L'imposture du contenu scientifique du Coran

ou l'obscurantisme selon Kamel Ben Salem





Note du 27 octobre 2010 : cet article a été traduit en arabe pour alawan.org par Hamid Zanaz, auteur de L'impasse islamique (Éditions Libertaires, 2009). Un grand merci à lui.


Dans l'islam, il suffit, pour beaucoup de pieux ignares, de crier à tue-tête que le Coran énonce d'innombrables vérités scientifiques pour économiser la tâche de l'examiner. Cet obscurantisme se répand dans une basse littérature qui s'étale en abondance à Paris sur les trottoirs de Barbès et dans les librairies de la rue Jean-Pierre Timbaud, ou au Bourget dans les allées du congrès annuel de l'Union des Organisations Islamiques de France. Rejeter l'obsession du concordisme entre le Coran et la science sur un public qu'on prétendrait réduit occulte que l'irrationnel est le socle sur lequel se forme toute religion. Le refus de la raison au profit de l'abandon à l'acte de croire est une posture qui ne se soucie pas de se justifier par la force de la preuve (je crois donc je suis, tu crois donc tu suis, etc.).

Conscients que, face aux indécis, clamer sa foi avec énergie ne suffit pas à la rendre inattaquable, certains tentent une opération de sauvetage en enrobant le texte coranique d'une aura scientifique. Une caution intellectuelle vague apporte le réconfort et l'assurance requis par des fidèles embrumés dans leur béatitude, et quelques scientifiques n'hésitent pas à procéder à un travestissement du Coran en encyclopédie scientifique. L'ouvrage de Maurice Bucaille La Bible, le Coran et la science, tel un messie, est cité à satiété et d'autres apportent aussi leur pierre à la lapidation de la rigueur scientifique. C'est le cas de Kamel Ben Salem qui a signé en 2005 un article interminable (dix-neuf pages) à rendre jaloux Harun Yahya, propagandiste fort prolixe du créationnisme islamique. Publié dans une revue dont le nom suffirait à la faire passer pour sérieuse, The Pacific Journal of Science and Technology, l'article est intitulé "The evolution of the universe : a new vision" * et espère convaincre que, avec quatorze siècles d'avance, le Coran (c'est-à-dire "Dieu") a annoncé de nombreuses découvertes reconnues seulement aujourd'hui par les chercheurs, plus spécialement les astrophysiciens. L'auteur s'y présente comme un enseignant du département d'informatique de l'Université des Sciences de Tunis.

Pour assurer de son sérieux, Ben Salem adopte la structure habituellement observée dans les publications à comité de lecture : résumé, introduction, développement de la thèse, conclusion, références bibliographiques. Usant d'abord d'une réelle prudence de langage, Ben Salem ne peut s'empêcher de se hâter, ensuite, sur la pente glissante qu'il a astiquée. L'enthousiasme du croyant, l'exaltation de disserter sur les propos de "Dieu" et l'ivresse de s'en faire l'apôtre ont vite fait de le propulser sur cette piste savonnée. L'auteur va alors accumuler les louanges et les hourras sur le texte dit sacré. Comme la scrutation intime du Coran pour le confronter à tout et n'importe quoi relève plus des troubles obsessionnels compulsifs que de l'analyse raisonnée, Kamel Ben Salem veille bien à insérer les nombreuses citations du texte qui sont requises pour sa thèse (l'indication complète des sources est toujours une nécessité dans une publication universitaire), et les thèmes passés par ce crible s'accumulent : le Soleil, la Lune, la Terre, les mers, les montagnes, l'expansion de l'univers, les planètes dans et hors du système solaire, jusqu'à la vie extraterrestre !

La méthode de travail est simple : en associant les propos vagues et approximatifs contenu dans le texte coranique avec les connaissances actuelles sur le fonctionnement de l'univers, Kamel Ben Salem invente du sens plus qu'il n'en découvre dans les versets réquisitionnés. D'un substrat incohérent produit entre La Mecque et Médine par un chamelier analphabète en reprenant parfois divers éléments des cultes préislamiques, Ben Salem produit un traité d'astronomie dont chaque ligne est inventée à partir du présent. Il s'agit donc de lire le passé à l'aune du présent et de l'en grandir d'autant, et pas d'examiner ce qui, du passé, nous serait parvenu avec justesse, une tâche beaucoup plus rapide qui serait aisément balayée et pour laquelle dix-neuf pages seraient un luxe inutile. De la prudence initiale il ne reste alors plus rien dans le corps de l'article et la conclusion victorieuse avance que "Ce que nous pouvons dire est que l'étude des versets coraniques en relation avec les notions scientifiques n'a pas, jusqu'ici, démontré de contradiction avec nos connaissances actuelles, contrairement aux idées en vigueur il y a quatorze siècles." Enfin, gage ultime de la prosternation de l'auteur, le dernier mot de l'article appartient au Coran (3:190-191) : "Notre Seigneur ! Tu n'as pas créé tout cela sans but, gloire à toi ! "

Examen non exhaustif, car démesurément pénible, de la démarche de l'auteur :

Le système solaire

Que la théologie soit une sous discipline de l'illusionnisme, Ben Salem nous en donne la preuve en gratifiant le Coran d'innombrables prédictions, toutes trop tard survenues : sphéricité et rotation de la Terre, réflexion de la lumière solaire par les planètes, cycle lunaire, évolution du soleil avec les conséquences sur la structure de la Terre (température de l'atmosphère et des océans, devenir de la vie terrestre) et de la Lune, l'avenir du système solaire, etc. L'unique stratégie du travail de Kamel Ben Salem est la surinterprétation abusive du texte coranique, ce qui confirme que la théologie n'est pas la découverte d'un sens caché dans les Écritures dites saintes mais l'invention d'un sens inexistant ajusté à la thèse de l'exégète. Ainsi, à l'observation que la Terre est une sphère en rotation, l'auteur fournit des versets qui n'en disent pourtant rien : c'est uniquement par la grâce de son intervention hardie que de la simple succession jour-nuit indiquée dans le Coran (et remarquée par n'importe quel berger), la Terre reçoit une forme sphérique et un mouvement de rotation. Mais c'est le devenir du système solaire et la cohésion de la Terre et des planètes lors des derniers feux du soleil (phase de géante rouge) qui inspirent le plus l'auteur (paragraphe 3.1.3) : l'analogie avec l'apocalypse est pour lui une source inépuisable de délires mystiques où les versets catastrophistes sont maquillés en théorie scientifique.

L'univers

Confusion de concepts fondamentaux en cosmologie ou manipulation délibérée, Kamel Ben Salem commet une erreur (une tromperie ?) dès l'introduction de son article quand il veut aborder l'expansion de l'univers. La théorie du Big Bang traite du phénomène de l'expansion de l'univers en proposant un schéma d'évolution pour, environ, les quinze derniers milliards d'années : la théorie étudie la croissance des structures sous l'action des forces nucléaires forte et faible, de la force électromagnétique et de la gravitation. La théorie ne peut se prononcer sur "l'avant", ni affirmer que la question a un sens, les lois de la physique n'étant plus valides aux énergies et températures concernées. Ben Salem ignore ces précautions et passe allégrement à l'idée de "création" que les astronomes auraient admise selon lui, ce qui est absolument faux. L'usage, par les chercheurs, du concept mathématique de "singularité" pour désigner cet état n'est pas valider le concept de "création", mais l'auteur ignore (occulte ?) la nuance.

Les versets qui seraient relatifs à la structure à grande échelle de l'univers sont étudiés dans le paragraphe 3.2. Et tout y passe : la relativité du temps, le processus de "création" et sa durée, l'âge de l'univers, la formation et l'expansion de l'univers, la possibilité d'un univers cyclique, la conquête de l'espace, la vie extraterrestre, les planètes extrasolaires, tout cela treize ou quatorze siècles avant les télescopes modernes ! Comme bien d'autres prêcheurs, Ben Salem est contraint de tordre, étirer, extrapoler ou compléter des versets abscons, vagues ou hors sujet pour leur faire prédire ce qui est déjà connu sur l'état actuel de l'astrophysique. Un exemple parmi d'autres : quand Ben Salem évalue l'âge de l'univers sur un coin de feuille, il ne lui faut que quelques lignes (des règles de trois, rien de plus) pour obtenir une valeur très proche d'une de celles obtenues par le télescope spatial Hubble. On mesure aussi le sérieux du personnage quand il croit déceler dans un verset une des lois de Kepler sur les mouvements des planètes ainsi que la loi de la gravitation universelle de Newton. Et tout frein étant définitivement relâché, la méthode adoptée par Ben Salem se mue en une véritable numérologie islamique quand la position des mots et des lettres dans le Coran est rapprochée de la position des étoiles.

On peut, certes, se consoler en se disant que mieux vaut lire cela qu'être aveugle mais l'obsession de plier le texte coranique au monde observé est préoccupante chez un scientifique. Quiconque, pour décrire le présent, convoque aujourd'hui Nostradamus et lui fait affirmer tout et son contraire souffre du même laxisme intellectuel, de la même tentation de conquérir un public débarrassé de la moindre rigueur. La servitude volontaire du croyant à l'autorité religieuse le prédispose à l'acceptation aveugle des affirmations les plus bruyantes sans considérer le niveau de sérieux du chemin suivi. Baisser les exigences n'a jamais accru la qualité du travail produit, on n'a jamais mieux vu avec une bougie éteinte.


Référence : Kamel Ben Salem, The evolution of the universe : a new vision, The Pacific Journal of Science and Technology, volume 6, numéro 1, page 37, mai 2005


17 juin 2010


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