aussi un attachement très variable à la laïcité. Dans la commune de Charenton, près de Paris, la communauté juive a réussi à échapper à la mixité avec les non juifs pendant l'horaire du repas de midi en mettant à la disposition des élèves juifs une cantine spécifiquement cacher. Le transport des élèves vers cette cantine est assuré par la communauté elle-même ; les élèves peuvent donc rester dans un cadre juif et ne pas être acculturés par une cohabitation trop proche avec les autres élèves. On veut bien bénéficier de l'enseignement laïque mais tout en maintenant une distance envers la culture de l'autre.
Comme le prétexte de la culture est international, on se doute qu'il est aussi abondamment utilisé pour conférer un caractère chrétien à l'Union européenne. Le pape multiplie les déclarations dans lesquelles il somme les parlementaires d'insérer dans la Constitution la mention de l'idée de dieu ou de l'héritage chrétien en insinuant qu'il serait exclusivement positif. Jean Paul II n'hésite pas à réécrire l'histoire de l'Europe en affirmant en 2003, à propos de la foi chrétienne, que "certaines de ses valeurs fondamentales ont inspiré 'l'idéal démocratique et les droits humains' de la modernité européenne." Il a poursuivi en précisant sa pensée en disant que "l'Europe est un "concept majoritairement culturel et historique", qui se caractérise comme continent également grâce à la force unificatrice du christianisme, qui a su intégrer divers peuples et cultures entre eux." La fin de cette citation est un mensonge comme cela a été exposé dans le cas de l'Amérique latine. Et pour rester en Europe, il n'est pas sûr que s'inscrivent aussi dans cette unité catholique européenne les athées, les agnostiques, les protestants des Pays Bas, d'Allemagne et des pays scandinaves, les anglicans, les orthodoxes grecs et roumains ainsi que les musulmans bosniaques ou les juifs.
Enfin, en janvier 2003, le Vatican s'est opposé à ce que soient élus des politiciens qui prôneraient l'avortement, le divorce, l'euthanasie, la recherche sur les embryons humains. Il s'agissait de préserver "la culture des comportements sociaux" : " On assiste à des tentatives de législation qui veulent briser l'intangibilité de la vie humaine et qui ne se soucient pas des conséquences qui en dérivent dans la formation de la culture des comportements sociaux pour l'existence et l'avenir des peuples ".
Ces pressions répétées ont déjà porté leurs fruits puisqu'elles ont obtenu que, dans le Préambule de la Constitution, soient mis sur le même plan l'héritage religieux et ceux culturel et humaniste. De plus, en faisant des Églises des interlocuteurs privilégiés dans l'article 51, on ferme la porte à une laïcité à l'échelle européenne. Or l'Europe est une constellation de croyances et d'incroyances et l'Église n'est pas fondée à convoquer le prétexte de la culture pour la rendre catholique.
Les actes du colloque paraîtront fin 2004 dans l'Idée Libre, revue de la Libre Pensée.
8 juin 2004
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