Le voyage nocturne de Mahomet




Tout le monde connaît la blague catholique selon laquelle un gourou antique aurait marché sur un lac, il y a près de 2000 ans. Bien qu'ancienne, l'histoire fait encore rire, hormis un pasteur qui, en août 2006 au Gabon, est mort noyé après avoir échoué à reproduire le prodige (AFP, 29 août 2006). Chaque monothéisme apporte son lot de plaisanteries et la concurrence musulmane, jugeant sans doute que la flotte, c'est un peu plat, a imaginé plus extraordinaire : c'est dans le ciel que le gourou a été propulsé, une nuit. Mais Mahomet n'eut pas le destin d'Icare et la fable fait toujours recette, particulièrement dans la basse littérature qui encombre les rayonnages des librairies islamiques parisiennes à Barbès, dans la rue Jean-Pierre Timbaud ou encore au congrès annuel de l'UOIF.

Parmi ces chefs d'œuvres de la littérature obscure, un petit livre (vert pour son édition de 1997), pas cher, d'une lecture peu exigeante sur le plan neuronal, conte avec moult détails ce fameux voyage nocturne qui aurait emmené Mahomet à la mosquée de Jérusalem (pourtant inexistante à cette époque). Ecrit par Cheikh 'Abd al-Halîm Mahmûd et publié par les Editions Maison d'Ennour (Paris), Le voyage nocturne et l'ascension du Prophète est un condensé prédigéré de ce qui doit être gobé par quiconque croit parce que c'est absurde. Tous les détails du périple sont indiqués : le moyen de locomotion (le cheval Al-Burâq, "une bête blanche, plus grande que l'âne et plus petite que le mulet"), le circuit (ascension aux sept cieux), la rencontre des collègues (Abraham, Moïse et Jésus, parterre devant lequel Mahomet se voit confier le soin de dire la prière), et, comme al-Burâq était en bonne forme, c'est finalement tout l'univers que Mahomet a traversé pour rejoindre le paradis. En chemin, on rencontre les punitions habituelles : la géhenne pour les mécréants, les châtiments corporels, la lapidation pour le non-respect des prières, diverses menaces contre le non respect de la zakat (la dîme musulmane), les châtiments contre la pratique de l'usure. Sans oublier la femme qui "représente le bas monde", qui est torturée en cas d'adultère et qui est finalement comparée à un morceau de viande... Ce dernier point ne saurait être repoussé pour obsolescence : en octobre 2006, un mufti libanais en Australie a repris cette comparaison pour justifier les viols de femmes au physique non dissimulé (AFP 27 octobre 2006).

Le point central du voyage nocturne de Mahomet est l'affirmation de sa réalité physique, nulle métaphore dans cette superstition. Le Coran y consacre la sourate XVII qui débute ainsi :
"Gloire à celui qui a fait voyager de nuit son serviteur de la Mosquée sacrée à la Mosquée très éloignée dont nous avons béni l'enceinte, et ceci pour lui montrer certains de nos Signes. - Dieu est celui qui entend et qui voit parfaitement -" (traduction Denise Masson).
On nage en pleine certitude. Cheikh Mahmûd confirme avec insistance la réalité physique du voyage et annonce que quiconque n'y verrait qu'un rêve "dégringolera [...] jusqu'au matérialisme, et depuis les domaines de la lumière céleste jusqu'aux ténèbres de la polémique et de l'égarement dans la discussion sur l'Islam".

Cheikh Mahmûd limite son propos à l'ascension nocturne et éthérée de Mahomet mais, selon d'autres sources, ce grand voyageur n'aurait pas fait que visiter les cieux, il se serait aussi aventuré en enfer. Son récit vaut son pesant de tisons : "J’ai regardé le paradis et j’ai trouvé que les pauvres gens formaient la majorité des habitants; j’ai regardé en enfer et j’ai vu que la majorité des habitants étaient des femmes " (récit d’Imran bin Husain, hadith de Bukhari LIV 464). Dante Alighieri a relaté cette excursion imaginaire, dans une version légèrement différente, en éviscérant Mahomet dans sa Divine Comédie (Enfer, chant XXVIII). Giovanni da Modena à la cathédrale San Petronio de Bologne (voir image), Auguste Rodin (Mahomet, les entrailles pendantes, musée Rodin), Gustave Doré (L'ombre mutilée de Mahomet) et Salvador Dali (dans ses cent illustrations de La Divine Comédie publiées par Les heures claires en 1960), lui ont aussi donné corps dans des représentations peu halal.


28 mars 2007


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