Tariq Ramadan et Alexandre Del Valle, même combat

Tout a été dit, ou presque, sur la cécité de certains vis-à-vis du faussaire Tariq Ramadan, apôtres d'une laïcité qu'ils voudraient "ouverte" à tous les vents pour mieux la vider de sa substance. Si une partie de la frange extrême gauche de ceux supposés défendre la laïcité penche parfois pour le gourou suisse au nom de l'intoxication sociale qu'est la théologie de la libération, d'autres éléments s'abandonnent à un aveuglement tout aussi incroyable envers un autre manipulateur qui sait user d'un langage qui n'est pas seulement double mais à facettes multiples. Se gardant de receler des penchants nauséabonds, ceux-ci s'aventurent pourtant dans le marécage hasardeux de l'admiration sans borne d'Alexandre Del Valle (un nom de plume). Au motif que, finalement, l'islam prête largement le flanc à la critique, chose qu'aucun humaniste ne saurait nier, certains perdent leur capacité d'analyse et franchissent imprudemment le pas qui les mène du rejet, nécessaire, du fondamentalisme musulman à l'admiration du personnage Del Valle. En détournant néanmoins yeux et oreilles lorsque leur est exposé le passé peu démocratique et laïque de celui dont les textes font le bonheur de nombreux sites d'extrême droite sur internet.

Exposées dans le journal Ras l'front en avril-mai 2002 sous la plume très documentée de René Monzat, les activités et relations de Del Valle laissent paraître de nombreuses collaborations avec tout ce qui relève, au sens large, de l'extrême droite. Qu'elle soit catholique ou païenne, sioniste ou antisémite, tout est bon pour assurer la popularité et l'ascension de Del Valle. Ou, plus précisément, tout fut bon puisque, au fur et à mesure qu'il était propulsé à la une des médias, il a peu à peu tenté de se démarquer de ces relations encombrantes et s'attache désormais à cultiver une image plus respectable. Sa candidature à la vice-présidence de l'UMP en novembre 2002 participe de cette stratégie. Celui pour qui "Le Pen n'est pas un fasciste" mais un "souverainiste" (La Padania du 23 avril 2002, dont le directeur politique est Umberto Bossi) bénéficie de tribunes dans Le Figaro où on peut lire avec stupeur qu'il propose "de ne renouveler qu'un départ à la retraite sur trois dans la fonction publique" (22 juin 2003). Ses admirateurs candides qui se targuent de rejeter l'extrême droite peuvent-ils simuler la neutralité face à sa participation à des sessions de formations des militants du GUD, un mouvement néo-nazi ? Ou ignorer sa collaboration à un ouvrage dirigé par Bernard Antony (un cadre catholique intégriste du Front National) et publié en décembre 2003, comme l'a révélé avec éclat René Monzat lors de l'audience du 15 janvier 2003 qui l'opposait à Del Valle devant la 17^ème Chambre correctionnelle de Paris ? Ce dernier avait déposé une plainte pour diffamation et injure suite à la publication du fameux article de Ras l'front.

L'adroite manœuvre de Del Valle aura été de paraître s'éloigner de l'extrême droite pour incarner un discours de droite dure qui n'a d'autre vocation que de constituer une passerelle pour alimenter l'UMP. Et beaucoup sont prêts à emprunter la passerelle pour un trafic d'idées nauséeuses. Voir des antifascistes, sincères défenseurs de la laïcité, se fourvoyer en participant à la construction du pont ne laisse pas d'inquiéter et permet de mesurer leur besoin, ou leur fascination, d'une dépendance intellectuelle qui les fait adhérer à une ligne politique d'autant mieux qu'un gourou est là pour les berner.

Goya a représenté magnifiquement comment le sommeil de la raison peut engendrer des monstres. Que les citoyens excédés par les barbus et désespérés par la soumission volontaire des femmes voilées ne la laissent pas sombrer dans une léthargie dont elle ne se relèvera que pour s'horrifier de son propre égarement. Les fauves sont déjà là qui guettent leurs proies consentantes.


21 janvier 2004


Réponse d'Alexandre Del Valle publiée dans le numéro 239 de Respublica (24 février 2004) suite à la parution du texte ci-dessus dans le numéro 229 (20 janvier 2004).