La consultation des musulmans de France de l'ancien ministre Jean Pierre Chevènement





Historique et contenu

La France ne s’est préoccupée de la présence musulmane sur son territoire que dans les années 20 lors de la construction, en grande partie aux frais de l’État, de la mosquée de Paris. Il s’agissait à l’époque de montrer un signe de reconnaissance paternaliste envers les colonies, sachant que le sang africain avait grandement payé sa dîme lors de la première boucherie mondiale. Mais il n’était nullement question de placer l’islam au même rang que le christianisme et le judaïsme, le maréchal Lyautey avait rappelé que le minaret ainsi érigé ne pourra jamais concurrencer les tours de Notre Dame.

Depuis, avec l’arrivée dans les années 60 – 70 d’immigrants nord africains, la communauté musulmane s’est agrandie pour atteindre actuellement 4.5 millions de personnes. Cette modification de l’image réconfortante de la " France chrétienne "  a conduit Pierre Joxe puis Charles Pasqua, ministres de l’Intérieur mais aussi des Cultes, à, respectivement, mener une réflexion sur la place de l’islam (le Conseil de Réflexion sur l’Islam en France) et favoriser la création d’un Conseil Représentatif de l’Islam de France. Jean Pierre Chevènement a proposé un plan plus ambitieux qui se poursuit actuellement avec le nouveau ministre de l'Intérieur Daniel Vaillant. Dans le cadre d’une consultation initiée en octobre 1999 l'ancien ministre visait à organiser l’islam français dans le respect de la laïcité en faisant le point des textes de loi régissant la pratique et le financement d’une religion et en examinant la compatibilité avec le droit français de certaines pratiques propres à l’islam.

Pour ce faire, un Journal de la consultation des musulmans de France est édité et rend compte des avancées du processus. Les thèmes abordés sont:

  • la construction et le financement des lieux de cultes
  • la formation des imams
  • les associations cultuelles
  • la présence d’aumôneries dans les établissements publics (hôpitaux, établissements d’enseignement, prisons)
  • la répartition des sépultures de musulmans dans les cimetières
  • l’abattage rituel des moutons lors de l’Aïd el Kebir

Une consultation qui n’est pas la tâche de l’État

Souhaiter une organisation de l’islam pour donner à l’État un interlocuteur clairement identifié est un vœu compréhensible. Sa réalisation sous les auspices de l’État l’est beaucoup moins dans un pays laïque où la non-ingérence dans les affaires internes des religions est érigée en principe. Une telle organisation de l’islam, en entraînant sa hiérarchisation, ne peut qu’en modifier la structure et déplace l’État sur le domaine théologique, en complet désaccord avec la laïcité. L’islam est, pour des raisons historiques, dépourvu de toute hiérarchie ou clergé, les croyants se rassemblant par le texte du Coran et les lieux saints. Une éventuelle transformation de l’islam doit être uniquement le fait des musulmans et obéir à des critères de modernité ou de théologie établis par eux-mêmes. Le ministre de l’Intérieur n’y a pas de compétence.

Injustifié est aussi le constat qui voudrait que l’exemple de maturité politique soit donné par le christianisme. Réclamer une structuration de l’islam n’a pas plus de sens que demander à une même instance de représenter les catholiques, les protestants et les chrétiens orthodoxes, pour ne citer que les rites les plus significatifs du christianisme. La diversité musulmane (sunnites ou chiites, courants progressistes ou fondamentalistes, origines nationales diverses) posée comme raison d’être de la consultation n’est pas plus grande. A cela s’ajoute la représentativité contestée par les musulmans eux-mêmes des dignitaires choisis par le gouvernement : les associations de jeunes, à la foi distincte de leur aînés, ne sont pas conviés à la table du ministre, la Mosquée de Paris accepte mal la perte de son rôle central, intellectuels musulmans et convertis sont absents. Un islam qui ne parle que d’une voix n’est peut-être d’ailleurs souhaité que du côté du gouvernement, le communautarisme qui alimente les querelles de minarets permet à chacun de rester maître chez soi.

Dans les méandres de la loi pour financer la construction des lieux de culte

Les leçons de laïcité données par Monsieur Chevènement ont consisté en réalité en l’exposition des astuces fournies par la loi pour contourner la règle que " l’État ne subventionne aucun culte ". C’est donc dans la stricte application de la loi que le ministre a souhaité la multiplication des baux emphytéotiques, la garantie de prêts par les mairies et la constitution d’associations cultuelles. Une municipalité n’est pas autorisée à financer directement la construction d’une mosquée ou d’une église mais elle peut par contre louer un terrain communal pour une durée limitée (généralement 99 ans) et un loyer symbolique. Cette forme de bail, dit emphytéotique, consiste donc à donner un terrain à une obédience religieuse tout en feignant d’obéir à des principes laïques. Des facilités financières sont accordées aux associations cultuelles d’où les recommandations du ministre pour la constitution de celles-ci.

Ces atteintes scandaleuses à la laïcité ne font que mieux apparaître les carences des textes régissant la séparation des Églises et de l’État. Mais Monsieur Chevènement n’a en cela fait preuve d’aucune innovation puisque dès 1990 un rapport présenté à l’Assemblée Nationale par le député Philippe Marchand proposait déjà "qu’il pourrait être envisagé temporairement de déroger à la loi de séparation des Églises et de l’État en mettant en place un financement étatique direct " pour les mosquées. Monsieur Marchand deviendra ministre de l’Intérieur peu après…

La mansuétude ministérielle

L’incitation au contournement du principe de l’absence de financement public des religions s’est accompagné de multiples déclarations serviles à leur égard. Dans son allocution du 28 janvier 2000 Monsieur Chevènement annonce que les religions "ont été un facteur d’élévation morale de l’humanité", montrant une réelle constance avec des déclarations identiques lors d’un discours tenu le 23 novembre 1997 pour l’ordination du nouvel archevêque de Strasbourg. Et pour bien confirmer son propos, l'ancien ministre se répand en éloges sur un Coran brillant de rationalité, d’appel au dialogue et d’ouverture sur le monde. Les opinions personnelles du ministre n’ont pas à être connues et leur diffusion en des termes aussi serviles ne peut aider à forger chez ses interlocuteurs le sens réel de la séparation des Églises et de l’État. La complaisance de l'ex-ministre de l’Intérieur s’est même étendue à l’adresse internet du site de la consultation :

http://www.interieur.gouv.fr/information/publications/istichara/mai_1.htm, où istichara est le mot arabe pour consultation. Un organisme d’État n’a pas à être islamisé.

Mais les limites de l’acceptable ont été franchies dans l’élaboration du texte proposé pour signature aux représentants de l’islam. Ce texte présenté comme non négociable expose les principe de la laïcité et s’est vu tronqué de la possibilité pour le croyant de changer de religion . La version signée le 28 janvier ne la mentionne pas alors qu’elle était présente dans la version initiale. Les représentants de l’islam persistent donc à considérer le reniement de la foi comme un acte coupable et justifient donc les plus forts doutes sur les intentions de l’islam français. Et que le ministre accepte de procéder à une telle coupure ne peut que provoquer un rejet de sa démarche où la laïcité est bradée à bas prix. Les leçons de laïcité ont baissé leur masque pour dévoiler un visage empreint de complaisance envers des conceptions antidémocratiques.

Que certains représentants musulmans aient, de plus, vu dans ce texte une déclaration d’allégeance à la République et s’en soient montrés choqués confirme leur éloignement des valeurs de la démocratie. Tel est le cas de l’Union des Organisations Islamiques de France. Le colloque organisé fin avril 2000 au Bourget par l’UOIF a montré le caractère fondamentaliste de son discours, le changement de religion y reste inacceptable mais le port du foulard conserve son importance. L’idéologie rétrograde de l’UOIF y a culminé par la séparation des hommes et des femmes dans l’assistance. Comme sa représentativité auprès des musulmans est grande, cette union d’organisations ne doit pas voir son importance sous-estimée.

Aumôneries, émissions religieuses, formation des imams et abattage rituel

Monsieur Chevènement insiste à maintes reprises dans sa consultation sur la nécessité de considérer le culte musulman à égalité avec les autres cultes dans les aumôneries hébergées par les établissements publics. On ne peut que souscrire à cette mesure égalitaire mais la question de savoir si l’État doit garantir une présence religieuse dans ses établissements peut être discutée. En effet la désignation de religions prêtes à assumer ce rôle d’écoute suppose que le besoin spirituel du croyant trouve sa satisfaction dans ces cultes monothéistes. Si tel n’est pas le cas, ce qui est de plus en plus vrai, les aumôneries seraient plus avisées d’offrir une gamme plus étendue de produits spirituels. Un tel labyrinthe montre donc que la présence d’aumôneries dans les établissements publics n’est pas souhaitable car elle accorde un rôle privilégié aux principales religions monothéistes et est, de fait, contraire à la laïcité. Les cultes monothéistes n’ont pas le monopole de la spiritualité.

Les moyens de communication télévisés et radiophoniques proposent déjà un accès de leurs chaînes aux principales religions. Il convient cependant de rappeler les déboires survenus au programme musulman sur France 2 dont l’émission dominicale Connaître l’islam a été créée en 1983 et supprimée en 1999. Son équipe responsable a été convaincue de multiples fraudes : intérêts d’un producteur étranger, usage de l’antenne à des fins de promotion personnelle, conflits personnels et laxisme de France 2 avec accord d’avantages financiers à l’émission. L’imbroglio dans lequel s’est laissé entraîné France 2 est un exemple supplémentaire du désordre intrinsèque à l’islam. Une fois de plus, la structuration de l’islam ne semble pas trouver chez les musulmans d’allié au ministère. La nouvelle émission gérée par l’association Vivre l’islam n’apporte pas plus de garanties que la précédente sur sa représentativité de la communauté musulmane.

La formation des imams reste aussi un problème urgent à résoudre. Il est estimé que sur les 500 imams en fonction, seuls 4% sont français et beaucoup ne sont ni francophones ni au fait de la culture française. Un islam en accord avec les principes de la laïcité ne pourra émerger s’il est dispensé par des religieux qui leur sont étrangers. L'ancien ministre a donc souhaité que des instituts de théologie musulmane privés s’attachent à former des imams français mais aucune garantie n’existe sur la réalisation de ces formations ni sur leur caractère prioritaire auprès des interlocuteurs du ministre.

Enfin, dernier problème à résoudre par l’État, celui de l’abattage des moutons lors de la fête de l’Aïd el Kebir. Le respect des normes d’hygiène a conduit en 1994 le ministre de l’Intérieur à confier à la Mosquée de Paris la désignation de sacrificateurs agréés. La question est d’importance puisque ce sont 500000 tonnes de viande qui sont ainsi concernées chaque année. La préférence accordée à la Mosquée de Paris n’a pas manqué de susciter les protestations de groupes musulmans concurrents, d’autant plus courroucés que la Mosquée de Paris percevait 1 franc par kilo de viande sacrifiée selon les principes coraniques. Les divergences entre groupes musulmans n’ont donc pas de frontières, qu’il s’agisse de la conquête du territoire ou de questions de boucherie. Le groupe de travail désigné par le ministre n’a pas encore rendu ses conclusions sur l’Aïd el Kebir en l’état actuel de la consultation.


17 septembre 2000


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