Chaque année, les Hindous de Paris font la fête au dieu éléphant Ganesh vers la gare du Nord, dans le quartier de La Chapelle. Comme les précédentes, la 14e édition a vu, le 30 août 2009, une foule d'Hindous se presser derrière plusieurs chars ou assister à la procession devant les commerces tamouls du quartier. Mais si les européens présents retiennent surtout le caractère coloré, festif, dansant et musical de l'évènement, il s'agit d'abord d'une procession religieuse avec des éléments pas si éloignés de ceux rencontrés dans les sectes monothéistes : fric, gourous et une relative séparation des sexes.
Après que des camions d'entretien ont lavé le bitume à coup de jets d'eau (les processionnaires marchent pied nus), un premier véhicule propose aux croyants l'achat d'offrandes : dix euros pour une corbeille contenant une noix de coco, des bananes et de l'encens au jasmin. La bénédiction de Ganesh pour dix euros, une bonne affaire dont il serait idiot de se priver : ce petit commerce rencontre un bon succès. Vient alors le premier char, un éléphant noir suivi par deux rangées de fidèles qui tiennent des insignes (éléphants, paons) fixées sur de longues perches. Des danseurs suivent, qui portent des jougs ornés de plumes de paon.
C'est avec le second char que la religiosité de l'instant dégage une ferveur intense chez les mystiques : des fidèles joignent les mains à son passage, d'autres se signent d'une façon similaire à ce qui est pratiqué dans le catholicisme. La tension est au plus haut, sans la violence sourde et le sang observés dans les processions de la Semaine Sainte à Séville ou du pèlerinage de Karbala en Iraq dans lesquels les croyants assurent de la force de leur foi en versant leur propre hémoglobine. Le char est tiré à l'aide de deux cordes par des hommes, les pieds et le torse nus, en surnombre toutefois par rapport à la masse à déplacer. Un gourou y siège; les offrandes lui sont présentées et il les rend après y avoir déposé des fleurs et répandu quelque liquide magique et une poudre de perlimpinpin.
En plus des dix euros déjà déboursés, certains croyants plus avisés des goûts du souriant Ganesh jugent que ses faveurs leur seront plus facilement obtenues si un autre billet est placé dans l'offrande. Le gourou, sensible à la spiritualité du geste, rend la noix de coco, les bananes et l'encens mais pas les cinquante euros. Même opération pour la bénédiction accordée à un commerçant et sa famille avant le passage du char : pour un billet de dix euros, les voilà assurés du bon souvenir de Ganesh. En outre, des urnes circulent dans le cortège pour ceux qui n'ont pas pu, ou pas voulu, faire d'offrande, et afin qu'ils ne soient pas oubliés de Ganesh.
Disposés à toutes les attentions pour être agréable au dieu éléphant et, accessoirement, bien s'afficher comme des croyants particulièrement pieux, beaucoup de commerçants (DVD, vêtements, alimentation) placent devant leur boutique des petits autels où trône Ganesh et brûle de l'encens ainsi que des lampes à huile. Mais le clou (aucune référence catholique dans ce mot) du spectacle réside dans les petites pyramides de dizaines de noix de cocos recouvertes de safran qui sont élevées devant ces autels, sur la chaussée. Au passage de la procession, les hommes les fracassent avec force contre le bitume dans un véritable tonnerre. Les fruits éclatent, le lait de coco gicle et éclabousse les spectateurs trop proches, un sentiment orgiaque accompagne l'opération. La nourriture jonche désormais le sol, certains ramassent des morceaux épars et des connaissances théologiques supplémentaires semblent nécessaires pour distinguer s'il s'agit d'un acte de foi ou de gourmandise.
Après le char des hommes, celui des femmes s'avance à son tour, lui aussi tiré à la corde. Si ce sont bien des femmes qui empoignent les cordes, les hommes restent à la manœuvre en dirigeant son avancée. Le toit du char est orné de plumes de paon, pendant qu'un haut-parleur débite des chants stridents, repris doucement par la foule. Comme dans le précédent, un gourou bénit les offrandes, les asperge et y dépose quelques fleurs.
La foule est bien sûr constituée très majoritairement d'Indiens et/ou de Sri Lankais mais beaucoup de Blancs sont venus et pas tous pour un tourisme parisien inhabituel. Les convertis sont aisés à distinguer puisqu'ils vont pieds nus. La fascination pour l'hindouisme, comme pour le bouddhisme, résulte autant du rejet du christianisme criminel et puritain que de l'illusion sur les "spiritualités de l'orient", une imposture servie par le baratin publicitaire du Dalaï Lama et d'européens naïfs en quête d'exotisme. C'est la fable du bon sauvage qui prétend que les sociétés considérées comme primitives (dans la propagande islamo-judéo-chrétienne, le polythéisme passe pour primitif) seraient préservées des maux engendrés par la civilisation et le progrès. C'est ignorer bien vite les bénédictions payantes, le pouvoir des gourous, l'obscurantisme, les chars pour chaque sexe, l'horreur absolue du sati, ainsi que l'existence d'une extrême droite hindoue (et pas seulement indienne) dans laquelle nationalisme et hindouisme sont inséparables.
Enfin, après cette initiation à une spiritualité nouvelle, alors qu'en ce mois de ramadan d'autres s'astreignent à un jeûne absurde pour mieux se goinfrer dès le soleil couché (gain de poids et hyperglycémie), un ressourcement gastronomique s'impose dans un des nombreux restaurants du quartier. En ce jour "divin", un savoureux biryani vous est servi pour dix euros : riz au safran, agneau, poulet tandoori, une sauce très épicée, une sauce au yaourt, une tige de cannelle, des piments et un gâteau à la semoule. Ganesh akbar ! Et dans la rue Philippe-de-Girard, où se trouve le temple de Ganesh au n° 72 (au n° 77, une mosquée a été discrètement aménagée mais aucune plaque ne l'indique), on offre du riz au safran et une boisson non identifiée mais délicieuse (peut-être lait de coco et grenadine ?).
La journée se termine sans avoir beaucoup prêté attention à l'histoire de Ganesh. Il y a bien longtemps, sa mère lui avait confié le rôle de gardien de sa porte mais son père Shiva, furieux de ne pas pouvoir approcher son épouse, lui tranche la tête sans savoir que c'était son fils. Dépité, il lui donne alors la tête du premier animal rencontré, un éléphant, une preuve d'amour paternel aussi émouvante que celle d'Abraham prêt à égorger son fils sur ordre de "Dieu" : les religions excellent dans le recyclage des histoires sales au nombre desquelles on compte aussi celle de Mahomet marié à une gamine avec laquelle il n'a pas fait que jouer à la poupée et celle du légendaire Jésus torturé sur une croix toujours exhibée en pendentif par ses adeptes.
23 février 2010
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