Nostalgie de la monarchie dans l'église de la Madeleine à Paris et dans son quartier
A un jet de crucifix de la place de la Concorde où furent guillotinés Louis XVI et Marie-Antoinette, l'église de la Madeleine est un exemple parfait de ce christianisme revanchard du 19ème siècle. Décidée par Napoléon, l’église Sainte-Marie-Madeleine, avec son architecture de temple grec, devait initialement célébrer les armées de
l’empire. Elle a intégré peu après le culte catholique et fut ouverte en
1842. Son architecture païenne a alors trouvé absolution dans
l’annonce de la reconquête du pays par un catholicisme hargneux.
Le projet initial prévoyait d’y installer le tombeau de Louis XVI avec une statue du
roi présentant son testament ; une statue de Marie-Antoinette et des
autres membres de la famille royale devait compléter la scène. Mais ce
projet fut abandonné au profit de la Chapelle Expiatoire située à
proximité, rue Pasquier.
La France repentante est un élément omniprésent à la Madeleine et on
peut l'observer sur la façade de l’édifice, dans le fronton de
Lemaire réalisé en 1833. Marie-Madeleine, c'est-à-dire la France, est agenouillée
devant le légendaire Jésus et implore son pardon. Placée du côté
où souffrent les réprouvés, son acte de contrition la destine à passer à
la droite du Christ, avec les vertueux. Le puissant JC sépare en effet les bons des méchants : à sa droite, les élus pour le Paradis sont sereins, à sa gauche la fange destinée à l'Enfer est en proie aux tourments : visages terrifiés, bras agités, et, surtout, un ange qui chasse les malheureux en enfer, l'épée à la main. Le catholicisme, une religion de paix ?
Luxe et dorures abondent à l’intérieur de l’église comme pour ressusciter un christianisme nostalgique de son triomphe passé, ce même christianisme qui requérait, quelques
siècles auparavant, l’invention du gothique flamboyant pour célébrer sa puissance.
En entrant dans le temple, dans un recoin situé juste après chacune des deux portes d'entrée, deux petites plaques sombres autant qu'anciennes ne peuvent être remarquées que par des mécréants indiscrets : on y interdit au public de cracher. Les chrétiens avaient-il l'habitude de se soulager dans la maison du "Seigneur" ?
A quelques pas de là, dans la boutique de bondieuseries, une plaque de grandes dimensions rappelle un événement que la presse de l'époque avait illustré. Le 15 mars 1894, un anarchiste belge, Amédée Pauwels, est victime de l'explosion prématurée de sa bombe dans l'entrée de l'église. Le texte de la plaque n'en doute pas : c'est saint Joseph qui a protégé l'église, le curé et les croyants.
Entre les deux portes d'entrée, sur le côté droit en se tournant vers l'entrée, un tronc appelle les bons paroissiens au racket municipal : l'argent récolté est destiné aux œuvres sociales de la mairie du 8ème arrondissement. Une église qui pratique l'aumône pour la municipalité est l'étrange conception parisienne de la séparation entre l'Église et l'État.
Plus loin, sur le côté droit de la nef, c'est la Commune de Paris qui est fustigée. Il ne s'agit pourtant pas d'une déclaration claire et argumentée, trop compréhensible pour les touristes, mais d'une évocation détournée et sournoise avec une plaque commémorative à la mémoire de son curé fusillé à cette occasion. L'abbé Deguerry fut incarcéré à la prison de la Roquette et il y fut fusillé le 24 mai 1871. Le texte n'évoque pas l'évènement en citant nommément la Commune de Paris ou la révolte du peuple de Paris mais vise à attirer la compassion du visiteur et du fidèle par la dissimulation des faits aidée par un texte niais. Expliquer que l'abbé est "mort pour la foi et la justice" incline à un apitoiement envers la secte romaine catholique au lieu d'admettre que la Commune fut une réaction populaire contre les nantis, les dirigeants, l'Église, tous représentants d'un ordre qui n'avait pas pour ambition l'amélioration du quotidien des classes les plus pauvres de la société.
Enfin, au fond, le dôme du chœur concentre la mission totalitaire de l'Église catholique qui s'est toujours voulue, et se considèrera toujours, universelle (cf. l'étymologie grecque du mot catholicisme).
La Restauration a choisi d’y distiller ses injonctions pour
une France chrétienne par l’étalage de moult grands personnages dans
la coupole. Celle-ci est ornée d’une fresque de Ziegler achevée en
1838 qui présente une France repentante agenouillée devant Jésus : le
salut du pays ne peut passer que par le reniement de son histoire
révolutionnaire et le retour dans le giron de la religion. La France, ici encore
figurée par la pécheresse Marie-Madeleine, est aux pieds du fondateur
mythique et est suivie par la longue lignée des monarques qui ont,
depuis les origines, assuré au christianisme le soutien de son bras
armé. Des croisades à Napoléon Bonaparte en passant par Jeanne
D’Arc et la dynastie des capétiens, le pays se donne tout entier à la
religion pour expier les fautes de 1789. Cette assemblée apologétique
est dominée par Jésus, entouré de ses douze apôtres. Napoléon et
Pie VII trônent en avant-plan avec une évocation du Concordat. La France et l’Église ne font qu’un, c’est la revanche de la
chrétienté sur les Lumières.
En sortant de l'édifice, la galerie qui entoure le
bâtiment comprend de nombreux saints français, ce qui inscrit encore le pays dans une lignée chrétienne. Plus amusant, sur la façade nord, la statue de saint Luc a subi une mésaventure qui rendrait jaloux des saints acéphales comme Denis et Valère. En 1918, le 30 mai, qui fut aussi le jour de la Fête Dieu, un obus allemand frappe l'église. Le bâtiment résiste, saint Luc beaucoup moins et perd la tête. Mais la nature reprenant toujours ses droits, les pigeons du quartier savent très bien se débrouiller, sans la tête de saint Luc, pour continuer à orner le bonhomme de leurs fientes.
L'unité antirévolutionnaire observée à l'intérieur de l'édifice est en fait incluse dans un quartier qui s'inscrit dans la même ambiance souffreteuse d'une aristocratie défunte.
Le temple est encadré, au nord, par la rue Tronchet, avocat de Louis XVI, et au sud, par la rue Royale. Au bout de la rue Royale se trouve la place de la Concorde et à l'angle de la place avec la rue Boissy d'Anglas, un souvenir du monarque est pieusement conservé : protégé par une plaque de plexiglass, une inscription difficilement lisible rappelle que la place avait reçu le nom de "Place Louis XVI" (de 1826 à 1830).
Mais ce n'est pas tout et les hommages de la voirie comptent deux autres exemples. A partir de l'angle nord de la place de La Madeleine, à proximité du début de la rue Tronchet, une rue a été baptisée du nom d'un des deux avocats de Marie-Antoinette, Chauveau-Lagarde. Le second n'est pas bien loin : il suffit de poursuivre par la rue Pasquier vers le nord pour arriver à la rue Tronson Du Coudray, "défenseur de Marie-Antoinette", comme indiqué sur les plaques.
L'inscription chrétienne et monarchique parfaitement visible à l'entrée de la Chapelle Expiatoire et la devise républicaine LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ à peine visible en dessous
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Ces rues n'ont pas été disposés dans le quartier par hasard : la Chapelle Expiatoire est à deux pas. D'une inélégance rare, cet édifice a été élevé de 1815 à 1826 à l'emplacement où, en janvier et octobre 1793, le boulanger, la boulangère sans le petit mitron ont été jetés de leur tombereau pour y être enterrés rapidement. Le texte gravé au-dessus de l'entrée de l’édifice rappelle la mission divine du souverain en s’inscrivant dans un cadre religieux : le bâtiment a été construit "pour consacrer le lieu". À l’intérieur, une statue de Louis XVI emporté au ciel par un ange, avec son testament reproduit sur le socle, fait face à Marie-Antoinette qui implore l’Église. Au sous-sol de la chapelle, un autel a été construit à l’emplacement précis où
les restes royaux auraient été retrouvés mais dont l’authenticité réelle demeure incertaine. La Chapelle Expiatoire est devenue un lieu de mémoire pour les monarchistes avec le dépôt d'une gerbe de fleurs de lys chaque 21 janvier, jour anniversaire de sa décapitation.
Enfin, le square qui entoure la Chapelle Expiatoire a reçu, on n'en est plus étonné, le nom de "Square Louis XVI".
L'histoire de ce parcours est presque terminée, seul reste à examiner un élément auquel aucun touriste ou employé de bureau du quartier qui vient y manger son sandwich du midi ne prête attention : l'inscription LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ située juste en-dessous de celle précédemment évoquée. Leur inattention est toutefois excusable : l'inscription est très effacée et difficilement discernable. A la Chapelle Expiatoire, la République laïque n'est vraiment pas la bienvenue.
De la Place de la Concorde à la Chapelle Expiatoire, en passant par l'église de la Madeleine et plusieurs rues baptisées de façon adéquate, c'est donc le souvenir du trajet ultime de Louis XVI et de Marie-Antoinette qui est inscrit dans le patrimoine urbain du 8ème arrondissement de Paris.
A lire sur le même sujet : Une autre visite des églises de Paris, un livre de Jocelyn Bézecourt.
Note : je dois toutefois saluer l'amabilité d'un curé de la Madeleine qui m'avait permis, en 2004, de réaliser avec la plus grande facilité des photos de la coupole depuis l'autel et avec un pied photo, alors que les photos dans les bâtiments gérés par la Réunion des Musées Nationaux (une instance entièrement républicaine dénuée de toute gestion religieuse), comme le Panthéon et la Chapelle Expiatoire, n'étaient possibles qu'à un prix exorbitant.
21 juillet 2012