Amen

Constantin Costa-Gavras




2002, site du film


Rien de l'édifice multi séculaire de l'Eglise chrétienne, catholique et protestante, ne reste intact après l'extraordinaire film de Costa-Gavras sur l'indifférence des institutions chrétiennes à l'égard de l'extermination des juifs. "Amen" signifie "d'accord", c'est l'accord implicite donné par le Vatican aux nazis dans leur œuvre de destruction massive des juifs. Pourtant de très nombreuses voix catholiques et protestantes s'étaient élevées dans l'Allemagne nazie après les massacres de malades mentaux. Face à cette mobilisation de l'opinion publique, les autorités avaient dû renoncer à la poursuite du sinistre programme. L'Eglise est contre l'euthanasie et l'extermination des malades mentaux entrait dans cette catégorie d'où l'opposition de l'Eglise. Mais nul précepte chrétien n'oblige à protéger les juifs, le peuple déicide. Pourquoi alors leur venir en aide? Les juifs, comme les tziganes, n'ont donc reçu aucun soutien de la part des autorités religieuses. Comble du cynisme, cet état de fait est rappelé par un officier SS qui interprète de silence comme une autorisation à continuer dans la voie tracée par Hitler. Le film de Costa-Gavras est une adaptation de la pièce de théâtre de Rolf Hochhuth Le Vicaire qui fit scandale dans les milieux catholiques à sa sortie en 1963. Les deux personnages principaux sont chrétiens : Kurt Gerstein est un officier SS protestant et le jeune Ricardo est un jésuite en poste à Berlin. L'un comme l'autre vont tenter d'alerter l'opinion internationale et les autorités religieuses sur l'horreur qui se trame dans les camps de l'est. Et Gerstein sait de quoi il parle: ingénieur chimiste, il est chargé d'approvisionner les camps de la mort en Zyklon B, une substance dont les émanations sont mortelles. Le rôle de Gerstein est interprété admirablement par Ulrich Tukur. L'horreur des camps de concentration côtoie la brutalité et le cynisme des nazis comme procédant d'une même folie. Costa-Gavras ne montre aucun charnier, aucune marque de douleur physique; seuls les convois lancinant de trains, vides quand ils quittent les camps, remplis et portes fermées à leur retour, ponctuent le film d'une présence obsédante et macabre. Des fumées s'élèvent des cheminées, pas de cris ni de corps: le point de vue est celui du résistant en uniforme SS Kurt Gerstein. Les juifs n'y sont que des "unités" et leur extermination reçoit le qualificatif de désinfection. Mais le jésuite Ricardo et le lieutenant SS Gerstein vont tout tenter pour informer le Vatican, en pure perte pourtant. Le Vatican sait déjà, ainsi que les puissances occidentales, mais personne ne fait rien, tout le monde se terre derrière le silence. Jamais les alliés n'ont par exemple bombardé les lignes de chemin de fer qui menaient aux camps; la priorité était la victoire, pas le sauvetage des juifs. Le pape Pie XII ne montre pas plus de compassion, il se cache derrière des déclarations vagues donc sans incidence, la mesure et la patience sont à conseiller plutôt que l'emportement et la passion. Les prétentions de l'Eglise à incarner la justice s'écroulent et Ricardo en vient à la douloureuse interrogation que "Dieu laisse mourir les siens". Ricardo finira lui aussi dans un camp en arborant avec courage une étoile jaune, ultime provocation désespérée envers sa propre hiérarchie. Gerstein écrit un rapport qu'il livrera aux Alliés en trois exemplaires en allemand, français et anglais. Incarcéré dans une prison à Paris, située rue du Cherche Midi et aujourd'hui détruite, il se suicidera après la lecture de son acte d'accusation émis par une justice française incapable de discernement entre lui et les pires bourreaux. Les barbares auront, eux, été recyclés avec une compassion obscène par l'Eglise catholique. La dernière scène du film est saisissante. Le cynique supérieur hiérarchique de Kurt Gerstein est reçu au Vatican chez Mgr Hudal, un personnage réel, qui le rassure sur son avenir: l'Argentine lui est destinée grâce aux bons soins de l'Eglise. L'affiche du film a donné lieu à une polémique orchestrée par la Conférence des Evêques de France et l'AGRIF. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rejeté la demande de retrait de l'affiche formulée par cette association fasciste.


12 mars 2002


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