Conférences
Un cycle de quatre conférences a été
organisé par la Faculté de Théologie
de Toulouse en janvier, février et mars 1998. Deux d'entre
elles sont présentées ici: la première a pour thème "Les découvertes
de Qoumrân remettent-elles
en question la vérité des évangiles?" et la
seconde s'intéresse
à la question "Jésus a-t-il vraiment fait des miracles?".
Un débat ayant eu lieu à Castanet
(commune proche de Toulouse)
sur le thème de la science et de la foi est ensuite commenté.
Jeudi 5 février 1998, "Les découvertes de Qoumrân
remettent-elles
en question la vérité des évangiles?" par Alain
Marchadour, Doyen
de la Faculté de Théologie
Le conférencier a présenté de
façon claire l'histoire et le contenu des manuscrits de la Mer Morte.
Ces textes ont été découverts
à Qoumrân en 1947
dans 11 grottes. Ces manuscrits sont contemporains de l'époque
où vivait Jésus, du 2ème
siècle avant JC au 1er siècle après
JC. Leurs auteurs sont membres de la communauté des Esséniens qui
représentait
un courant fort et austère du judaïsme. Ces textes sont
disposés en rouleaux
et traitent de questions religieuses mais aussi de divers aspects de la
vie de cette communauté comme la justice, des psaumes, des récits de guerre.
On y trouve de nombreux passages de l'Ancien Testament, des commentaires
de la Genèse, des textes bibliques aussi bien en hébreu qu'en grec.
Cependant, quelques remarques personnelles s'imposent.
Qu'en est-il des Evangiles qui sont censées être un
récit de la vie de Jésus? Rien!
Que disent les Esséniens de ce personnage, de sa résurrection?
C'est
le silence le plus complet. Pourtant, on estime que les Esséniens
habitent
Qoumrân de -150 à +68 et Jérusalem n'est qu'à 30km.
Comment expliquer qu'un personnage aussi important que Jésus soit
inexistant
dans ces textes dont l'époque de rédaction a été
déterminée par datation au
Carbone 14 (ce qui n'est pas le cas des Evangiles puisque ce ne sont que
des textes rapportés donc modifiés, altérés ou
augmentés).
Pourquoi le phénomène extraordinaire qu'est la
résurrection n'est-il
pas mentionné dans ces manuscrits? La réponse des
théologiens est ici imparable:
il n'y a pas de témoins à la résurrection de Jésus.
En admettant que la chrétienté ait été
créée par un personnage tel que
Jésus, comment expliquer que ce mouvement religieux ne soit pas
mentionné
dans ces manuscrits?
Il est à noter que ces questions n'ont en rien perturbé la foi
du public
venu nombreux et à très forte majorité croyant.
On peut donc affirmer que les manuscrits de Qoumrân ne mentionnent
aucun
détail de ce qui a fondé la religion catholique, les Evangiles. Trois possibilités
s'offrent donc aux sceptiques:
- les Evangiles ont été écrites bien après JC (les théologiens sont d'accord
mais le "bien après" reste à préciser), et, dans ce cas, quel
crédit apporter à ces textes?
- Jésus ne fut qu'un guérisseur parmi d'autres et l'Eglise chrétienne
est la secte qui a réussi
- Jésus n'a pas existé
Jeudi 26 février 1998, "Jésus a-t-il vraiment fait des
miracles?"
par Jean-Michel Poirier, chargé de cours à la Faculté de
Théologie
Le message du conférencier peut se résumer en
une phrase: devant l'aspect
inacceptable des miracles sur le plan du rationalisme, il faut plutôt
considérer les symboles que représentent ces récits.
Après s'être laissé
allé à ironiser sur le compte d'Ernest Renan qui nie les miracles
(le cliché
du rationaliste borné et austère), Jean-Michel Poirier s'est
attaché à
faire passer au second plan l'évènement décrit comme bien
réel. Pour justifier
cela, l'admirable argument suivant est utilisé: "depuis un
siècle,
les limites entre rationnel et irrationnel sont moins nettes". Cette
stratégie
qui dit que la science n'est pas aussi prédictive que ce qu'on pourrait
croire ou que son champ d'investigation n'est pas illimité est souvent
entendu non seulement chez les religieux mais aussi chez les parapsychologues
et autres astrologues. La rapprochement de cette autre classe de charlatans
se poursuit quand nous apprenons que Jésus refuse d'effectuer des
miracles
sur commande comme il est dit dans les Evangiles. La réaction est
exactement
la même si on demande à un parapsychologue de réaliser une expérience en
direct et contrôlable. Jean-Michel Poirier précise aussi que Jésus
ne peut
faire des miracles qu'à des personnes déjà
prédisposées à les recevoir.
Autrement dit, pour assister à un miracle il est nécessaire d'y
croire
au préalable. Ce raisonnement est aussi celui d'astrologues et
parapsychologues,
les rationalistes exerçant des influences négatives interdisant la
réalisations
de leurs expériences.
Il est intéressant de noter que le conférencier adopte une
opinion contraire
à celle enseignée dans le catéchisme de Pie X. En effet,
celui-ci affirme
que les miracles sont une preuve de la divinité de Jésus alors
que Jean-Michel
Poirier note que des guérisons miraculeuses sont aussi rencontrées
avec
les apôtres ou dans l'Ancien Testament.
En décrétant que la question de la réalité des
miracles est mal posée
et que c'est le sens des miracles qui doit être détaché,
l'analyse du conférencier
est dans la droite ligne de l'évolution de la lecture des textes
bibliques.
Les exégètes (personnes qui étudient les textes
sacrés) ont, au fil des
siècles, peu à peu rejeté une lecture littérale de la
Bible en privilégiant
l'aspect métaphorique et symbolique, échappatoire facile. Afin
d'apporter
une note de contradiction dans cette conférence, j'ai interrogé le
conférencier
sur cette évolution de l'étude des textes sacrés et sur le
fait que la fréquence
des miracles déclarés comme tels par l'Eglise catholique soit en
diminution,
n'est ce pas là le signe d'un recul de la foi et d'une diminution de
l'influence
religieuse? Aucune réponse ne fut donnée, la question est mal
posée, comme
pendant le reste de la conférence.
Vendredi 13 mars 1998, débat "Peut-on être scientifique et croyant?"
avec Denis Corpet (scientifique), Claude Vincent (philosophe) et Jacques
Nieuviarts (maître de conférence à la Faculté de Théologie)
Ce débat faisait suite à une enquête
auprès de jeunes de 16 à 25 ans
organisée par les paroisses de Castanet et des communes voisines. Sur
1500 questionnaires distribués, seuls 143 ont été
retournés indiquant une
proportion d'environ 50% de croyants. Les règles
élémentaires de la statistique
devraient être respectées avant de procéder à une
telle enquête car il n'a
pas été précisé comment les jeunes avaient
été sélectionnés et, d'autre
part, quelle valeur a une étude portant sur seulement 10% de
l'échantillon
initial? Un débat a suivi et a mis en scène un scientifique de
l'Ecole
Nationale Vétérinaire de Toulouse, un philosophe et un
théologien enseignant
à la Faculté de Théologie de Toulouse. L'auditoire
était à une très grande
majorité chrétien. Les trois intervenants adhèrent aussi
à la foi chrétienne,
le rationalisme n'est donc pas représenté. Contrairement aux
conférences
précédemment décrites, le niveau du débat fut
très décevant, chacun des
intervenants s'efforçant de paraître "jeune",
l'auditoire était
composé de beaucoup de jeunes ayant participé à
l'enquête.
Le scientifique Denis Corpet a d'abord rappelé des banalités
sur l'activité
d'un chercheur, l'art du doute, puis a décrit le cheminement qui l'a
conduit
à la foi. Il a ainsi "décidé de croire qu'il est
aimé, adoré de Dieu".
Le public a ensuite eu droit à une démonstration
désastreuse de l'absence
d'incompatibilité entre science et foi: un scientifique peut être
amoureux,
or l'amour ne se démontre pas, il n'existe pas de preuves que l'amour est
juste ou pas. Le scientifique peut donc croire avec la même force que son
amour ou que sa croyance en Dieu est juste. Denis Corpet reconnaît
que l'acte de croire est un pari, la foi n'est pas une certitude. Il est
regrettable que cet intervenant ait ironisé au sujet des
"athées durs
comme fer", probablement conforté par l'ambiance familiale de
l'auditoire
(une centaine de personnes).
Le philosophe Claude Vincent s'est ensuite exprimé au sujet de la
question
"Se fabrique-t-on un Dieu pour expliquer l'inexplicable?". Spinoza
s'est vu cité ("Dieu, asile de l'ignorance") ainsi qu'Auguste
Comte. Claude Vincent estime que les hommes croient pour donner un sens
à leur vie, la science donne la réponse au "comment" mais
pas
au "pourquoi". Son raisonnement est le suivant: "je décide
que la vie a un sens donc je crois". Le rationaliste ne peut se satisfaire
de ce genre de réponse, il s'agit là d'un pari que 2000 ans
d'histoire
chrétienne n'ont toujours pas gagné.
Le théologien Jacques Nieuviarts a présenté les deux
requêtes essentielles
à l'homme. La première est de comprendre le monde qui l'entoure et
l'autre
est relationnelle. Le théologien a ainsi repris le raisonnement du
scientifique
(un scientifique peut croire car il peut être amoureux) en indiquant lui
aussi que la foi et le doute sont toujours liés. Ce mariage de la foi et
de la raison est maintenant une constante chez les religieux pour faire
oublier que
la science fut souvent déclarée comme ennemie dans le
passé.
Suivant la même évolution (la même fuite) que celle
présentée par Jean-Michel Poirier dans la conférence du 26
février, Jacques Nieuviarts a lui
aussi exprimé que la Bible doit être lue avec du recul. Mais à
force de
prendre du recul on risque de tomber. Ainsi le théologien a
précisé que les récits d'Adam et Eve et
de la création du monde ne doivent pas être
interprétés littéralement mais
comme des symboles. Il serait heureux que le théologien exprime aussi
cette
opinion outre-Atlantique où les fondamentalistes lui opposeraient de vives
réactions, elles aussi chrétiennes.
Afin d'apporter la contradiction dans cette assemblée
chrétienne, j'ai
adressé au théologien la question suivante: Comment tracer la
limite entre
la lecture métaphorique de la Bible (Adam et Eve,
création du
monde en sept jours) et le respect des dogmes de l'Eglise chrétienne
(virginité
de Marie, résurrection du Christ)? En effet, la virginité de Marie
et la
résurrection du Christ doivent être considérés dans leur
sens premier comme
des réalités physiques, dans le cas contraire il ne s'agit plus de
dogmes.
La réponse fut inespérée: Jacques Nieuviarts a
nuancé la force du dogme
en laissant la porte légèrement ouverte à un début
d'interprétation métaphorique des dogmes!
Le recul de l'Eglise dans son interprétation des textes sacrés se
confirme
donc et on peut prévoir que, dans quelques décennies, la
virginité de Marie
et la résurrection de Jésus rejoindront Adam et Eve au paradis des
mensonges passés.
Conclusion
La tendance au mysticisme n'est pas blâmable tant
qu'elle reste une affaire personnelle et ne s'immisce pas dans la
société. Le danger apparaît
dès que des prophètes se montrent, des églises se forment.
L'ingérence
dans le domaine moral et politique est alors immédiate et la situation
est donc inacceptable. Chacun est libre de croire en un concept
mystérieux
qui peut être appelé Dieu mais l'adhésion à l'Eglise
chrétienne, au Judaïsme,
à l'Islam ou autres mythes constitue une soumission toujours lourde de
conséquences. Que faire alors pour que l'homme n'ait plus besoin de se
construire un Dieu pour expliquer l'inexplicable, pour donner un sens à
sa vie? L'instruction est une des solutions, la liberté d'esprit en est
une autre.
Je partage l'idée que les hommes s'inventent un Dieu pour se situer, se
rapprocher d'une perfection qui les rassure. Mais cet appel vers un concept
aussi subjectif n'est qu'un manque de responsabilité de l'homme qui, en
voulant se sentir protéger, creuse sa propre tombe. "Ni Dieu ni
maître"
ne dit rien d'autre que cela, chacun d'entre nous est libre de mener sa
vie comme il l'entend sans avoir à obéir aux préceptes d'une
Eglise.
J'ai une formation scientifique en astrophysique.
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