Knock et son sanctuaire : amoncellement de superstitions catholiques et haine de l'avortement dans le Lourdes irlandais
Vous avez détesté Lourdes ? Vous éviterez Knock en Irlande.
En 1879, une quinzaine de personnes en proie à des hallucinations inédites ont réalisé une prouesse jamais égalée ni avant, ni après. Le troupeau a cru voir non seulement la Vierge Marie, mais aussi saint Joseph et saint Jean l'Évangéliste, et, interdiction de rire, un agneau et des anges. Voir la première en songe ou sous l'emprise d'un état particulier est, au XIXème siècle, d'une banalité achevée, une vision éculée déjà manifestée auparavant par Catherine Labouré en 1830 et Bernadette Soubirous en 1858 et, au siècle suivant, par trois gamins de Fatima au Portugal en 1917. Mais admirer, en sa compagnie, ses acolytes Jean et Joseph (qui occupe paisiblement la fonction d'époux chaste dans la mythologie chrétienne) est une vraie innovation irlandaise. Depuis saint Patrick au Vème siècle, l'Irlande est une terre bénie pour la clique vaticane et un petit miracle n'est jamais de trop pour enfoncer un peu plus le clou du spectacle de l'ignorance et de la superstition. En ajoutant Jean et Joseph à Marie, le petit miracle est devenu grand. L'Église irlandaise a réalisé là un coup de maître récompensé, un siècle plus tard, par la visite de celui qui, autre hallucination, attribuera à la Vierge sa protection contre la balle d'Ali Agca. Jean Paul II vient baiser le sol irlandais à Knock en 1979 et, devant 450 000 personnes, ressert la même soupe versée par la secte depuis près de 2000 ans.
La petite ville de Knock ne serait qu'un village sans son parc d'attraction. Son point central : l'église construite à l'emplacement des hallucinations. Le spectacle permanent qui y est donné pourrait plonger le rationaliste dans l'hilarité mais c'est plutôt la compassion pour les fidèles qui prévaut. Dans une ambiance souffreteuse, des mystiques majoritairement très âgés marmonnent tristement des prières (photo 1 ci-dessous), en autant de sujets écrasés par une autorité divine docilement inventée. Sur le banc du fond, une âme très certainement charitable a laissé un prospectus anti-avortement : "L'avortement est un meurtre !", avec une culpabilisation de quiconque lit ce torchon : "Si vous ne vous élevez pas contre l'avortement, alors vous le soutenez par votre silence". Pour un public dans la crainte de la faucheuse, tout est bon pour vénérer la vie. Sur le mur extérieur du bâtiment, on applique ses mains sur quelques pierres magiques avec vénération, la mine pénétrée. A quelques mètres, l'eau bénite s'écoule en permanence de plusieurs robinets, et bidons et bouteilles sont remplis et emportés comme un précieux butin, l'aboutissement de la quête. Dans les cimetières, il n'est pas rare d'en trouver de petits flacons sur la tombe d'un proche : accompagner le défunt de nourriture et de boisson est une pratique observée dans d'innombrables cultes (en Mésopotamie, en Gaule, chez les Étrusques, au Mexique).
|
|
|
Le parcours de la bonne paroissienne
|
1. Rabâchage mécanique de prières à l'emplacement des hallucinations de 1879
|
2. Application de la main sur les pierres magiques
|
3. Collecte d'eau bénite pour en déposer, en flacon, sur la tombe d'un proche et certainement pas pour allonger un whiskey irlandais
|
Le vaste sanctuaire de Knock comprend, outre cette église, une autre de plus grandes dimensions destinées aux offices et, surtout, une grande basilique. Lors de ma visite du lieu, une jeune mystique gravement affectée par ses névroses tournait autour en marche rapide tout en manipulant compulsivement un chapelet (photo ci-contre). Sans les croix et inscriptions chrétiennes qui marquent le lieu, la scène aurait pu trouver sa place dans un centre de soin d'un autre genre. Là encore, aucune envie pour l'athée de se gausser de cette détresse mais, plutôt, l'affliction impuissante devant l'exploitation de la misère psychologique par la canaille catholique. La secte est un ogre qui se nourrit de qui la vénère et se soumet. Car le Vatican règne bien ici en maître : son drapeau trône aux côtés de celui de la République d'Irlande (Eire) et de l'Europe dont les douze étoiles jaunes sur fond bleu sont directement inspirées du culte marial.
Un peu plus loin, au bureau d'accueil du sanctuaire, quelques directives sont données à la cohorte des pèlerins. Un code de bonne tenue vestimentaire vient rappeler le puritanisme chrétien : robe ou pantalon pour les femmes, pantalon pour les hommes, avec les épaules couvertes pour tout le monde (photo ci-contre). Même phobie et même culpabilisation du corps à Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris ainsi qu'à la cathédrale de Barcelone (Espagne) et au monastère d'Arkadi (Grèce).
Plus amusante est une affiche accrochée sur le même bâtiment pour mettre en garde les catholiques contre diverses croyances et pratiques. C'est une véritable liste d'interdits que l'Église établit pour maintenir ses adeptes dans la voie droite et étroite de leur soumission aveugle. La fin du XXème siècle a vu une diversification des croyances avec des superstitions imprévues. En conséquence, l'Église panique et range pêle-mèle tout ce qui s'écarte du credo dans la catégorie des hérésies modernes. Dans cette liste que n'aurait pas renié les maîtres inquisiteurs (photo ci-contre), on trouve bien sûr l'horoscope, l'astrologie et la divination, dénoncés depuis des siècles, mais aussi des modes irrationnelles plus récentes comme le Feng Shui et les vertus attribuées aux cristaux ("Crystals"), ainsi que, curieusement, des arts martiaux (Aikido, Karate, Kung Fu, Tae Kwan Do) dont les références asiatiques s'accordent probablement peu avec les agenouillements des buveurs d'eau bénite. Les religions ne survivent que par la masse d'interdits dont elles accablent des adeptes soumis : le Ramadan, avec son interdiction aberrante de s'alimenter et boire pendant le jour, en est la plus désespérante illustration. S'y soumettre est clamer son amour de la servitude volontaire.
On le sait, la religion ne se satisfait jamais de la seule pollution intellectuelle de l'espace accaparé pour son culte, sa gloutonnerie déborde toujours au-delà, urbi et orbi. A Knock comme à Lourdes, les marchands du temple savent que la blanche colombe de "l'esprit saint" se souviendra rapidement que, ornithologiquement, elle est une proche parente du pigeon. Dans la rue principale de la petite ville, les boutiques se succèdent avec des vitrines emplies de bondieuseries qui, cette fois, permettent une vraie libération de l'hilarité contenue jusque là : une photo de JP2 qui se mouche sur le front d'un gosse, un christ en porcelaine à mettre sur la cheminée, une vierge en tenue de première communion, un saint Antoine de Padoue qu'on trouvera très moche dès son retour à la maison, etc. Et pour mieux convaincre de la sincérité des petits capitalistes de la religion, les magasins adoptent des noms de saints : saint Paul, saint Jarlath, saint Brendan, saint Pio, saint Martin, saint Antoine.
|
La vitrine d'une des nombreuses boutiques de bondieuseries
|
Tout ne prête pourtant pas à rire dans la rue de Knock. Un autre profiteur y est aussi établi et vise un bénéfice moins pécunier mais infiniment plus pervers : le Centre Guadalupe diffuse avec ostentation sa propagande anti-avortement. En preuve absolue de son agressivité constitutive, il s'est établi à côté de la pharmacie ! Alors que je prenais une photo de cette disposition particulière, une jeune femme, la trentaine, très souriante, s'avance vers moi, le regard droit et pénétrant. Sans aucune retenue, en professionnelle du racolage actif, elle pose sa main sur mon avant-bras et propose de me fournir des renseignements sur les activités du centre que, quelques instants auparavant, sa collègue avait fermé. Bien qu'un peu surpris par une amabilité aussi excessive et intéressée, je la suis à l'intérieur où elle me remet sa littérature infecte tout en me demandant de venir de lendemain à la prière pour les enfants victimes d'avortements ("the unborn" : les enfants non-nés). Nous ressortons alors du local qu'elle avait ouvert spécialement pour moi.
Encore stupéfait par une telle aisance dans la captation des individus, fréquemment rencontrée dans d'autres variantes du christianisme, je prends quand même quelques photos des pancartes et banderoles que le centre exhibe sur sa devanture (photos ci-contre). L'une d'elles exhorte à prier pour les enfants non-nés suite à la pratique de l'avortement :
"Devenez un disciple des
enfants non-nés par la prière du
rosaire des enfants non-nés
le nouveau sacrement
pour le monde aujourd'hui"
Le rosaire vanté par l'association est, ultime perfidie, constitué de perles dont chacune contient l'image d'un fœtus. Plus agressive est ainsi la culpabilisation des femmes qui seraient tentées de recourir à l'avortement. Ces pancartes sont exposées en permanence à l'extérieur du centre, le prosélytisme est donc particulièrement arrogant contre les femmes, et les hommes, qui souhaitent gérer leur sexualité sans subir les injonctions d'une religion qui ne se développe que sur l'asservissement moral de ses propres adeptes.
Enfin, l'emblème du centre est une image de la Vierge de Guadalupe, autre hallucination inventée et exploitée par l'Église catholique au Mexique au XVIème siècle. L'image est aussi utilisée en France par l'association d'extrême droite SOS-Touts-Petits.
|
Le centre de propagande anti-avortement Guadalupe Centre ("documentation catholique et pro-vie"), situé à côté d'une pharmacie
|
Après un tel flot d'intoxication mentale, une pause dans un restaurant pourrait sembler un juste repos contre l'incitation ambiante à la pénitence. Hélas, la pieuvre de la religion s'insinue jusque dans la jouissance du plaisir gastronomique. A un jet de crucifix du Centre Guadalupe, le restaurant Hartigans s'inscrit dans le marché local : "Nous mettons de l'âme dans ce que nous faisons" ("We put soul in what we do"). Premier accroc. Le second accroc est plus grave : un prospectus anti-avortement est affiché dès l'entrée, avec une prière et des extraits de la Bible. Mais un troisième, plus anecdotique, attend le client à la commande du repas : ni bière ni whiskey ne sont disponibles au menu, seul le vin est proposé à la clientèle. Remplacer, en Irlande, ces précieux breuvages par du vin très chrétien (au restaurant) et de l'eau bénite (au sanctuaire) est assurément un miracle bien plus prodigieux que l'apparition de la Vierge, des saints et de leurs auréoles à une quinzaine d'allumés. Misère du catholicisme qui ferait mourir de soif un blasphémateur en le privant de ce que l'Irlande produit de meilleur. Les amateurs de Guinness et de Bushmills éviteront donc cette ville de perdition.
16 août 2012
|