Béatification de Léon Dehon, curé antisémite
La cérémonie était programmée pour le 24 avril 2005 mais Jean Paul II, par une ultime facétie, a refilé la patate chaude à son successeur. Benoît XVI, qui en a vu d'autres, n'en paraît nullement embarrassé et la béatification du père Dehon est toujours prévue par le Vatican. Elle figure dans le programme des célébrations liturgiques sur son site internet (noté le 20 septembre 2005).
Léon Dehon, né en 1843 et décédé en 1925, n'aura eu de cesse de fustiger les juifs, les francs-maçons, les Lumières, la Révolution, la laïcité, le tout enveloppé pudiquement dans un écran de fumée dénommé "christianisme social". Ses pages les plus antisémites paraissent dans son Catéchisme social en 1898. On peut y lire avec effroi tous les poncifs de l'antisémitisme à une époque de bouillonnement autour de l'affaire Dreyfus : les juifs ont "soif de l'or et le Christ pour ennemi", ils ont l'esprit de "dissimulation et de domination", l'argent est un "instinct de race" et le Talmud est "le manuel du parfait israélite, du détrousseur, du corrupteur, du destructeur social" (Le Monde 10 juin 2005).
En 1896, Dehon participe à Lyon au Congrès national de la démocratie chrétienne qui se réclame ouvertement de l'antisémitisme et de l'antimaçonnisme. Dehon traite des questions sociales et cette tribune est pour lui le prétexte à déverser sa haine des juifs et des francs-maçons (page 122) : "Une secte s'est emparée du pouvoir. Elle nous gouverne, elle nous domine. Elle ne s'en cache pas. Elle s'en glorifie. Les lois se préparent au Grand Orient. Toute l'administration se recrute dans les loges, et, ce qu'on ne fera jamais trop ressortir, la franc-maçonnerie est sous l'influence dominante des juifs. Non seulement les princes de la secte, les Lemmi et les Nathan sont juifs, mais en France les Israélites pullulent dans les hauts grades. Ces jours-ci encore, les publications maçonniques annonçaient des réceptions dans les hauts grades, et les listes étaient remplies de ces noms caractéristiques : les Meyer, les Blum, les Weill, les Goldschmidtt." Francs-maçons et juifs sont tout aussi responsables des "folies budgétaires" de la France à quoi il faut ajouter, pour les premiers, leur activité en faveur de la laïcité.
Sur les autres thèmes, le ton est le plus alarmiste qui soit : "la société française ayant abandonné sa croyance à la révélation et à l'Evangile est tombée dans le désarroi intellectuel et moral", "un concubinage immonde remplace souvent le mariage dans les populations ouvrières urbaines", Dehon évoque "la hideuse lèpre du divorce", s'inquiète que les français soient "envahis en pleine paix" par l'afflux d'Allemands, de Belges, d'Italiens, d'Espagnols, les enfants illégitimes sont des "bâtards", il relie la délinquance des jeunes au fait que "Dieu a été chassé de l'école" et déplore "l'affaiblissement de la race française", bref le programme du Front National avant l'heure. Sans oublier le socialisme et le souvenir de la Commune qui demeurent des craintes terrifiantes. Les actes de ce congrès peuvent être téléchargés gratuitement sur le site de la Bibliothèque Nationale de France. Et en 1908 est publié son Programme de la franc-maçonnerie en Italie et en France.
Pourtant, malgré un tel bilan, Dehon est loin d'être considéré comme un pestiféré par l'ensemble du catholicisme français. Une communauté a été créée à son initiative, les prêtres du Sacré-Cœur de Jésus aussi appelés Dehoniens. Fondée en France en 1878, la congrégation compte 2300 religieux répartis dans 38 pays sur les 5 continents (www.dehon.it). De plus, en 2005 les Editions du CERF ont publié une biographie élogieuse réalisée par Yves Ledure et l'ouvrage était orné d'un bandeau rouge annonçant sa béatification pour le 24 avril.
Léon Dehon ne sera pas le premier des dehoniens à recevoir les honneurs du Vatican. Le 11 mars 2001 Jean Paul II avait procédé à la béatification du père Juan Maria de la Cruz García Méndez présenté par les dehoniens comme un "martyr de la persécution religieuse durant la guerre civile espagnole" (il avait été exécuté par les républicains en août 1936).
En maintenant la béatification de Dehon à l'ordre du jour, le Vatican adresse un pied de nez supplémentaire aux progressistes qui, malgré les évidences sur la ligne idéologique du panzercardinal, persistent à espérer, souhaiter, ou rêver un virage de l'Eglise dans le sens de la défense des droits humains et des valeurs humanistes universelles, valeurs dont on chercherait en vain une trace cohérente dans la Bible.
20 septembre 2005
|