L'Union des Organisations Islamiques de France, le fondamentalisme
contre la laïcité
Le congrès annuel de l'Union des Organisations
Islamiques de France a été organisé, pour sa
18ème édition, au parc des expositions du Bourget,
près de Paris, du 27 avril au 1er mai 2001. Le vaste lieu fut
à la hauteur de l'affluence: des milliers de musulmans se sont
déplacés en famille, rassemblant toutes les classes d'âges, avec
une égale proportion d'hommes et de femmes. La journée du
dimanche 29 avril a ainsi accueilli entre 6000 personnes, selon la
sous-estimation de la police, et 60000 personnes, nombre fantasque
donné par les organisateurs. La multiplication des visiteurs est
à l'islam ce que la multiplication des pains et des poissons est au
christianisme.
Les participants
se sont répartis selon trois pôles: une salle de conférence
où les discours étaient tenus en français et en arabe, une
salle de prière avec séparation des hommes et des femmes pour
recréer l'univers de la mosquée, et un hall d'exposition ou,
plus exactement, de vente de divers produits sinon musulmans du moins d'origine
arabe ou maghrébine.
Point fort de ces journées qui se voulaient
placées sous le signe de la spiritualité, le congrès
s'intitulait "La place de la spiritualité musulmane dans la
société moderne", la journée du dimanche 29 avril a
abordé la question plus politique de la place de l'islam dans la
République. Il a donc pu être confirmé que l'UOIF s'inscrit
bien dans les organisations fondamentalistes prônant
l'hégémonie de l'islam au lieu de sa relégation au
même rang que toute autre croyance ou incroyance. Défense du port
du foulard et assimilation de la laïcité à une doctrine
antireligieuse en constituent les signes les plus agressifs.
La table ronde tenue en soirée a
vu le représentant de l'UOIF, M. Fouad Alaoui, réaliser le
prodige d'aborder la question de la Consultation des musulmans de France sans
évoquer la laïcité, estimant que ce débat n'était pas
le lieu d'en parler! L'UOIF rejette la séparation du politique et du
religieux, M. Alaoui a affirmé qu'il est hors de question que l'islam se
sépare de la politique. La table ronde a, de plus, permis d'évaluer les
désaccords entre les participants au sujet de la composition de la
future, encore qu'hypothétique, instance représentative des
musulmans de France. Quel poids doit y être confié aux
mosquées par rapport aux structures associatives? Quelle attention doit
être accordée aux intellectuels musulmans sans affiliation
à des mosquées ou à des fédérations, et
souvent favorables à une évolution moderne de l'islam peu
appréciée à l'UOIF? La discorde règne. Meilleure
est l'entente sur la requête de disposer de carrés musulmans dans
les cimetières. Cette mesure, déjà appliquée dans
certaines communes (Louvroil, Nord, Bobigny, Seine Saint Denis), est une
entorse manifeste à une loi de 1881 interdisant la partition cultuelle
des cimetières.
Mais s'il
est un point qui a recueilli les applaudissements d'une foule avide
d'incantations divines, c'est la revendication par M. Alaoui du port du foulard
pour les femmes et l'affirmation que les bases de la République sont,
dès les origines, contenues dans l'islam. Un argument qui innove peu,
certains des chrétiens dits progressistes affirment sans sourciller que
démocratie et laïcité sont inscrites dans la Bible.
L'affrontement n'est pas toujours le plus sûr moyen de défaire
l'adversaire, son assimilation par la récupération et le
dévoiement de ses valeurs a aussi ses succès.
Le table ronde s'est achevée par
l'annonce, emplie de vénération, de l'allocution du
vice-président du Soudan, dictature où la loi disparaît
derrière l'islam. Il suffit d'ajouter que les deux tiers des femmes
présentes portaient le foulard pour obtenir une représentation
complète de ce rassemblement antilaïque et antirépublicain.
Devons-nous
accepter ce communautarisme avoué en vertu du multiculturalisme?
Devons-nous rester passifs devant cette atteinte à la dignité de
la femme, réduite à un simple visage émergeant d'un
foulard obscurantiste? Telle est l'attitude de la classe politique dans son
ensemble pour laquelle un musulman est avant tout un électeur dont on
doit flatter les revendications communautaires en contradiction avec l'histoire
laïque du pays.
C'est donc
tout naturellement, suivant cette logique obséquieuse, que le colloque
de l'UOIF a invité M. Chenal, délégué du Parti
Socialiste aux relations avec l'islam. M. Chenal s'est répandu en termes
complaisants vis à vis de l'islam, énonçant les
banalités habituelles des périodes électorales.
"L'islam est un des sommets de la spiritualité de l'humanité"
s'est-il félicité en oubliant les quantités innombrables
de mythes similaires qui ont fleuri en tout point de la Terre et à
toutes les époques. Autre invité politique, M. Lafrance,
ambassadeur itinérant, n'a pas, lui non plus, rappelé avec la
fermeté nécessaire l'impératif d'une absolue
séparation entre politique et religion. Le représentant du
ministère de l'Intérieur, M. Billon, était aussi de la
fête et a cependant, après diverses politesses, exprimé son
irritation devant l'incapacité des musulmans à créer une
instance représentative. Mais ces trois intervenants ont oublié,
ou feint de ne pas voir, l'inacceptable organisation de l'assistance: les
femmes en foulard étaient séparées des hommes dans la
salle de conférence!
Il
n'est pas inutile de relever, dans la promotion de la laïcité
tentée par M. Billon, un oubli de vocabulaire à moins qu'il ne
s'agisse, au mieux, d'une méconnaissance de ses concitoyens, ou au pire,
d'une négligence délibérée. M. Billon a
plaidé que la laïcité était dans
l'intérêt de tous, énumérant diverses formes de
croyances et l'agnosticisme en ignorant une autre alternative à la foi,
l'athéisme. Il n'est sans doute pas anodin que ce même oubli ait
aussi été commis par le père Lelong venu, cette même
journée, prêcher l'œcuménisme. Rappelant le mensonge
historique véhiculé lors du voyage de M. Wojtyla en France en
1996, "France souviens-toi de ton baptême", l'ecclésiastique a,
malgré lui, dévoilé les limites de son ouverture aux non
chrétiens. En rectifiant que les baptisés n'étaient pas seuls sur
le territoire français, il cite les musulmans, les juifs et les
agnostiques, les athées, composante dérangeante pour
l'institution catholique, restant plus dissimulés qu'oubliés.
L'occasion était aussi trop belle pour ne pas passer outre sur la
suppression du mot "religieux" dans la charte européenne des droits
fondamentaux réclamée par la France. Dans cette entreprise de
cléricalisation des nations le père Lelong n'a pas manqué
de se réjouir de l'influence croissante du clergé orthodoxe en
Russie. Mais l'alliance soudaine du christianisme à l'islam est moins le
produit d'une exégèse humaniste que le constat de
l'identification des ennemis communs: le matérialisme et la
laïcité. Et de se scandaliser des atteintes aux valeurs
chrétiennes rencontrées dans les médias, recueillant la
satisfaction d'un public désireux de s'ériger en victime d'une
société blasphématrice. Par delà les continents,
les mythes se rejoignent dans les mêmes fatwas.
Autre lieu très
fréquenté du congrès, le hall d'exposition proposait une
vaste gamme de produits reliés ou pas à l'islam. Livres,
cassettes, affiches, CD rom y côtoyaient tissus, vêtements ou
méthodes de lutte contre divers parasites animaux. Le souk s'était
invité au Bourget. Vidéos sur les souffrances palestiniennes en
Israël et organisations humanitaires incitaient à ne pas limiter la
foi à son confort livresque. On notera aussi quantité
d'"instituts" d'apprentissage de l'islam et de l'arabe où la confusion
est entretenue entre la foi et la langue qui la véhicule.
Il est d'une urgente
nécessité que cessent les contorsions politiciennes serviles et
couardes pour rappeler à l'UOIF la signification des mots
démocraties, racisme et laïcité. Le monde politique ne rend
aucun service à un islam qu'il voudrait moderne en accordant son estime
à des organisations telles que celle-ci. Cette démission du
politique devant le populisme, de la République devant le fanatisme, ne
sert en rien les intérêts d'une population issue de l'immigration
maghrébine dont l'avenir serait plus sûrement inscrit dans
l'idéal républicain que tourné vers La Mecque. Le 18ème
congrès de l'UOIF a montré une organisation puissante par le
nombre de participants, et une force fédérative efficace par la
quantité d'associations amies. L'islam en phase avec la modernité
qui délaisserait une histoire dogmatique et obscurantiste restera le
grand absent de la réunion, un manque qui trouve son explication dans la
propension actuelle aux dérives communautaristes de tous ordres.
Religions, langues régionales, discrimination positive, tout est bon
pour disloquer une République qui n'a pu se construire que grâce
à la fédération des énergies les plus
variées.
21 mai 2001
|