Éducateurs, un chanoine vous parle
Maison Pour Tous, Calais, exposition Histoire et actualité de la laïcité, mars 2008
Les enseignants qui ont reçu la Lettre aux éducateurs à la rentrée scolaire de septembre 2007 ont eu, quelques mois après, la confirmation que la missive émanait du Très Haut : Nicolas Sarkozy a été sacré chanoine honoraire de Latran par le pape Benoît XVI le 20 décembre. Quand la vérité descend des Cieux par la bouche de l'Élu, gare aux fonctionnaires mécréants qui oseraient apprendre aux élèves à penser par eux-mêmes et construire leur propre autonomie intellectuelle.
La bulle présidentielle à l'adresse des enseignants n'est pas avare de références religieuses car embrumée dans de tenaces vapeurs manichéennes. On y vénère le beau et le grand, on y fustige le laid et le petit. La beauté y apparaît comme un absolu gravé dans le marbre : l'art sarkozyen est un art monumental exaltant la musculature du puissant. La conception de la beauté tant vantée dans la lettre, et que son auteur souhaite inculquer aux enfants, perd la subjectivité qui donne à l'émotion son intensité et son intimité. Car Nicolas Sarkozy a un dessein élevé : "relever le défi de l'économie de la connaissance." On chercherait en vain un sens précis dans cette invention de vocabulaire, en dehors de la manipulation linguistique consistant à dénaturer un mot, subversif (la connaissance), en l'accolant à un autre qu'on veut plus fort, plus grand, plus beau, plus moderne (l'économie). "L'économie de la connaissance" ne saurait pourtant constituer une tâche ennuyeuse puisque le mystère vient à propos pour rendre le dessein présidentiel plus bucolique : "Très tôt [les enfants] doivent être confrontés aux beautés de la nature et initiés à ses mystères." Une Éducation nationale qui initie aux mystères plutôt qu'elle dissipe des chimères a pourtant déjà un nom : le catéchisme. Le mystère étant la porte d'entrée du religieux, c'est une voie d'eau béante qui est ouverte par le grand timonier dans le navire de l'Éducation nationale. Les enseignants auront le choix : écoper pour tenter de surnager dans ce Déluge, ou s'abandonner à la prière en rabâchant, yeux clos et oreilles bouchées, la conception sarkozienne de la laïcité : "la laïcité est à mes yeux un principe de respect mutuel [...] elle ouvre un espace de dialogue entre les religions", autre formulation de l'œcuménisme, l'arme des religieux pour résister à la distanciation croissante vis-à-vis des religions. Exit donc le principe de refus de toute ingérence religieuse dans la cité. Mieux, comme la laïcité "est le plus sûr moyen de lutter contre la tentation de l'enfermement religieux", le pas sera vite franchi pour lui assigner la fonction d'enseigner la bonne, vraie et belle conception de la religion. En faisant de la laïcité un outil de promotion des mono et poly-théismes, Sarkozy rejette qu'un humanisme émancipé d'une filiation mystique puisse être un ferment de paix et de convivialité : "Le spirituel, le sacré accompagnent de toute éternité l'aventure humaine." Une existence sans dieu apparaît alors comme un égarement, une impasse.
25 mars 2008
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