Les drapeaux en berne : la République s'agenouille devant le Vatican
On croyait l'Eglise et l'Etat séparés depuis 1905 mais Jacques Chirac en a décidé autrement. Le chanoine en poste à l'Elysée a ordonné que les drapeaux tricolores soient mis en berne sur les bâtiments publics suite à un évènement religieux qui, pourtant, ne saurait émouvoir la République. Alors que le décès de Jean Paul II ne concerne que les catholiques (soit 60 % de la population française avec des critères larges), le drapeau qui domine l'Assemblée nationale a été immobilisé sur son mât et ceux situés devant son entrée abaissés. Plusieurs ministères se sont prosternés de même devant la mémoire du despote défunt. Constat identique aux Invalides et au Louvre. L'Hôtel de Ville, comme plusieurs mairies d'arrondissement, s'est joint à l'affliction générale en mettant en berne ses deux drapeaux. Pire, les écoles publiques, et paraît-il laïques, ont elles aussi imposé le recueillement à leur drapeaux ! Et l'Europe, terrain de chasse très convoité par l'Eglise catholique, s'est vue pareillement convoquée à la mortification : le drapeau européen dressé devant l'Assemblée nationale a été contraint de baisser la garde, assaut supplémentaire pour une Europe cléricale. Qui ose donc parler de laïcité quand le pouvoir politique l'insulte avec tant d'impudence et d'ostentation ?
Une école maternelle dans le 4e arrondissement de Paris
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La complaisance et la servilité du pouvoir à l'égard du Vatican n'étaient pourtant pas à démontrer mais le pas franchi est caractéristique d'un gouvernement de culs bénits toujours prompts à se traîner dans les églises avec le front bas et la mine grave. Chirac, Raffarin et d'autres ministres se sont pressés dimanche 3 avril à la cathédrale Notre-Dame à Paris pour un hommage à l'ancien chef de la dernière dictature d'Europe. Raffarin avait d'ailleurs interrompu ses activités ministérielles vendredi pour aller prier en l'église Saint Augustin, sans succès cependant puisque le chef romain est allé, le lendemain, vérifier in situ les thèses chrétiennes sur l'au-delà. Un président et des ministres qui prient pour le salut d'un pape, voilà le vrai visage d'un gouvernement clérical dissimulé derrière les termes de République et de laïcité pour mieux abuser son monde. La pénétration du christianisme dans les institutions est d'ailleurs apparue avec éclat le mardi 5 avril quand l'Assemblée nationale a respecté un instant de silence en mémoire de Jean Paul II ! Signes du mépris de l'Etat pour les sentiments laïques de la population, les drapeaux en berne et les prières des ministres sont une négation arrogante du phénomène général de déchristianisation. Contre la force émancipatrice de la laïcité, le gouvernement opte pour la subordination des symboles républicains au despotisme chrétien. Un peuple émancipé et autonome a toujours été une menace pour la suprématie des Etats et la décision de mettre les drapeaux en berne entre dans cette problématique par le rappel de la religion comme valeur suprême intemporelle. Rien de tel que la religion pour dissuader de protester, contester, revendiquer; l'Etat ne peut rêver meilleure alliée.
L'attachement aux valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité n'est pas l'admiration béate de ceux qui s'en prétendent les dépositaires et qui s'imaginent incarner les idéaux républicains. Le recours au symbolisme facilite l'atteinte à ces valeurs puisque le symbole, par l'absence d'une définition univoque, permet sa propre manipulation. Le drapeau tricolore n'est pas simplement l'héritier de la Révolution et du rejet de l'ordre ancien, c'est aussi un étendard brandi à la guerre pour exhorter au combat et dans les stades de football dans la haine de l'équipe adverse. Figer un idéal dans une représentation (personnification dans la figure de Marianne, recours à la chanson - La Marseillaise - ou au drapeau) l'ampute nécessairement et c'est le premier pas pour son détournement. On ne saurait donc être étonné que les ennemis de la laïcité préfèrent attaquer ou détourner ses représentations plutôt qu'oser exprimer avec franchise leur opposition à ses principes. Les drapeaux en berne participent de cette stratégie en assujettissant l'objet incarnant la laïcité à la transcendance de la superstition et à l'autorité d'une théocratie; l'objet étant perverti, la laïcité le devient. Ceci n'est rendu possible que par le remplacement d'une définition précise de la laïcité par des symboles au sens vague et que chacun arrange à sa guise selon l'époque et les circonstances, au football comme à la guerre. Pour être défendue, la laïcité n'a nul besoin d'une icône, fut-elle tricolore.
Photographies de drapeaux en berne sur des bâtiments publics à Paris le 4 avril 2005 :
Etablissements d'enseignement publics :
Ecole élémentaire, 8, rue des Vertus, 3e arrondissement
Lycée Nicolas Flamel, 8, rue de Montmorency, 3e arrondissement
Ecole maternelle, 40, rue des Archives, 4e arrondissement
Ministère :
Ministère de la Parité et de l'Egalité Professionnelle, 101, rue de Grenelle, 7e arrondissement (extrémité rouge de l'étoffe attachée à la base de la hampe)
Mairies :
Hôtel de Ville, 4e arrondissement
Hôtel de Ville (détail), 4e arrondissement
Annexe de l'Hôtel de Ville, rue de Lobau, 4e arrondissement
Mairie du 4e arrondissement, place Baudoyer
Mairie du 6e arrondissement, place Saint-Sulpice
Mairie du 7e arrondissement, rue de Grenelle
Autres :
Hôtel des Finances, place Saint-Sulpice, 6e arrondissement
Cour de Justice de la République, 21, rue de Constantine, 7e arrondissement
5 avril 2005
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