Dom Juan
Molière
On connaît le Dom Juan coureur de jupons, jamais rassasié de conquêtes féminines, et pour lequel une relation qui dure est une relation qui s'affadit. Cependant, sait-on suffisamment que le libertinage n'affranchit pas seulement de l'austérité du puritanisme mais qu'il libère aussi de la tutelle divine ? Le Dom Juan de Molière apparaît alors comme un libre penseur impénitent.
Dom Juan est d'abord un incroyant :
"SGANARELLE. : [...] je t'apprends (inter nos,) que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons" (acte 1, scène première)
"SGANARELLE.- Voilà un homme que j'aurai bien de la peine à convertir. Et dites-moi un peu, encore faut-il croire quelque chose. Qu'est ce que vous croyez?
DOM JUAN.- Ce que je crois?
SGANARELLE.- Oui.
DOM JUAN.- Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit." (acte 3, scène première)
Il ne craint rien et n'a cure de l'opinion de la multitude.
"DOM JUAN.- Sganarelle, le Ciel!
SGANARELLE.- Vraiment oui, nous nous moquons bien de cela, nous autres." (acte 1, scène 3)
Il est aussi peu terrifié du châtiment divin, dans la scène II du premier acte, que plus tard face à la statue du Commandeur. Mais, avec ce dernier personnage, Molière place Dom Juan dans une situation assez difficile, et insoluble, puisqu'il le met en présence d'un fait surnaturel présenté comme réel. Cependant, face au spectre qui apparaît dans la scène V de l'acte V, Dom Juan agit en rationaliste en voulant effectuer une vérification pour ne pas laisser une illusion abuser ses sens :
"SGANARELLE.- Ah, Monsieur, c'est un spectre, je le reconnais au marcher.
DOM JUAN.- Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c'est.
Le Spectre change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main.
SGANARELLE.- Ô Ciel! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure?
DOM JUAN.- Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit.
Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper."
Quant aux promesses du Ciel, Dom Juan s'en moque avec délice dans la scène du pauvre (acte III, scène II) :
"LE PAUVRE.- Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens.
DOM JUAN.- Eh, prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres."
Dom Juan accepte-t-il finalement de faire pénitence et de s'en remettre au Ciel (acte V, scène III) ? Pure hypocrisie comme il le confesse à Sganarelle, son valet (acte V, scène II) :
"DOM JUAN. : [...] Combien crois-tu que j'en connaisse, qui par ce stratagème ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d'être les plus méchants hommes du monde? On a beau savoir leurs intrigues, et les connaître pour ce qu'ils sont, ils ne laissent pas pour cela d'être en crédit parmi les gens, et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d'yeux rajustent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire."
ou Tartuffe démasqué par Dom Juan.
Dom Juan libre penseur incarne l'absolue liberté, l'absolue autonomie intellectuelle qui ne l'assujettit à aucune caste de clerc. Il périt naturellement sous le feu du Commandeur selon le même stratagème qui a conduit Galilée dans le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde à donner le dernier mot au simplet défendant le géocentrisme choisi par l'Eglise : sauver les apparences imposées par une religion toute puissante pour se protéger de la censure.
Le texte complet de la pièce
Les analyses de René Pommier sur la pièce, la scène du pauvre en tant que scène sacrilège et le rôle du Commandeur.
31 mai 2006
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