Colloque laïcité et colonialisme : la dernière trouvaille islamophile pour attaquer la laïcité
Chaque année depuis six ans, une semaine anticolonialiste est organisée à Paris par, essentiellement, des militants d'Europe Écologie - Les Verts. En 2012, la semaine en dure deux et les organisateurs ont choisi d'innover en incluant la laïcité dans cette thématique. Avec les écologistes aux commandes, on imagine bien quel détournement de la laïcité peut y être pratiqué. Le 3 mars 2012, deux tables rondes ont été organisées à l'Espace Jean Dame avec le soutien très engagé de la Mairie du IIe arrondissement de Paris, un engagement fort et durable sur ces initiatives. Le premier à s'exprimer, en introduction des interventions, fut donc le Maire Jacques Boutault (écologiste) avec une implication revendiquée dans la Semaine anticoloniale.
Le colloque a permis, d'une part, de dresser un bilan des discriminations qui ont été subies par les "Indigènes" dans les colonies françaises relativement à leur religion. Dans un second temps, des parallèles ont été établis avec la situation actuelle des Français et étrangers issus de l'immigration africaine et les prétendues attaques racistes dont ils feraient l'objet du fait des lois laïques. En clair, il s'agissait de montrer que, des colonialistes de la Troisième République à la loi contre les signes religieux à l'école et au refus d'admettre les mères voilées dans les sorties scolaires, le même esprit colonialiste serait à l'œuvre, c'est-à-dire le même racisme. Le discours habituel des communautaristes, des militants pour un islam politique et des Indigènes de la République a donc bien pénétré la Mairie du IIe arrondissement avec la bénédiction des écolos. Plus précisément, l’après-midi a été organisée par un collectif au nom lesté de sous-entendus : "Laïcité n'est pas racisme". L'assistance comportait une quarantaine de personnes, dont la sénatrice Halima Boumedienne-Thiery (Europe Écologie - Les Verts), qui soutient les filles en foulard (cf. un rassemblement devant l’Assemblée Nationale en 2004). On comptait aussi dans le public quatre ou cinq jeunes femmes voilées.
Première table ronde : "La « laïcité » appliquée aux colonies"
Premier à s'exprimer, Olivier Lecour Grandmaison traite du "statut du « Français musulman », de l'époque coloniale à aujourd'hui". Afin de convaincre que Claude Guéant n'a rien inventé, il ne craint pas de déterrer Montesquieu et Renan. Selon lui, le premier aurait théorisé l'incompatibilité de l'islam avec les sociétés libérales (allusion probable aux Lettres Persanes) et le second est foudroyé pour un texte incisif sur l'islam et les musulmans intitulé L'islamisme et la science (1883). Lecour Grandmaison se garde bien pourtant d'observer que l'anarchiste Blanqui avait lui aussi écrit un texte vigoureux sur le même sujet (Science et foi, 1865), et que les libres penseurs et anarchistes de la même époque ont tenu des propos d'une virulence similaire, et en nombre bien plus considérable, sur l'Église catholique et les catholiques. Mais il est plus aisé de travestir Ernest Renan en raciste plutôt que de reconnaître que ses propos s'inscrivaient dans un anticléricalisme bien de son temps qui ne saurait se limiter à la secte romaine.
Lecour Grandmaison dénonce toutefois avec raison les nombreuses différences de traitement subies par les Algériens sous la colonisation : loi de 1905 non appliquée dans les colonies, nécessité d'une autorisation de l'État pour se rendre à La Mecque, usage de l'expression "Français musulmans d'Algérie", etc. Plus tard, il affirmera que la SFIO et la CGT n'ont pas remis en cause le code de l'indigénat et en prendra argument pour fustiger la loi obligeant à la neutralité religieuse les assistantes maternelles qui gardent les enfants à leur domicile, votée en janvier 2012 par le Sénat. Tout en veillant bien à se présenter lui-même comme un athée et un mécréant.
Son collègue universitaire Alain Ruscio a donné quelques exemples de discours sur le voile, du XVIe siècle à Grenade au cinéma de Julien Duvivier (Cinq gentlemen maudits, 1921) en passant par Georges Sand et Victor Hugo (poème Le Voile). De façon assez peu sérieuse, Alain Ruscio a estimé que cette simple accumulation de propos hostiles au port du voile suffirait à en démontrer le caractère raciste. A aucun moment Ruscio n'envisage que les événements présentés dans ces œuvres puissent provenir de faits bien réels.
Dernière intervenante de la première table ronde, Nawel Gafsia livre un discours assez peu construit, guidée d'abord par son engagement auprès du Comité Contre l’Islamophobie en France. A entendre ses allers-retour incessants entre la période coloniale et l'époque actuelle, on prend peur à l'idée que la France n'aurait pas changé et que de sinistres personnages comme Guéant, Sarkozy et Hortefeux seraient représentatifs de l'ensemble des personnes qui, en France, n'aiment pas l'islam. L'art de la nuance est étranger à Nawel Gafsia. Pourtant, sa critique d'un État colonial normatif qui demandait à l'indigène d'abandonner ce qu'il était pour devenir ce que l'État croyait bon pour lui, doit être entendue. Mais relativement à l'époque actuelle, son propos est trop généralisateur pour être crédible et trahit la propension à l'excès de la militante. Sa seule réponse à ce qu'elle présente comme de l'islamophobie est un recours accru aux tribunaux, un moyen astucieux, à défaut d’être subtil, de financer les avocat(e)s comme elle.
Deuxième table ronde : "Sortir des discriminations post-coloniales"
La deuxième table ronde a véritablement permis d'entrer dans le sujet qui titille les orateurs, à savoir le prétendu racisme dont seraient victimes massivement les musulmans par la France laïque. Seul à se revendiquer activiste musulman durant toute l'après-midi, Abdelaziz Chambi a fait trembler les murs de la salle : le verbe haut et fort, le porte-parole agité de la Coordination contre le racisme et l'islamophobie semble avoir été de toutes les coteries musulmanes dans la région lyonnaise depuis plus de vingt ans. L'intervention est enflammée, physique, et Chambi n'hésite pas à citer Mahomet et le Coran. L’exercice est périlleux car dans le verbiage coranique écrit on ne sait où, par on ne sait qui et on ne sait quand, on trouve tout et son contraire. Inévitablement, le militant lyonnais n'échappe pas à l’obsession des fameux "lobbys sionistes" qui, selon lui, viseraient à la diabolisation des quartiers populaires. Chambi a aussi le sens de la formule et du spectacle en égratignant aussi ceux qu'il désigne comme les "bobars" (succès assuré dans la salle), ces musulmans bourgeois-barbus qui ne connaîtraient pas ou se désintéresseraient des problèmes sociaux dont souffrent les banlieues.
Mais la rapidité électrique de son élocution a poussé Chambi à une magistrale erreur d'analyse qui ne sera pas oubliée de sitôt. Emporté par l'élan de son flot de parole, il fustige SOS Racisme, la Ligue des Droits de l'Homme et, dans une moindre mesure précise-t-il, le MRAP, pour le peu d'attention apportée à l'islamophobie ! Que Chambi fasse l'effort de s'informer sur les activités du MRAP et de la LDH et il découvrira que ces deux organisations sont devenues, en quelques années, les nouveaux protecteurs de l'islam par un recours obsessionnel aux tribunaux contre toute contestation radicale de cette religion et du comportement de certains fanatiques.
Marwan Muhammad, porte-parole du Comité Contre l'Islamophobie en France, a apporté, sans crainte du ridicule, sa contribution aux excès précédents. Inconscient du fossé qui sépare les musulmans de France des Noirs des Etats-Unis d’Amérique des années 50, il a affirmé qu'"on a des milliers de Rosa Parks aujourd'hui en France". Rosa Parks est cette femme noire qui, en 1955, avait courageusement refusé de céder sa place à un Blanc dans un bus aux Etats-Unis d'Amérique. Incapable de diagnostiquer l'incompatibilité du texte coranique avec les sociétés fondées sur la démocratie, la laïcité et la liberté d'expression, le CCIF s'aventure, à l'aveugle, dans une dramatisation excessive qui le prive de toute crédibilité.
Plus sérieuse et argumentée a été l'intervention de Monique Crinon qui a nié que laïcité et féminisme soient intimement reliés. Si le propos semble surprenant, il comporte pourtant une part de vérité historique. Comme elle l'a rappelé, les partisans de la laïcité sous la Troisième République n'avaient que faire de la situation d'infériorité juridique imposée aux femmes et, lors des luttes féministes des années 70, jamais la laïcité n'aurait été invoquée selon elle. Comme la République laïque s'est longtemps accordée du statut de mineures pour les femmes, relier laïcité et féminisme serait donc une "imposture" selon elle. En revanche, Monique Crinon n'a pas rappelé que si on avait toujours respecté les croyances religieuses, on n'aurait jamais adopté la loi autorisant l'IVG et le divorce en France et dans d'autres pays démocratiques.
Le propos de Monique Crinon s’est ensuite réorienté quand elle a entrepris de déposséder la laïcité de son humanisme pour en faire une étape vers l'athéisme. Son attaque de la laïcité s'est muée en défense des religions par la négation de leur obscurantisme intrinsèque. "En faisant de la religion le bras armé de tout ce qui est liberticide", on pratiquerait une hiérarchie entre les individus : Monique Crinon oublie, ou ignore, que le Coran, comme la Bible, sont des modèles indépassables en matière de hiérarchisation des individus. Sa stratégie équivaut finalement à une forme de cléricalisme. En insistant, certes avec raison, que le patriarcat n'est pas confiné aux religions, elle tend à occulter la spécificité machiste des monothéismes qui est pourtant exprimée sans ambiguïté dans la Bible et le Coran. En tentant de détourner notre regard dans une autre direction, elle veut faire oublier l'écrasante responsabilité des sectes monothéistes dans l'oppression des femmes.
Comme, avec les militantes de Mamans toutes égales, on est entre copines, Crinon a quitté toute retenue en libérant son fiel contre "mère Élisabeth [Badinter] et sœur Caroline [Fourest]" pour la pugnacité et la régularité de leur action contre l'asservissement et l'aliénation des jeunes femmes par le fanatisme islamique. L'outrance n'est jamais trop forte face à l'adversité et l'oratrice s’est abandonné à les accuser d'une "racialisation" du problème du patriarcat.
Pour le collectif Mamans toutes égales (MTE), une jeune femme voilée et très coquette (maquillage, boucles d’oreilles, collier, bracelets) a rappelé son opposition à la loi interdisant aux assistantes maternelles de porter le hidjab. Comme le voile islamique, sous ses différentes formes, est d’abord censé ne pas réveiller la libido masculine (l’homme prédateur est consubstantiel au voilement de la femme), on peut s’interroger sur la cohérence de tant de raffinement. Pour les obsédés de la pudeur qui ont défini l'essence de l'islam, la coquetterie est contraire à la dissimulation du corps des femmes. Il est bien compréhensible qu’une femme aime se maquiller pour améliorer le regard qu’elle porte sur elle-même. Toutefois, cela ne peut se faire qu’en contradiction avec cet islam puritain ; la militante de MTE ne l’a pas compris, signe que l’interprétation de l’islam n’est qu’un grand bazar.
Pour finir cette deuxième série d’interventions, Thomas Deltombes s’est intéressé au traitement médiatique du voile islamique. Le discours médiatique sur l'islam serait codé et Deltombes en possède la clé qui en révèlerait les fondements xénophobes. Son intervention s’est inscrite dans la droite ligne de sociologues islamophiles comme Vincent Geisser et Raphaël Liogier. Rien de neuf donc, il suffit d'user et d'abuser du mot racisme ou d'insinuations en ce sens pour accéder à cette caste.
Et la critique rationaliste de l’islam ?
Après ces heures bénies des dieux, vint le moment des interventions du public et le micro m’a été confié pour la première question. "Islamophobie" a probablement été le mot le plus prononcé sans que personne n’ait pourtant pris le soin de le définir. L’islamophobie, telle que conçue par les orateurs et oratrices, consiste-t-elle en un rejet de l’islam, un rejet des musulmans, ou les deux ? Est-il permis de concevoir qu’une critique franche de l’islam puisse relever de la pensée rationaliste et libertaire sans obéir à des intentions racistes ? Ou toute critique de l’islam est-elle suspecte de xénophobie ? Mon intervention fut calme et relativement brève, sans s’étendre dans un long développement qui aurait pu lasser la tribune et l’auditoire. Elle en fut récompensée par une réponse d’une limpidité admirable délivrée par Marwan Muhammad : le porte-parole du CCIF a affirmé que l’islamophobie résiderait dans l'ensemble des attaques contre les musulmans mais aussi contre les non-musulmans, ce qui est une innovation intrépide. Comme c’est un garçon sérieux qui a étudié son dossier, il précise, et c’est l’ânerie victorieuse de ces deux tables rondes, que les sikhs auxquels on veut faire retirer leur turban seraient eux aussi victimes d’islamophobie ! Somptueux.
Après Geisser et ses musulmans facilitateurs d’islamophobie, voici le CCIF et ses sikhs victimes d’islamophobie. Le pire des bouffeurs de curés, d’imams et de rabbins, n’aurait jamais pu imaginer telle subtilité, preuve évidente de la supériorité des fidèles inspirés par Allah. Par la suite, Muhammad complètera son propos pour quiconque n’en aurait pas cru ses oreilles en précisant que l’islamophobie n’aurait rien à voir avec la critique de l’islam mais uniquement avec les attaques subies par les croyants. Avec le terme "islamophobie", Marwan Muhammad confond donc le rejet de l'islam et le rejet des musulmans, au mépris de l’étymologie. La représentante de Mamans toutes égales l'a suivi de près en estimant qu'"il est sain de critiquer l'islam mais il y a des règles de bienséance". Autrement dit, c'est la liberté de ne pas aller trop loin dans la critique... Et à son tour, Abdelaziz Chambi n'a pas déçu en rabâchant, comme beaucoup sur ce sujet, un des rares versets qui simulent la tolérance dans le Coran : "Nulle contrainte en religion", sans en préciser le domaine de validité qui ne s'étend évidemment pas à l'apostasie.
6 mars 2012
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