Science et religion :
France Culture s'égare
Bonne nouvelle : du 9 au 13 mars 2015 France Culture a diffusé une série d'émissions sur la confrontation entre science et religion.
Mauvaise nouvelle : sur cinq émissions, deux étaient clairement complaisantes envers les sectes monothéistes (10 et 13 mars).
A cela il faut ajouter que, chaque dimanche matin, trois heures trente minutes sont consacrées par cette radio à la promotion des superstitions les plus ridicules, les émissions religieuses. Au milieu de ce fatras irrationnel tentent d'émerger quatre minutes pour la science et vingt minutes pour les mouvements laïques.
Semaine Science et religion sur France Culture du 9 au 13 mars 2015 à 14h :
9 mars : De la difficulté d’enseigner que nous sommes des primates
avec :
- Corinne Fortin, professeur de SVT, formatrice à l'ESPE (Écoles supérieures du Professorat et de l'Éducation) ;
- Valérie Sipahimalani, professeur de SVT au lycée Jules Ferry à Paris.
Dans cette émission particulièrement instructive, les deux enseignantes ont confirmé qu'il existe parfois en France une contestation réelle de la théorie de l'évolution mais qu'elle n'atteint toutefois pas le niveau d'opposition rencontré dans d'autres pays. La contestation provient soit d'attitudes religieuses, très revendicatives, soit, plus souvent, de convictions finalistes requérant qu'il y ait nécessairement un but dans l'existence du vivant et que cette finalité soit l'espèce humaine. L'enjeu est alors d'éloigner les élèves du réflexe anthropocentriste, d'autant plus qu'il semble délicat pour certains d'entre eux de concevoir notre appartenance au monde animal quand on devient un jeune adulte. Sur le plan biologique, il s'agit de leur faire comprendre que l'évolution est un mélange de hasard (des mutations génétiques aléatoires) et de nécessité (par la sélection). Enfin, il ne faut pas ignorer le cas des concordistes qui ne s'opposent pas à l'évolution pour, plutôt, l'inclure dans leurs schémas religieux.
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10 mars : Science et religions se penchent sur l’embryon humain
avec :
- le docteur Dalil Boubakeur, médecin, recteur de la Grande Mosquée de Paris et Président du Conseil Français du Culte Musulman ;
- le père jésuite Bruno Saintôt, directeur du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres ;
- le rabbin Michaël Azoulay, membre du Comité National d’Ethique de 2008 à 2013 ;
- le docteur Paul Atlan, gynécologue.
Aucune femme n'a été invitée sur des sujets qui les concernent au plus près. Une fois de plus, ce sont des hommes qui décident du corps des femmes sur des points majeurs tels que le statut de l'embryon, la contraception, l'IVG, l'interruption médicale de grossesse, la fécondation in vitro, les cellules souches et les perspectives thérapeutiques.
Dalil Boubakeur commence par une énormité : "nous avons dans le Coran une description assez complète de l'embryogénèse", alors que les versets concernés ne sont que de vagues déclarations autorisant un grand éventail d'interprétations où on trouve tout et son contraire. Boubakeur fait de la surinterprétation pour conférer au Coran une dimension médicale en mêlant des données scientifiques quantitatives et des propos fumeux, intuitifs, issus de sa religion. Deux exemples du charabia servi par le recteur de la Mosquée de Paris : "L'embryon est, du point de vue islamique, une promesse de personne" et "La vie est un don de Dieu et ce don existe dès la phase de la fécondation", ce qui n'a aucune valeur scientifique, au-delà de la formule de style toujours utile au contentement de son auteur. Autre question centrale pour les professionnels de la religion : est-ce que la vie des embryons surnuméraires est sacrée ou non ? C'est "un petit peu entre les deux" pour Boubakeur. Se taire aurait été aussi instructif. Champion de la formule, Boubakeur délivre une autre déclaration qui ne doit rien à l'improvisation : "la religion est certainement un guide moral et souvent un frein de prudence". "Frein de prudence" est assurément plus habile que accumulation d'interdits, éloge de la soumission, acceptation des frustrations, fatalisme, abandon du libre arbitre, etc.
Comme la principale différence entre les monothéismes ne réside pas dans le fond de la doctrine mais dans la chronologie de leur apparition et leur développement, le rabbin Michaël Azoulay adopte une stratégie identique : surinterpréter le Talmud pour transformer en vérités médicales des écrits approximatifs et peu élaborés (fœtus qui ressemble à une "noix posée dans un bol d'eau", "grumeau"). On admirera l'excuse d'une "description évidemment tributaire des connaissances de l'époque sur l'embryon" pour exprimer que, finalement, le Talmud ne sait dit rien de précis ni utile sur les premières phases du développement de la future personne.
Troisème larron, le jésuite Bruno Saintôt use lui aussi d'une formule piteuse pour traduire que, pour l'Église, il est impossible d'être définitif sur le statut de l'embryon : celui-ci aurait un "statut énigmatique". L'Eglise ne dit pas que l'embryon est une personne mais elle estime qu'il doit être traité "comme une personne", une pirouette pour masquer son ignorance et sa gêne sur le sujet. Ici aussi, se taire aurait été aussi éclairant.
Plus concrètement, quelques cas graves sont présentés dans lesquels l'avis d'un religieux (islam, judaïsme, christianisme et marabout africain) a été nécessaire pour faire accepter à des femmes une interruption de grossesse ou une césarienne. La gravité des discussions entre les religieux et les patientes indique bien à quel point certaines d'entre elles sont aliénées au discours religieux mais acceptent heureusement, in fine, les avis médicaux dans les situations les plus critiques. Si la religion s'oppose à l'avortement, la croyante le refuse, mais si la religion change d'avis, la croyante change aussi son point de vue. On ne saurait mieux illustrer la subordination à une autorité morale.
Enfin, à propos des embryons surnuméraires fournisseurs de cellules souches, le rabbin en accepte l'utilisation thérapeutique, argumentant que l'embryon in vitro n'a rien à voir avec l'embryon in utero. Mais le jésuite et le recteur de la Mosquée de Paris s'y opposent.
L'écoute de l'émission est utilement complétée par la lecture des commentaires sur la page de l'émission : c'est une accumulation de réaction outrées sur l'absence des femmes sur un sujet aussi essentiel. Le décalage est grand, et révélateur du machisme des médias comme des religions, entre les attentes du public et le discours dominant véhiculé par ceux (et pas celles) qui ont accès aux médias.
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11 mars : Comment cartographier les religions ?
avec :
- Delphine Papin, docteur de l'Institut francais de géopolitique, Université Paris 8 et cartographe au journal Le Monde ;
- Frédéric Dejean, chercheur post-doctoral à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal ;
- Frédéric Mounier, spécialiste des religions au journal La Croix.
En cartographie, assigner une religion à un territoire est une tâche très délicate car elle se fait au détriment de la diversité locale. Comment représenter les minorités religieuses au niveau d'un pays ?
Comment rendre compte de la diversité religieuse à l'échelle des quartiers dans les zones urbaines ?
Par exemple, l'influence réelle du pentecôtisme n'est pas présentée de façon réaliste dans les cartes habituelles.
En Seine-Saint Denis, il n'est pas suffisamment rendu compte du développement des églises évangéliques, l'islam n'étant pas la seule religion à progresser en nombre d'adeptes et en visibilité. L'introduction de cartes dynamiques apparaît alors nécessaire pour une meilleure appréciation des phénomènes religieux puisque la démographie statique ne suffit plus.
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12 mars : Les démêlés de la science et des religions
avec le professeur Bernard Debré, chirurgien urologue et homme politique, auteur de Des savants et des dieux au Cherche Midi éditeur.
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13 mars : Comment un scientifique peut-il croire en Dieu?
avec :
- Jean-Michel Maldamé, membre de l'Académie Pontificale des Sciences et de l'Academie internationale des Sciences Religieuses, Professeur de théologie et doyen honoraire de la faculte de Philosophie de l'Institut catholique de Toulouse ;
- Marie-Dominique Devignes, chercheur au CNRS, biologiste, en poste dans un laboratoire d'Informatique à Nancy pour y développer des recherches sur l'extraction de connaissances à partir de données biologiques et biomédicales ;
- Bruno Guiderdoni, astrophysicien converti à l'islam ;
- Michel Menvielle, géophysicien spécialiste du champ magnétique terrestre.
Incroyable faire-valoir du mysticisme des scientifiques invités, l'émission de Michel Alberganti aurait mieux convenu dans le cadre des émissions religieuses du dimanche matin. Quelques idées générales peuvent être dégagées :
- la Bible et le Coran sont des textes figés mais leur lecture est évolutive (Guiderdoni, Menvielle) : il s'agit de faire dire à un texte le contraire de l'interprétation qui en a toujours été faite auparavant. En d'autres termes, le niveau d'intelligence de l'intellectuel croyant d'aujourd'hui cautionne son détournement des versets contre l'avis de ses prédécesseurs qui, pendant des siècles, en ont eu une compréhension littérale : c'est nier que la théologie n'est, siècle après siècle, qu'une longue série de reculades ;
- "Dieu" n'a pas vocation à combler les lacunes de la science (Maldamé), mais dès qu'on trouve une convergence entre science et religion, on s'empresse de s'en réjouir (par exemple l'unicité du concept de "Dieu" dans l'islam et la quête des physiciens de l'unification des lois de la physique) ;
- la création n'est pas (n'est plus) l'apparition du monde ex-nihilo (Maldamé : "la création, elle est au présent") mais devient "un jaillissement permanent" (Guiderdoni) : à défaut de pouvoir changer ce mot fondamental (création) dans les textes présentés comme sacrés, on en modifie le sens pour se défaire des archaïsmes qu'il engendre ;
- afin d'éviter les conflits, science et religion doivent suivre des voies parallèles dont les méthodes et les objectifs sont différents (Guiderdoni, Menvielle) mais on se plait à rappeler que "en Dieu il y a de la place pour toutes les découvertes scientifiques" (Devignes).
Émission désastreuse donc, et dont les commentaires très négatifs sont révélateurs de l'isolement des scientifiques croyants. De plus, la difficulté manifestée par le journaliste pour retenir les noms de ses invités s'ajoute au manque général de rigueur.
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31 mai 2015
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