Défense du libre examen
par René Pommier
De tous temps les croyants ont essayé d'empêcher
de s'exprimer ceux qui ne partageaient pas leurs croyances. Pendant des siècles,
les chrétiens, et tout particulièrement les catholiques, n'ont pas hésité à
faire appel à la contrainte en emprisonnant, en torturant et en mettant à
mort les hérétiques et les
incrédules. En plein XIXème siècle encore, le pape Grégoire XVI condamnait, dans
l'encyclique Mirari vos,
« cette opinion absurde et erronée ou plutôt ce délire, à savoir que doit
être revendiquée pour chacun la liberté de conscience ». De nos jours, il
est vrai, on peut sans aucun risque, du moins en France, dire tout le mal que
l'on veut de la religion chrétienne. Mais il n'en est malheureusement pas de
même du judaïsme et de l'islam. On peut être poursuivi en justice, voire
condamné, si l'on se permet de critiquer l'islam ou de se moquer de certaines
pratiques de la religion juive. Certes ! il ne s'agit encore que de cas
exceptionnels. Mais les autorités religieuses juives et musulmanes voudraient
bien, avec parfois l'appui d'organisations comme le Mrap, La Licra et la Ligue
des droits de l'homme, généraliser ces poursuites et obtenir des pouvoirs
publics l'interdiction de toute critique de leurs religions respectives. Et
leurs tentatives en ce sens semblent parfois donner aux autorités chrétiennes
l'envie de les imiter.
Mais, la France étant une république laïque qui,
non seulement ne reconnaît aucune religion, mais garantit à chaque citoyen le
droit de libre examen, les instances religieuses juives et musulmanes ne peuvent
espérer arriver à leurs fins qu'en usant de subterfuges et en essayant de
détourner la loi. On assiste ainsi depuis un certain nombre d'années à une
tentative tous les jours plus impudente d'utiliser, grâce à de grossiers abus de
langage, les principes humanistes de la république pour prétendre leur faire
condamner cela même qu'ils ont pour mission de défendre, la liberté de pensée et
d'expression. C'est au nom du
respect dû à Dieu que les religions entendaient autrefois interdire aux
incroyants de s'exprimer librement. Aujourd'hui c'est au nom des droits de
l'homme. Autrefois on criait au sacrilège, on criait au blasphème; aujourd'hui
on crie au racisme, on crie à l'intolérance.
Bien sûr ! l'hostilité envers une religion peut
parfois relever du racisme. On ne saurait nier qu'un certain nombre de Français
n'aiment pas l'islam, non pas parce qu'ils ont lu le Coran, mais parce qu'ils
n'aiment pas les arabes. Mais prétendre que l'aversion pour l'islam se nourrit
toujours ou presque toujours de racisme anti-arabe, comme le fait notamment M.
Xavier Ternisien dans le Monde du 10 octobre 2003, relève du procès d'intention. Il cite le
journaliste Nasser Negrouche pour
qui l'islamophobie serait « une forme politiquement correcte et
moralement acceptable d'un racisme antimaghrébin traditionnel, qui pousse ses
racines dans le passé colonial français ». C'est certainement vrai, redisons-le,
dans un assez grand nombre de cas, mais ce qui est vrai aussi, et sans doute
plus souvent encore, c'est que beaucoup de musulmans ou d'islamophiles, pour ne
pas dire la plupart d'entre eux, préfèrent penser que ceux qui critiquent
l'islam le font parce qu'ils sont racistes plutôt que d'admettre qu'ils puissent
le faire seulement parce qu'ils jugent la religion musulmane profondément
obscurantiste. C'est là une réaction aussi habituelle que naturelle. Mon
expérience de polémiste m'a appris que ceux à qui l'on reproche d'écrire, de
dire ou de croire des sottises, ont beaucoup de peine à admettre que l'on puisse
réellement et sincèrement penser qu'ils écrivent, qu'ils disent ou qu'ils
croient des sottises. Certains, à l'instar de Roland Barthes, vont même jusqu'à
se persuader qu'on leur reproche, en réalité, d'être trop intelligents. Quoi
qu'il en soit, ils préfèrent généralement prêter à leurs censeurs des
motivations autres que purement intellectuelles et se persuader qu'ils ont, en
réalité des arrière-pensées peu avouables. L'amour-propre cherche toujours
l'explication la plus flatteuse ou la moins blessante. Il est plus flatteur de
se dire qu'on est victime de préjugés racistes plutôt que d'admettre qu'on vous
reproche de croire à des stupidités ridicules.
Quoi que puissent dire
les musulmans et les juifs religieux, il n'est pas besoin d'être anti-arabe pour être
islamophobe ou d'être antisémite pour être judéophobe qu'il n'est besoin d'être
anti-français ou anti-occidental pour être anti-chrétien. Personne ne songe à
accuser de racisme anti-français tous les Français qui, comme moi, nés dans des
familles chrétiennes, ont non seulement perdu la foi, mais affichent leur
irréligion. Tout le monde sait bien, en effet, que ceux qui abandonnent la
religion dans laquelle ils ont été élevés, ne renient pas pour autant leur
famille et leur origine ethnique. Et, lorsque les juifs religieux assimilent
systématiquement toutes les critiques de leur religion à de l’antisémitisme, ils
oublient qu'à ce compte-là, bien des juifs seraient profondément antisémites. Ce
serait notamment le cas de la plupart de mes amis juifs, rationalistes athées,
qui, connaissant mieux que moi la religion juive, éprouvent sans doute pour elle
encore plus d'aversion que moi. Bien qu'ils soient encore peu nombreux, il y a
aussi des arabes qui sont très hostiles à l'islam, et qui, bien sûr, ne sont pas pour autant devenus anti-arabes.
Mais il n'est pas
nécessaire d'être arabe ou juif pour avoir le droit de critiquer l'islam et la
religion juive sans être accusé d'être anti-arabe ou antisémite. Beaucoup de
français de souche sont hostiles à l'islam et à la religion juive et n'éprouvent
pourtant aucune hostilité, aucune antipathie envers les arabes et les juifs. On
peut s'avouer islamophobe non seulement sans être le moins du monde anti-arabe,
mais en étant plutôt arabophile, comme M. Claude Imbert qui a été l'objet d'attaques aussi
odieuses qu'absurdes. Je me sens, pour ma part, profondément, pleinement
islamophobe. Or, bien que j'aie été envoyé en Algérie pour participer aux
opérations dites de maintien de l'ordre, comme la plupart des gens de ma
génération, je n’éprouve aucun ressentiment anti-arabe. Loin d'avoir été un
défenseur de l'Algérie française, j'ai été dès le début partisan d'une
indépendance que je jugeais de toute façon inéluctable. Mon islamophobie ne se
nourrit que de mon aversion pour l'islam qui n'est elle-même qu'une des facettes
d'une aversion générale qui englobe toutes les religions, tous les mouvements
sectaires, et, bien sûr, l'astrologie et toutes les formes d'obscurantisme. Pour
être islamophobe, comme pour être judéophobe, il n'est nul besoin d'être
raciste, il suffit d'être rationaliste.
Mais, de nos jours, hélas
! il n'est nullement nécessaire d'être raciste pour être considéré comme tel.
Autrefois, pour être accusé de tenir des propos racistes, il fallait
effectivement tenir des propos à caractère raciste, c’est-à-dire affirmer la
supériorité ou l’infériorité des individus de telle ou elle origine ethnique. De
nos jours, il suffit d’exprimer une opinion susceptible de déplaire à un groupe
d’individus qui partagent telle ou telle croyance, telle ou telle opinion, tel
ou tel goût ou telle ou telle pratique, mais qui peuvent avoir, par
ailleurs, les origines ethniques les plus diverses. Dans certains cas, il est
vrai, l’accusation de racisme peut n’être que la formulation maladroite, parce
que littéralement impropre, d’une condamnation au demeurant fondée. Il est ainsi
tout à fait impropre d'accuser ceux qui tiennent des propos homophobes de
racisme anti-homosexuel, puisqu’il y a et qu’il y a toujours eu des homosexuels
de toutes origines ethniques. Mais on ne choisit pas plus sa sexualité qu’on ne
choisit son origine ethnique. Il est donc aussi stupide de condamner ou de
mépriser une personne à cause de son homosexualité que de la condamner ou de la
mépriser à cause de son origine ethnique. De la même façon, s'il est évidemment
impropre de parler de racisme anti-jeunes ou de racisme anti-vieux, il n'en est pas moins stupide de dénigrer
quelqu'un à cause de son âge, puisqu'on ne le choisit pas et que tout homme
commence par être jeune et finit par devenir vieux, s'il vit assez longtemps.
Mais, le plus souvent, quand une accusation de
racisme est littéralement impropre, elle est en même temps totalement injuste.
Ainsi, quand les non-fumeurs reprochent aux fumeurs non pas tant de fumer que de
les enfumer, ils se voient de plus en plus souvent accusés de racisme
anti-tabac. Pourtant non seulement les fumeurs ne constituent pas une race,
puisqu’il y a des fumeurs de toutes couleurs de peau et sous tous les climats,
mais un fumeur, s’il ne peut changer de couleur de peau, peut toujours cesser de fumer, même si cela
lui est parfois très difficile, et surtout cesser d’enfumer les autres. Celui
qui lui reproche de l'enfumer est donc pleinement fondé à le faire.
Reconnaissons-le cependant ! si ridicule que puisse être l’accusation de
racisme-anti-tabac, elle ne tire guère à conséquence. L’on n’a encore jamais vu,
et l’on n‘est heureusement pas prêt de voir un fumeur poursuivre quelqu’un en
justice pour racisme anti-tabac.
Il n’en va malheureusement pas de même pour
l’accusation de racisme anti-religieux. Cette accusation repose, bien sûr, elle aussi sur un grossier abus de langage. Assimiler
systématiquement l'hostilité à une religion à du racisme est évidemment absurde
puisque toutes les grandes religions ont des adeptes de toutes origines
ethniques et dans tous les pays et que toutes les ethnies un peu importantes
comptent des individus qui ont d'autres religions que la religion dominante ou
n'en ont pas du tout. Certes l’immense majorité des croyants, pour ne pas dire
la quasi totalité, n’ont pas choisi leur religion qui est presque toujours celle
dans laquelle ils ont été élevés. On peut donc dire que l’on naît chrétien, juif
ou musulman comme on naît blanc, jaune ou noir. Mais, si l’on ne peut changer la
couleur de sa peau, on peut toujours changer de religion ou, ce qui est,
d’ailleurs infiniment plus fréquent, décider de s'en passer. Tous les hommes
disposent, en effet, d’un cerveau d’homo sapiens et, s’il ne nous permet pas de
savoir si notre existence a un sens et lequel, un cerveau d’homo sapiens nous
permet du moins, et cela sans grand effort, de nous rendre compte de la parfaite
ineptie des dogmes et des croyances de quelque religion que ce soit.
Ceux qui ont inventé l'étrange notion de racisme
anti-religieux, prétendent que
critiquer une religion revient à dénigrer, voire à insulter ceux qui la
pratiquent ou à tout le moins à
faire preuve d'intolérance à leur égard. Et certes ! en dénonçant
l'absurdité des croyances religieuses, l'incrédule met nécessairement en cause,
qu'il le dise ou non, qu'il l'admette ou non, la lucidité, le sens logique et
donc l'intelligence de ceux qui partagent ces croyances. On ne peut pas penser que
la foi chrétienne est un tissu de stupidités incohérentes et que cependant le chrétien fait preuve
d'intelligence en y adhérant. Croire à des sottises ne saurait jamais être un
signe d'intelligence. Mais l'incrédule ne considère pas pour autant qu'un
croyant est nécessairement un
imbécile. Comment le pourrait-il ? Les croyances religieuses sont tellement
absurdes que logiquement tous les croyants devraient être de parfaits abrutis
qui n'auraient jamais dû réussir à apprendre à lire et à compter. Or ce n'est
évidemment pas le cas. Non seulement tous les croyants ne sont pas les débiles
profonds que, semble-t-il, ils devraient tous être, mais il y a chez eux, comme
chez les incroyants, à côté d'un certain nombre d'imbéciles et d'esprits
médiocres, beaucoup d'individus incontestablement intelligents, et souvent très
intelligents, voire de très grands esprits. Tous les incroyants connaissent des
croyants qui sont globalement plus intelligents qu'eux, même s'ils semblent
renoncer à se servir de leur intelligence quand il s'agit de leur foi.
L'incrédule peut très bien admirer un croyant, et l'estimer plus qu'il ne
s'estime lui-même.
Cela ne l'empêche pas pour
autant de penser que le croyant raisonne comme un tambour lorsqu'il veut
défendre sa foi. Et on ne saurait lui contester le droit de le dire sous
prétexte que ce serait faire preuve de racisme. Si contester une opinion ou une
croyance constituait un acte de racisme envers ceux qui la partagent, alors on
ne pourrait plus critiquer aucune opinion ni aucune croyance sans tomber dans le
racisme. Il n'y a, en effet, d'opinions et de croyances que parce qu'ils y a des
gens qui les partagent. Toutes les opinions, toutes les croyances seraient donc
également respectables, toutes seraient sacrées, toutes seraient intouchables.
Ce ne serait pas seulement les religions que l'on n'aurait plus le droit de
critiquer, sous peine d'être accusé de racisme anti-religieux, mais les sectes
de toutes sortes, l'astrologie, la parapsychologie, les voyants etc. qui
brandiraient alors contre leurs détracteurs, en lui donnant, bien sûr un autre
nom, l'accusation de racisme anti-obscurantiste. On n'aurait même plus le droit
de condamner le nazisme, car, outre que l'idéologie nazie compte encore quelques
adeptes, ce serait insulter à la mémoire de millions d'allemands qui l'avaient
applaudie avec tant d'enthousiasme
et donc faire preuve de
racisme anti-nazi. On n'aurait enfin plus le droit de condamner le racisme, car
ce serait se rendre ainsi coupable d'une forme de racisme de plus en plus
répandue, et peut-être la plus perverse de toutes, le racisme anti-raciste. Et
comme, manifestement, il y a dans le monde beaucoup plus de racistes qu'il n'y a
de Juifs, il faudrait enfin se rendre à cette évidence que l'on a jusqu'ici
refusé de regarder en face, à savoir que le racisme anti-raciste fait beaucoup
plus de victimes que l'antisémitisme et devrait, pour cette raison, être dénoncé
et combattu avec plus de vigilance encore.
A cet usage abusif et
absurde d'une notion de racisme devenue si élastique qu'elle perd toute
signification et se détruit elle-même, ceux qui prétendent restreindre, voire
interdire, l'exercice du libre examen, ajoutent généralement l'usage non moins
abusif et absurde de la notion de tolérance. Dans les siècles passés, c'étaient
les incrédules, les hérétiques, victimes des persécutions catholiques, qui
brandissaient vainement l'étendard de la tolérance. L'Eglise, quand elle était
toute puissante, avait ce mot en horreur. Quiconque le prononçait, était
aussitôt catalogué comme un hérétique ou un libertin, un ennemi de Dieu et de la vraie religion. Le très mauvais jeu de
mots de Paul Claudel, digne de ceux
de Jean-Marie Le Pen : « La tolérance ? Il y a des maisons pour ça »,
témoigne encore en plein vingtième siècle de la profonde aversion que la pensée
catholique a si longtemps nourrie pour un principe dont Voltaire a été le plus
illustre défenseur. Il est donc particulièrement piquant de voir l'Eglise
brandir maintenant le flambeau de la tolérance.
Mais, si la religion
reprend maintenant le flambeau de la tolérance que brandissaient autrefois les
incrédules, c'est dans une perspective bien différente, pour ne pas dire
diamétralement opposée. Ce que réclamaient, ce que revendiquaient tous ceux qui
au XVIIème ou au XVIIIème siècle invoquaient la tolérance,
c'était la liberté de pensée et d'expression. Ils voulaient avoir le droit de
croire ou de ne pas croire, de parler et d'écrire librement. Ce que réclament,
ce que revendiquent aujourd'hui au nom de la tolérance les porte-paroles des
religions, ce n'est pas le droit, que personne ne leur conteste, de s'exprimer
eux-mêmes librement, mais bien d'interdire à ceux qui ne pensent pas comme
eux de le faire. La tolérance n'est
plus invoquée pour défendre la liberté d'expression, mais pour essayer de
légitimer la censure.
S'il y avait vraiment quelque chose de surnaturel
dans l'histoire des religions, ce serait leur culot. Car ce qu'elles voudraient
maintenant interdire au nom de la tolérance, c'est ce qu'autrefois elles
interdisaient sous peine de d'emprisonnement, de torture ou de mort. Pendant des
siècles elles ont eu recours à la violence pour faire taire les impies et la
religion musulmane ne se gêne pas pour continuer à y recourir dans tous les pays
où règne la loi islamique. Aujourd'hui, là où elles ne peuvent plus faire taire
les impies en employant la violence, elles voudraient les faire taire au nom de
la tolérance.
Si l'on ne peut critiquer une croyance sans
faire preuve d'intolérance à l'égard de ceux qui partagent cette croyance, ce ne
seront plus seulement les grands dogmes religieux, les croyances générales
auxquelles doivent adhérer tous les fidèles d'une religion, mais les croyances
particulières, marginales, celles
que les autorités religieuses ne reconnaissent pas officiellement ou même
qu'elles condamnent, mais toutes les superstitions, fussent-elles les plus
farfelues, qui pourront prétendre échapper à toute contestation. On ne pourra
plus nier des faits dont la fausseté sera pourtant clairement établie par les
témoignages historiques les plus irrécusables ou par les expériences
scientifiques les plus décisives.
On n'en est certes pas encore là et on n'en viendra sans doute jamais là.
Pourtant on peut parfois lire des propos effarants qui pourraient nous le faire
craindre. Ainsi le Bulletin des lettres
a publié il y a deux ou trois ans, un article dans lequel un de ses collaborateurs
s'indignait que l'on pût dire que le suaire de Turin était un faux, alors que
beaucoup de gens l'ont cru et le croient encore authentique. C'était, selon lui,
faire preuve d'intolérance à leur égard. Mais, si tel était le cas, le premier à
avoir fait preuve d'intolérance dans cette affaire a été l'évêque de Troyes qui, lorsque le
suaire est apparu dans son diocèse, a condamné ce qu'il considérait comme une
imposture. Quant à son successeur, il a poussé l'intolérance jusqu'à mener une
enquête qui lui a permis de retrouver le faussaire et d'obtenir ses aveux. Le
pape Clément VII a, lui aussi, fait preuve d'une grande intolérance en
n'autorisant, en 1389, l'ostension
du suaire qu'à la condition
expresse que « les fidèles seront avertis à haute et intelligible voix que
ce n'est pas le vrai suaire qui a enveloppé le corps du Seigneur ». Et que
dire de l'intolérance sectaire du carbone 14, qui, reprenant la thèse soutenue
depuis longtemps par les mécréants, a décrété que le suaire ne datait pas de
l'époque de Jésus-Christ, mais
seulement de celle où il est apparu, le milieu du quatorzième siècle
?
La tolérance consiste à
admettre que les autres puissent exprimer leurs opinions, même quand elles nous
déplaisent. Il est donc pour le moins paradoxal de prétendre les empêcher de le
faire, sous prétexte qu'ils feraient ainsi preuve d'intolérance. Si un chrétien,
un juif ou un musulman ont le droit, et personne ne songe à le leur contester,
de dire tout le bien qu'ils pensent de leur religions respectives et notamment
de prétendre qu'elles ont été instituées par Dieu, les incrédules doivent avoir
le droit de dire tout le mal qu'ils en pensent, eux, et notamment d'affirmer
qu'elles sont une insulte à l'intelligence humaine. Les premiers ont le droit de
nous présenter leurs croyances comme des vérités éternelles et divines; les
seconds doivent avoir le droit de les regarder comme un tissu de stupidités
anachroniques et de le dire sans ménagement. Les premiers ont le droit de nous
dire que les auteurs de la Bible ont été inspirés par Dieu et qu'Allah a dicté
le Coran à Mahomet par le
truchement de l'ange Gabriel. Les seconds doivent avoir le droit qu'ils n'en
croient rien, et que, si cela était, il faudrait en conclure que Dieu et Allah
sont aussi débiles que cruels, Allah, de plus, étant probablement atteint de la
maladie d'Alzheimer, car on a sans doute jamais rabâché autant que lui. On ne
pourrait envisager de demander aux incroyants de se taire ou, du moins d'avoir
recours à la litote, que si les croyants commençaient par en faire autant. Pour
ma part je n'envisagerai de renoncer à employer les termes de sottises, de
stupidités, d'absurdités, de sornettes, de balivernes, de fariboles ou de
foutaises pour qualifier les croyances religieuses, termes que je n'emploie que
parce qu'ils me paraissent être les seuls vraiment adéquats, que le jour où les
croyants cesseront nous dire, eux, que leurs doctrines sont divines, célestes,
sublimes, saintes, sacrées ou surnaturelles.
En attendant, chacun doit
avoir le droit d'exprimer son opinion en toute liberté, ce qui implique que
chacun doit reconnaître le même droit aux autres. Mais cela n'implique
aucunement de tomber dans le relativisme et de se dire que l'opinion de ceux qui
ne pensent pas comme nous est aussi valable que la nôtre. Il est naturel, il est
normal, au contraire, quand on est arrivé à avoir sur un sujet que l'on connaît
bien une opinion arrêtée et que l'on croit fondée, de penser que ceux qui ont
une opinion différente sont dans l'erreur. Il est naturel, il est normal de le
regretter. Mais ce n'est pas une raison pour leur demander de se taire ou pour
essayer de les y contraindre. Tout ce qu'on a le droit de faire, c'est d'essayer
de les convaincre.
Si les croyants pensent
que les incrédules ont tort, et il est normal, il est naturel qu'ils le pensent,
plutôt que de tenter de leur imposer silence, ils devraient tenter de leur
démontrer que ce sont eux qui ont raison. On comprend mal qu'ils préfèrent
éviter le débat en essayant d'obtenir que les incrédules se taisent, alors
qu'ils devraient logiquement se
sentir en position de force et être certains d'avoir aisément le dessus. Si
leurs « vérités » sont, comme ils l'affirment, d'origine divine, si
elles sont effectivement fondées sur des livres que Dieu lui-même a inspirés ou
dictés, si tant de leurs mystiques ont réellement été en communication plus ou
moins régulière avec Dieu, ils bénéficient, en effet, d'un avantage considérable
sur les incrédules, qui ne disposent, eux, d'aucune assistance surnaturelle, et
doivent se contenter d'un simple cerveau humain. Loin de redouter la discussion,
loin d'éviter la controverse, les croyants devraient, au contraire, les
rechercher, ils devraient se montrer sans cesse impatients d'entendre les
critiques et les objections des incrédules pour jouir ensuite du plaisir de les
réduire en poussière, de retourner contre eux tous leurs misérables arguments
fondés sur une logique purement humaine, d'en faire éclater l'inanité et le
ridicule. Au lieu de demander aux incrédules de se taire, ils devraient les
pousser sans cesse à s'exprimer, les inviter à exposer à loisir leurs
objections, les inciter à développer longuement leurs arguments, assurés de
pouvoir ensuite en un instant les tailler en pièces, renverser comme des
châteaux de cartes toutes leurs démonstrations, balayer comme des fétus de
paille tous leurs raisonnements et les acculer bien vite à reconnaître leur
défaite.
Ils devraient se dire
enfin que, de toute façon, même si les incrédules refusent de se laisser
convaincre et persistent dans leurs errements, ils seront bien forcés, au jour
du jugement, de reconnaître qu'ils s'étaient trompés. Le triomphe des croyants
alors sera total et ils auront toute l'éternité pour savourer leur triomphe. Ils
devraient donc n'être guère affectés par les sarcasmes fugaces et les blasphèmes
éphémères des incrédules, et se résigner aisément à leurs ricanements dérisoires
et leurs pitoyables haussements d'épaules. Mais ils ont beau dire que notre
vraie patrie n'est pas ici-bas, que la vraie vie ne commence qu'après la mort,
c'est ici-bas, c'est de leur vivant qu'ils voudraient imposer silence aux
incrédules. Ils ont beau dire que la durée de la vie humaine n'est rien par
rapport à l'éternité, ils n'ont pas la patience d'attendre jusque-là.
Pourtant les incroyants
peuvent d'autant moins accepter de ne pas s'exprimer ici-bas qu'ils n'ont, eux,
aucun espoir de pouvoir le faire ailleurs. Bien loin d'avoir, comme les
croyants, toute l'éternité pour triompher, s'ils ont raison, ils n'auront aucun
moyen d'obtenir de ceux-ci qu'ils admettent leur erreur. Si, comme ils le
pensent, il n'y a rien après la mort, ils seront bien en peine d'obliger juifs,
chrétiens et musulmans à reconnaître que Christ n'est pas ressuscité, non plus
qu'Abraham, Isaac et Jacob, non plus que Moïse, non plus que Salomon, non plus
que David, non plus que saint Pierre, non plus que saint Paul, non plus que
Mahomet, non plus que saint Siphonné ou saint Demeuré, non plus
qu'eux-mêmes.
On ne pourrait commencer à
songer à demander aux incroyants de se taire ou, du moins
d'avoir recours à la litote, que si les croyants en faisaient autant. Et certes
! les chrétiens d'aujourd'hui tendent à être de moins en moins dogmatiques, au
point que les incrédules sont de
plus en plus souvent obligés de leur rappeler à quoi ils sont censés croire.
Beaucoup, en effet, ne croient plus du tout au péché originel, qui est pourtant la clé de voûte de la
foi chrétienne; ils ne croient plus non plus que Marie était vierge; certains ne
croient même plus que le Christ est le fils de Dieu et Dieu lui-même : ils
ne croient plus guère qu'une seule chose, à savoir que « Christ est
ressuscité » et qu'ils iront le rejoindre au Ciel après leur mort. Ils ne croient plus, et encore tant bien
que mal, qu'à la seule chose à laquelle ils ne peuvent pas se résigner à ne plus
croire, à savoir que la vie continue après la mort.
En même temps que les
chrétiens sont devenus moins assurés de leur foi, ils sont devenus
incontestablement beaucoup plus conciliants à l'égard des incrédules. Le regard
que les chrétiens, à l'exception peut-être de quelques intégristes, portent
aujourd'hui sur les incroyants, est
heureusement fort éloigné de celui que Bossuet et les dévots du
XVIIème siècle portaient sur eux. Le mépris haineux pour « les
esprits forts », considérés comme des êtres foncièrement insensés et
immoraux, a laissé la place à une sorte d'indulgence, voire de sympathie. Non
content de ne plus condamner tous les incrédules à l'enfer, auquel, il est vrai,
ils ne croient plus guère, les chrétiens leur promettent volontiers qu'eux aussi
iront au paradis, même s'ils ne seront sans doute pas aussi bien placés que les croyants. Il est vrai
enfin que les chrétiens qui, au cours des siècles passés, ont emprisonné,
torturé et mis à mort tant de sorcières, d'hérétiques et d'incrédules, qui se
sont livrés à tant d'horribles massacres lors des Croisades, de la conquête du
Nouveau Monde ou des guerres de religion, ont non seulement renoncé à la
violence, mais maintenant œuvrent
volontiers en faveur de la paix.
Bertrand Russell qu'on ne pouvait suspecter de complaisance envers la
religion chrétienne admettait déjà qu'elle était « devenue salutaire à bien des égards ».
Cela étant, les incrédules
pourraient donc être aujourd'hui plus disposés, sinon à taire toutes leurs
critiques à l'égard de la religion chrétienne, du moins à les formuler avec plus
de ménagement. Et, de fait, certains d'entre eux, notamment à l'Union
rationaliste, pensent non seulement, qu'il n'y a plus lieu de combattre une
religion devenue quasi totalement inoffensive, mais qu'en ce faisant, on risque
de renforcer au sein de l'Eglise le courant conservateur et donc de remettre en
cause ou, à tout le moins, de freiner une évolution dont les incrédules ne
peuvent, somme toute, que se féliciter.
Je ne partage pourtant pas
ce sentiment, tout en reconnaissant
que le combat anti-chrétien
n'a plus le même caractère de nécessité et d'urgence que dans le passé. Mais les
incrédules que l'Eglise a tout fait pour réduire au silence pendant tant de
siècles ont un grand retard à rattraper. Ils ne peuvent oublier la tyrannie
criminelle que l'Eglise a exercée si longtemps aussi vite, aussi aisément
qu'elle le fait elle-même, et ils
ne doivent pas l'oublier sous peine de trahir la mémoire de tous ceux qui en ont
été pendant tant de siècles les victimes. Il me semble qu'avant de demander aux
incrédules de taire leurs critiques ou seulement de leur mettre un bémol,
l'Eglise devrait avoir la décence d'attendre au moins quelques siècles encore.
L'Eglise n'a, au
contraire, pas plutôt commencé à reconnaître aux incrédules le droit de
s'exprimer librement qu'elle les a invités à se taire. Tout se passe comme si
elle pensait qu'en leur ayant concédé le droit de la critiquer, elle s'était
acquis le droit de leur demander de ne pas le faire. Selon elle, les incrédules
devraient être trop contents qu'on ne leur interdise plus de dire ce qu'ils
pensent pour continuer à le faire plus longtemps. L'Eglise estime qu'ayant
prouvé sa tolérance en reconnaissant aux incrédules le droit de la combattre,
c'est à eux à se montrer à leur tour tolérants en s'abstenant de l'exercer.
Tant que l'Eglise
continuera à prétendre être en droit de demander aux incrédules de se taire, ils
ne se sentiront, pour cela même, aucunement disposés à le faire. Pour qu'ils
pussent commencer seulement à
envisager de se taire ou du moins d'avoir recours à la litote, il faudrait que
l'Eglise changeât complètement de ton, qu'elle cessât de réclamer, d'exiger ce
qui ne lui est aucunement dû, qu'elle se montrât, au contraire, très humble,
et, faisant appel à leur
indulgence, qu'elle le leur demandât comme une faveur qu'elle reconnaîtrait être
totalement imméritée. Mais on n'en est pas encore là, et, en attendant, la
monstrueuse impudence dont fait preuve l'Eglise lorsqu'elle invoque les droits
de l'homme qu'elle a tant violés dans le passé et la tolérance qu'elle a si
longtemps combattue, pour essayer de faire taire les incrédules, ne peut que les inciter encore davantage
à conserver toute leur liberté de parole et à rester vigilants.
Il serait donc, me
semble-t-il, inopportun et, en tout cas, prématuré de renoncer à critiquer le
christianisme. Mais il est vrai, redisons-le, que la religion chrétienne, même si
elle peut avoir encore un rôle parfois très néfaste dans certains domaines
(l'absurde condamnation de la contraception contribue dans certains pays à
favoriser la propagation du sida), ne constitue plus une véritable menace pour
les valeurs humanistes. En vieillissant elle s'est incontestablement bonifiée,
mais c'est parce qu'en vieillissant, elle s'est considérablement affaiblie. Si
elle s'est assouplie de plus en plus, si elle s'est adoucie de plus en plus,
c'est parce que, de plus en plus, elle s'est mise à douter d'elle-même; si elle
s'est beaucoup rapprochée des valeurs humanistes qu'elle avait tant combattues,
c'est parce qu'elle est malade et sans doute même moribonde, bien que l'agonie
puisse durer encore très longtemps.
Mais à la différence de la
religion chrétienne, trop peu sûre d'elle-même maintenant pour être encore
oppressive, d'autres religions ont gardé intacte leur capacité de nuisance,
faute d'avoir subi une évolution comparable, et restent hélas !
terriblement tyranniques et profondément néfastes. C'est le cas de la religion
juive qui maintient les femmes sous une tutelle insupportable et qui a une
grande responsabilité dans la prolongation de l'interminable conflit
israélo-palestinien. C'est aussi et plus encore le cas de la religion hindouiste
qui fait perdurer l'odieux système des castes. C'est enfin et surtout le cas de
la religion musulmane qui est sans doute aujourd'hui dans le monde la plus
calamiteuse de toutes.
Et c'est aussi
naturellement celle qui supporte le moins bien la critique, celle qui crie le
plus quand on ose la mettre en cause. Il convient donc de ne pas se laisser
intimider par les accusations de racisme et d'intolérance qu'elle ne lance
contre ceux qui dénoncent son fanatisme et son obscurantisme que faute de pouvoir employer la
violence. Il ne faut surtout pas
s'effrayer de ce mot d'islamophobie
dont elle essaie de faire un épouvantail pour décourager la contestation.
L'islamophobie n'est pas une tare dont on doit avoir honte; ce n'est pas une
pathologie qu'il vaudrait mieux cacher : c'est, au contraire, la réaction
naturelle, saine et légitime de tous ceux qui sont attachés aux valeurs de
l'humanisme laïque et rationaliste lorsqu'ils découvrent l'islam.
Tous les musulmans ne partagent sans
doute pas toutes les opinions de
l'Ayatollah Khomeiny. Toujours est-il
qu'il a été la figure de proue de l'islam dans le dernier quart du
vingtième siècle et que sa mémoire est toujours vénérée par un grand nombre de
musulmans. Aussi, lorsqu'on lit sous sa plume que l'homme et la femme non
musulmans sont impurs au même titre que l'urine, l'excrément, le chien, le porc
et la sueur du chameau mangeur d'excréments humains, il est pour le moins
difficile de ne pas concevoir aussitôt, quand on n'est pas musulman, une vive
antipathie pour la religion dont un tel individu a été de son vivant le
principal phare et reste une des grandes lumières. Mais il n'est pas besoin de
lire l'Aytollah Khomeiny ou d'autres grands allumés d'Allah, il suffit de lire
le Coran Car, si tous les musulmans
ne lisent pas l'Ayatollah Khomeiny, tous lisent le Coran. Or, comment peut-on
s'étonner, comment peut-on s'indigner que l'islam puisse susciter chez les non
musulmans et tout particulièrement les incrédules une profonde aversion, alors que le Coran exhale à toutes les
pages la haine des infidèles, la haine de tous ceux qui se refusent à croire que
Dieu ait pu dicter à Mahomet les propos débiles et incroyablement répétitifs
qu'il oser lui prêter ? Comment peut-on demander aux incrédules de respecter une
religion fondée sur un prétendu livre saint qui leur promet, presque à toutes
les pages et le plus souvent plusieurs fois par page, un châtiment terrible et
éternel, qui les voue au feu ardent de la géhenne non pas une fois, non pas dix
fois, non pas cent fois, mais des centaines et des centaines de fois ?
Critiquer et combattre les
religions est et restera toujours pour les incrédules non seulement un droit
inaliénable, mais un devoir impérieux tant que ces religions resteront
oppressives. Et elles ne peuvent mieux les inciter à le faire qu'en osant
invoquer les droits de l'homme au secours de Dieu, qu'en osant se réclamer des
Lumières pour défendre l'obscurantisme, qu'en osant brandir l'étendard de la
tolérance contre le libre examen, et qu'en osant prétendre lutter contre le
racisme quand elles cherchent à perpétuer l'asservissement.
27 février 2004
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