Réponse à Vincent Geisser et oumma.com
Le 16 novembre 2004, le site musulman oumma.com a publié un article de Vincent Geisser extrêmement injurieux à mon égard dans lequel il assimile ma critique du judaïsme et du catholicisme à de l'antisémitisme. Le procédé n'est pas nouveau mais la violence de ses propos est assez pathologique. Le même jour, un article de Xavier Ternisien dans Le Monde adopte une stratégie similaire avec les mêmes arguments et deux jours après le MRAP ajoute sa contribution à la cabale contre atheisme.org. Le lynchage était donc bien planifié mais l'effet escompté, me faire taire, n'eut pas lieu, trop de naïveté et l'aveuglement suscité par la colère entraîne souvent dans des impasses que plus de lucidité aurait permis d'éviter.
L'article de Vincent Geisser est présenté comme une analyse du site atheisme.org mais c'est faire insulte à la rigueur scientifique que de l'en qualifier ainsi. Geisser indique que 35 textes d'atheisme.org concernent le judaïsme mais oublie prudemment de préciser que cela ne représente que 4 % de l'ensemble du site, dix fois plus d'articles concernent le christianisme et l'islam. Manipulation de texte, tromperie des lecteurs, interprétations malveillantes et imputation de fausses citations, Vincent Geisser s'est laissé emporter par son exaspération devant ma critique de l'islam et de ses engagements personnels. Pour avoir dénoncé sa collusion avec le fondamentalisme musulman ("Vincent Geisser et l'islamophobie") et son implication dans le collectif Une école pour toutes et tous ("Le Collectif "Une école pour toutes et tous" échoue à rassembler contre la laïcité à Paris"), Geisser s'allie à Ternisien pour abattre un gêneur. Et pour cela toutes les manipulations sont les bienvenues à commencer par l'emploi de certains termes et une subtile utilisation des guillemets afin de m'attribuer des propos qui n'ont jamais été les miens. Mais cela ne suffit pas et mes articles critiques sur le judaïsme sont systématiquement travestis en antisémitisme. On chercherait en vain dans ce procédé la déontologie exigée pour un chercheur au CNRS. C'est d'ailleurs cette seule étiquette qui a fait du politologue la caution intellectuelle bon marché qu'attendaient les partisans du port du voile à l'école. Son petit livre La nouvelle islamophobie reste au niveau d'un tract simpliste en accusant de racisme quiconque critique l'islam, voire l'islamisme. Des titres de gloire bien maigres pour celui qui se satisfait d'un public facile et avide de disposer d'un guide à suivre. Dans un emportement qui trahit sa grande irritation face aux laïques et au succès de la loi contre les signes religieux à l'école, Vincent Geisser perd tout contrôle et n'hésite pas à accuser d'antisémitisme l'ensemble des défenseurs de la laïcité à la suite de Voltaire ! On ne saurait mieux s'autodétruire...
Je réponds ici point par point à l'analyse délirante de Vincent Geisser où chaque virgule, chaque point, chaque mot, quel qu'il soit, devient synonyme d'antisémitisme et de colonialisme, son argumentation est une furie désordonnée révélatrice de l'impasse intellectuelle dans laquelle le politologue s'est fourvoyé :
Vincent Geisser : Sur les 35 articles de l'auteur portant sur le judaïsme et publiés sur www.atheisme.org, quatre sont consacrés à la dénonciation de l' affairisme juif, thématique qui revient comme une obsession dans ses écrits : " En 1998 avait été ouvert un dossier sur une filière de blanchiment d'argent entre la France et Israël et l'enquête vient d'être déclarée terminée. 130 personnes physiques ou morales sont mises en cause dont de nombreuses banques ainsi que des dizaines d'associations juives et des rabbins. Les manœuvres consistaient à faire encaisser des chèques frauduleux par des bureaux de change en Israël où la législation permet de donner l'argent en liquide à une autre personne que le destinataire du chèque. Le procès se déroulera en 2004 "
Jocelyn Bézecourt : Jamais je n'ai prétendu que le lien entre le judaïsme et l'argent était plus fort que pour le christianisme ou l'islam. Je constate que les scandales financiers arrivent à tous, y compris à ceux qui prennent la pose de parangons de vertu, quelle que soit leur religion. Se livrer à la corruption ou au détournement de fonds lorsqu'on se réclame d'une haute spiritualité (chrétienne, juive, musulmane, etc.), est une chose que l'on est en droit de critiquer, c'est un comportement de Tartuffe et dénoncer des tartufferies, jusqu'à preuve du contraire, n'est pas antisémite. J'ai simplement relaté le scandale financier du Sentier, comme l'avaient fait Libération et plusieurs dépêches de presse, de la même manière que je dénonce des scandales financiers survenus dans le christianisme (détournement de l'argent récolté par l'association Raoul Follereau vers le Vatican, le train de vie luxueux d'une religieuse anglaise), l'islam (système des banques islamiques) ou le bouddhisme (détournement d'argent en Thailande, activités mafieuses). Je n'ai jamais utilisé l'expression "affairisme juif" dans mes textes.
VG : La motivation principale de la prière des Juifs religieux ne serait donc pas le salut des âmes mais bien l'argent, puisque pour J. Bézecourt, il semble que l'appât du gain soit l'obsession centrale du judaïsme : " Les vœux adressés à ce dieu sanguinaire témoignent de la profonde spiritualité qui anime la masse superstitieuse : l'un souhaite devenir conducteur de bulldozer, une autre demande pardon pour avoir volé des cendriers dans des hôtels, quand d'autres, plus simplement, rêvent d'être millionnaires "
JB : Nulle part je n'affirme que la motivation principale des juifs est l'argent. Les informations ici reproduites proviennent d'une dépêche de presse (Reuters 2 octobre 2003) qui contenait elle-même le terme "millionnaire" et l'attaque de Vincent Geisser ne repose que sur la présence de ce seul terme qui est fort banal. Quantité de gens rêvent d'être millionnaires, quelle que soit leur religion. L'objet de mon texte était de dénoncer la pratique superstitieuse consistant à envoyer des lettres à "Dieu" par la Poste...
VG : J. Bézecourt persiste sur cette thématique des dérives de l' " affairisme juif " dans un second article, rendant compte à sa façon de l'affaire du Sentier : " Dans l'affaire du Sentier, ce quartier de Paris où pullulent des commerces de textile, six rabbins, dont deux sont en fuite en Israël, vont être renvoyés en correctionnelle. Plus d'une centaine de personnes sont mises en cause dans une escroquerie gigantesque qui a été examinée à Paris début mai 2004. Le filon exploité par les religieux jouait sur la présomption d'honnêteté qui flatte tout religieux au titre qu'un serviteur de "dieu" ne saurait voler... "
JB : Dénoncer une affaire d'escroquerie où sont impliqués quelques rabbins n'est pas de l'antisémitisme. Je dénonce de la même façon des affaires similaires observées dans d'autres religions (voir plus haut). Placer les mots "affairisme juif" entre guillemets est inadmissible car Vincent Geisser tente ainsi de convaincre le lecteur que ces mots sont les miens alors qu'il n'en est rien.
VG : Cet antisémitisme laïque de type voltairien se marie volontiers à un antijudaïsme teinté de préjugés coloniaux. Dans son portrait au vitriol du Grand rabbin de France, Joseph Sitruk, ce n'est pas seulement le juif religieux que J. Bézecourt entend démasquer mais aussi le juif sépharade, oriental et maghrébin, procréateur en puissance : " Elu grand rabbin de France en 1987 et deux fois réélu (pour des mandats de sept ans), Joseph Haïm Sitruk n'est pas ce qui se fait de plus moderne (photo). Né en 1945 à Tunis, c'est donc un séfarade qui occupe la plus haute place du judaïsme en France. Il avait été, auparavant, en poste à Strasbourg et Marseille [...]. Noter aussi que Joseph Sitruk est père de neuf enfants."
JB : J'ai indiqué le lieu de naissance du rabbin Sitruk de la même manière que j'indique son parcours religieux. C'est une information qui a pour seul objectif de présenter le personnage sans connotation particulière. Ce n'est en aucune manière l'expression d'un préjugé colonial. S'il était né à Paris ou au Pôle Sud, je l'aurais indiqué de manière aussi neutre. Vincent Geisser invente une fois de plus les arguments qui manquent à sa thèse en présupposant les intentions qui se cacheraient derrière l'affirmation des faits. Quant aux neuf enfants, cette indication rappelle que le rejet du contrôle des naissances est prôné par toutes les religions et ne s'inscrit pas dans la modernité.
VG : Cette orientalité du " juif tunisien " Sitruk déboucherait naturellement sur une alliance avec les musulmans, selon le principe que deux fanatismes orientaux ne peuvent que s'unir pour mieux s'attaquer à laïcité française : " Comme c'est dans le besoin qu'on rencontre ses vrais amis, les musulmans ont reçu un allié inespéré, mais fort logique, en la personne du rabbin Joseph Sitruk, premier personnage du judaïsme français. Dans une entrevue au quotidien Le Monde du 16 mai 2003, qui relayait un document transmis au président de la République en avril 2003, le rabbin a déclaré qu'il n'était pas favorable à l'interdiction du voile islamique à l'école. Quand on sait que les élèves juifs aiment à porter la kippa, l'opinion de Joseph Sitruk n'en est que mieux compréhensible... Selon la pratique déloyale qui consiste à déformer une doctrine pour mieux l'attaquer, Sitruk, en donnant sa définition de la laïcité, insinue qu'elle consiste en l'interdiction d'une pratique religieuse. L'œcuménisme antilaïque s'exprime de même dans sa compréhension, et son respect, du refus de quelques jeunes musulmanes de participer aux séances de piscine "pour des raisons de pudeur ".
JB : Vincent Geisser semble bien décidé à voir de l'orientalisme et du colonialisme derrière chaque mot et contraint le texte à se plier à son obsession. Cette alliance des monothéismes n'est pas limitée à l'islam et au judaïsme mais concerne aussi le christianisme. Les nombreux appels à l'œcuménisme entendus actuellement ont moins pour objectif de résoudre leurs incompatibilités théologiques que de faire un bloc commun contre la laïcité et la matérialisme. Le rejet de la loi contre les signes religieux à l'école par le rabbin Sitruk s'inscrit dans cette alliance, sachant que les évêques de France ont aussi pris une position similaire. Je précise bien qu'il s'agit là d'une alliance des hiérarchies religieuses mais pas des fidèles, il n'a jamais été dans mes intentions d'amalgamer les croyants et les religieux qui prétendent les représenter.
Alors que je décris, dans le contexte du vote de la loi sur les signes religieux, un " œcuménisme antilaïque " et que j'emploi le terme de " musulmans", Vincent Geisser parle d'alliance des " fanatismes orientaux ". C'est-à-dire qu'il pratique lui-même l'amalgame entre croyants et fanatiques et il m'accuse donc de ses propres écarts de langage alors qu'il en est le seul responsable et auteur. D'ailleurs, dans le paragraphe suivant, Vincent Geisser admet tout à coup que je ne me limite pas aux religions qu'il a qualifiées lui-même d'orientales (je n'ai jamais fait un tel rapprochement entre orient et islam et orient et judaïsme, c'est bien lui qui s'y livre). En effet, à l'opposition musulmane et juive à cette loi laïque, " viendrait s'adjoindre assez logiquement l'Eglise catholique". Ceci prouve que Vincent Geisser sait très bien que (1) je n' "orientalise" pas islam et judaïsme et (2) que je ne dénonce pas d'alliance spécifiquement " orientale ". C'est bien lui et non moi qui est obsédé par une telle " alliance " orientale. En outre, je n'ai jamais décrit le rabbin Sitruk comme un "juif tunisien". Geisser, auteur de cette formulation, récidive dans la tromperie.
VG : A cette alliance judéo-musulmane contre la laïcité française viendrait s'adjoindre assez logiquement l'Eglise catholique qui, comme nous l'a rappelé, dans un article récent, J. Bézecourt, est aujourd'hui dirigée par un juif dissimulé, Monseigneur Lustiger, qu'il qualifie d'ailleurs de " juif converti Lustiger " et de " Jean-Marie Aaron Lustiger " pour mieux l'enfermer dans sa judéité originelle.
JB : Je n'enferme personne dans ses origines mais la mention de la conversion de Mgr Lustiger n'est pas hors sujet dans le contexte de la campagne de réévangélisation des parisiens pendant la semaine de Toussaint, c'est-à-dire de conversion des non-catholiques. Et on sait que l'Église catholique a un long passif de conversions des juifs au cours de son histoire. En tant qu'athée, observer qu'un chef religieux puisse osciller d'un monothéisme à l'autre n'est pas un fait anodin et mérite d'être noté. Lustiger lui-même insiste sur sa judéité passée et celle-ci tombe à pic lorsqu'il s'agit de chercher à convertir au christianisme. Je n'ai mentionné qu'un fait et cela ne relève nullement de l'antisémitisme. Concernant son prénom, il apparaît tel quel dans la deuxième de couverture d'un ouvrage de Mgr Lustiger où celui-ci précise que "Jean Marie" a été ajouté à "Aron" et ne l'a pas remplacé (Le choix de Dieu, Editions France Loisirs, 1988, p. 52). Enfermer quelqu'un dans ses origines est une libre interprétation de Vincent Geisser qui demeure rivé, jusqu'à l'obsession, à l'ethnie, au groupe. Et comme précédemment, dans un procédé désormais familier, l'expression "juif dissimulé" n'est pas de moi mais de Vincent Geisser.
VG : Pourtant, cette nouvelle alliance des Religieux obscurantistes contre la laïcité serait fragile car, selon J. Bézecourt, les Juifs souffriraient du complexe du " peuple élu ", ne pouvant donc renoncer à la croyance en leur supériorité : " Mais les amabilités envers l'islam sont vite contredites, et avec abondance, par la supériorité que le rabbin croit trouver dans le judaïsme."
JB : Chaque religion aspire à la supériorité sur ses concurrentes, il n'y a rien d'antisémite à affirmer que le judaïsme agit comme l'islam ou le christianisme sur ce point.
VG : En effet, pour l'animateur du site www.atheisme.org, les Juifs d'aujourd'hui sont encore plus nocifs que les autres religieux et cléricaux, parce qu'ils sont précisément animés d'un sentiment de supériorité et qu'ils ne parviendront jamais à se détacher de leur complexe du " peuple élu ". Il faut donc les inciter à se régénérer en les aidant à se débarrasser définitivement de leur tare orientale, incarnée aujourd'hui par le juif " Haïm Sitruk " (sic), ce " gourou adulé par ses ouailles ".
JB : Je n'ai jamais dit que "les Juifs d'aujourd'hui sont encore plus nocifs que les autres religieux" et je n'ai jamais parlé de "tare orientale", ces termes sont une fois de plus de l'invention de Vincent Geisser. J'ai toujours rangé les religions à égalité dans le danger qu'elles représentent pour la société (oppression des femmes, refus de la démocratie, de l'émancipation individuelle, de la liberté de pensée) sans conférer au judaïsme une dangerosité plus grande que pour ses deux concurrents. Quant au terme de "juif" qui précède " Haïm Sitruk ", il est une invention de Vincent de Geisser, cette association de mots n'est pas de mon fait. Enfin, si Vincent Geisser était un habitué du site atheisme.org, il saurait que je gratifie également du titre de gourou quantité de mystiques tels que le pape, Tariq Ramadan et de nombreux autres. Donc, là non plus, je ne pratique aucun traitement spécifique au judaïsme.
Aujourd'hui, en France, avoir un avis critique sur les religions, toutes les religions, est un droit. Je le revendique et m'élève contre cette nouvelle forme de censure qui tente de faire passer toute critique des religions, et de leurs responsables, pour du racisme, de l'antisémitisme ou du colonialisme. Vincent Geisser est représentatif d'une certaine gauche incapable de dénoncer l'islam de peur de l'accusation de racisme ou d'admettre qu'existent des maghrébins et des arabes qui sont athées ou agnostiques.
30 décembre 2004
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