Un pamphlet récompensé par l'Association des Amis de Claude Tillier




Une année sur deux, la Médiathèque de Clamecy dans la Nièvre organise un concours du pamphlet Claude Tillier, du nom d'un instituteur connu pour sa plume alerte dans les années 1840. En plus des trois lauréats récompensés par la Médiathèque, l'Association des Amis de Claude Tillier a attribué un autre prix à Jocelyn Bézecourt pour un pamphlet sur Benoît XVI :

Benoît XVI plagie saint Augustin à Lourdes : « Je crois parce que c'est absurde. »

La remise du prix, un très bel exemplaire de Mon oncle Benjamin de Claude Tillier et les actes du colloque de 2001 sur l'auteur, a eu lieu le 19 avril 2009 lors d'une rencontre fort sympathique et très enrichissante : visite de Clamecy sur les pas de Claude Tillier et visite, au musée de la ville, de la salle consacrée à Romain Rolland.




Benoît XVI plagie saint Augustin à Lourdes :
« Je crois parce que c’est absurde. »



En 1858, au cœur de la campagne béarnaise, une gamine analphabète de quatorze ans est en proie à des hallucinations qui auraient mieux convenu pour entraîner son père ivrogne dans le monde des chimères. De la mère on ne sait pas grand chose. Dans la masure, quelques grigris catholiques pour occulter le fardeau de la misère par des arrière-mondes au rabais. La petite Soubirous connaît son chemin, entre la rivière et le rocher pyrénéen. La mode des apparitions de Marie bat son plein en ce milieu du XIXe siècle et les fariboles de la rue du Bac à Paris et de La Salette vont naturellement mener les christicoles du côté de la grotte de Massabielle. Coupable des errements révolutionnaires de 1789-1795, la France recevait des signes et c’est le spectre marial qui daignait paraître. A Lourdes, Bernadette, à l’ingénuité conférée par son jeune âge, est victime, par dix-huit fois, d’une altération psychiatrique des sens visuel et auditif. Et tous s’emparent de l’affaire des hallucinations, du maire jusqu’au ministre des cultes en passant par le préfet. L’Église, d’abord prudente, prend acte de l’engouement populaire, et après quatre années d’attente l’évêque de Tarbes identifie le trouble de la fillette avec les apparitions de la Vierge Marie, toujours immaculée, toujours conçue sans péché, toujours vierge, toujours fille-mère. Et toujours disponible pour restaurer l’autorité d’une Église amochée, désacralisée et partiellement dépouillée à la fin du siècle précédent par les lecteurs du Père Duchêne.

Jauger la situation par l’observation in situ et le sondage des autochtones avant de lancer un nouveau produit est une technique qui a toujours été mieux connue par les spécialistes du marketing que le droit du travail. Le succès de l’expérience fut tel que, après cent cinquante messes de Noël, le successeur de l’alors pontife Pie IX, revient, en septembre 2008, baiser ces pâturages où l’oseille vaticane croît avec des bruissements d’allégresse. Après une bière pour Jean Paul II, une cirrhose d’eau de Lourdes pour Benoît XVI : champagne ! En prévision de l’évènement, les cardiolâtres astiquent leurs crucifix, récitent les patenôtres, s’exercent à l’agenouillement. On réquisitionne les malades, on prie Dieu qu’il n’en meure pas en chemin et qu’ils parviennent en pleine maladie, en pleine souffrance, devant la piscine et la grotte de Massabielle et que celle-ci résonne de leurs borborygmes. « Sanguis martyrum semen christianorum » (« Le sang des martyrs est semence de chrétiens »), aimait à sermonner le bien portant Tertulien à une époque où l’on n’avait pas encore décidé si Jésus était homme, « dieu » ou les deux. Doit-on craindre que des microbes impies en résidence dans la piscine s’invitent dans des bouches béates, s’aventurent dans des plaies purulentes, que le bubon de l’un fraternise avec l’abcès de l’autre ? L’eau de la sainte mare est-elle régulièrement changée ? Le diable soit de la pénicilline et de la désinfection qui relèguent l’eau bénite à un Château la Pompe éventé.

On y a aussi un peu aidé la Providence : l’espace entre le Gave et la grotte étant trop restreint pour les milliers de clients attendus, la rivière a été détournée deux fois au XIXe siècle pour terrasser un large parvis en comblant son ancien lit. Aide-toi si le Ciel tarde à t’aider. Quant à la source dite miraculeuse qui fait moins parler les muets que les bavards, c’est Bernadette qui l’a vu jaillir pour la première fois : une source, dans un terrain déjà humide, à proximité d’une rivière, voilà qui défie effectivement les lois de la physique. Une loi de la nature qui, elle, a pourtant bien été observée, c’est la mort de Bernadette, survenue suffisamment tôt pour qu’elle ne revienne pas sur son témoignage. Après avoir été embarquée pour le couvent de Nevers en 1866 (pour « se cacher », selon ses propres termes), elle ira vérifier les thèses catholiques sur l’au-delà en 1879, à trente quatre ans, sans avoir connu d’autre époux virtuel que Jésus. Pie XI la canonisera en 1933, ce qui la laissera de marbre.

Benoît XVI vient donc à Lourdes et personne ne doute que ce déplacement retiendra toute l’attention du chanoine de Latran Nicolas Sarkozy, servi par des médias saoulés à l’eau bénite. « Unijambistes, Lourdes vous fera une belle jambe », se seraient sûrement exclamés les surréalistes. Rien de très innovant toutefois pour la famille papale puisque Jean-Paul II, ou ses reliques encore vivantes, y avait été transporté en août 2004. Devant une assistance moins nombreuse que prévu, pas forcément d’accord pour mettre le préservatif à l’index ou pour boire jusqu’à la lie l’intégralité du canon, le Vatican avait donné en spectacle un homme revenu au stade fœtal, végétatif, affichant avec ostentation que Lourdes tient plus du mouroir que du parcours de santé, plus de la charité que de l’hôpital. Malgré le mysticisme ambiant et l’insolation des esprits, le miracle n’eut pas lieu et l’ami Karol est reparti comme il était venu, en fauteuil roulant, vieux et malade.

Quiconque guette une guérison à Lourdes ferait bien de s’abstenir d’en consulter les statistiques compilées depuis un siècle et demi pour espérer conserver l’espoir. Si, peu après les facéties de Bernadette, on prétendait observer une guérison pour deux cents pèlerins, ce nombre avait chuté d’un facteur dix en 1900. En 1930, il n’était plus que d’une guérison pour cinq mille pèlerins et l’effondrement s’est poursuivi pour s’abîmer à une guérison pour un million de pèlerins en 1949. Les guérisons de tuberculoses pulmonaires, nécessairement miraculeuses, ont vite disparu de Lourdes avec la radiographie et les contrôles bactériologiques. Les progrès de la médecine et une surveillance accrue du phénomène ont mieux chassé les interventions divines de l’Eden béarnais qu’une éventuelle concurrence mono ou polythéiste. Cette dernière excentricité exotique foule pourtant parfois le sol de Massabielle puisque des hindous aiment aussi à s’y rendre : l’œcuménisme, loin de tenter une impossible harmonie des cultes qui promet d’être fratricide, est plutôt le radeau auquel se raccrochent des religions désespérées par la laïcité et le matérialisme.

La pompe à phynance lourdaise ronronne ainsi chaque jour que le concept de dieu n’a pas fait. Les marchands du temple dédaignent l’obligatoire repos dominical par la vente de flotte bénie à des cohortes de pèlerins assoiffés par la quête de sens, de statuettes prudemment bien peu callipyges, représentations idolâtres de Marie, ou encore d’icônes du produit christique de sa parthénogénèse. Car, pour engendrer un dieu, fut-il aussi homme, personne ne doute au Vatican que Marie naquit sans être souillée par le lointain péché originel. C’est Pie IX qui l’a affirmé, décidé, imaginé, inventé peut-être. C’était en 1854, jeté pêle-mêle entre un vomissement du modernisme, une saillie contre les juifs et une mise en garde contre les libertés. Et comme il n’a pas oublié de décréter sa propre infaillibilité, étendue magnanimement à tout porteur de tiare, personne, effectivement, n’imagine un instant en douter sous le balcon de Saint-Pierre.

Le merveilleux catholique n’avait bien sûr pas attendu que Pie IX proclame cette astuce fine pour obscurcir la physique et pousser l’entendement humain au cachot. La transsubstantiation réussit, à chaque messe, un joli prodige par la métamorphose, bien réelle nous disent des experts appliqués, du vin de messe en sang et de l’hostie en chair. A Lourdes, la tradition alchimique est perpétuée quotidiennement par le souffle préhistorique de la Bête terrée à Massabielle qui change les euros en promesses de messes. Admirable vocation de l’ensoutané qui lui fait ânonner des prières en Afrique noire, en Amérique latine, en Asie, tant qu’il y a de l’euro au Béarn. Pour le patient mûr, l’escapade lourdaise est donc comme une séance chez un freudien ou un lacanien où l’engagement par le sacrifice financier s’inscrit dans la thérapie (« Donnez pour le denier », s’écrie le pasteur dans le temple, « Dieu nous le rendra », bêlent les brebis).

Un qui s’intéressa sérieusement au catholicisme pyrénéen fut Zola mais, en 1894, le vent avait tourné depuis 1858 et la République avait acquis son troisième galon. Comme un siècle plus tôt, on veut la justice et la liberté. Son roman, Lourdes, présente les fictions chrétiennes comme « la haine de la vie, le dégoût et la paralysie de l’action », où « l’illusion divine » et « l’éternel mensonge du paradis » sont les ultimes antidouleurs de l’être humain quand il « a touché le fond du malheur de vivre ». L’Assiette au Beurre, elle aussi, arrange la fable de Lourdes1 : des curés gras et repus y sont les meilleurs experts comptables d’une Église rompue à l’extorsion de fonds. Les malades sont tenus de rester dans leur état et, pour cela, sont chassés de Lourdes avant qu’ils n’y décèdent. Que la notion de dieu rappelle à elle ses ouailles disciplinées en d’autres lieux, loin du brouhaha des prières, hors de l’épicerie catholique !

Pourtant, au début du XXIe siècle, les miracles sont plutôt rares et, comme pour les OVNI, y croire expose au ridicule, en voir est une convocation chez un psychologue, voire un psychiatre si la revendication se fait plus bruyante. Il s’agit, pour l’Église, de protéger la vraie, belle et bonne religion de l’obscure, infâme et détestable idolâtrie. C’est le combat suicidaire de la religion contre la superstition où l’évêque frappe le miroir qui lui fait face. A Lourdes, une commission de médecins catholiques s’y emploie. Mais leur expertise ne s’étend pas jusqu’à Rome où le prédécesseur de Benoît XVI avait surpris le monde de la voyance en prédisant le passé : ce fut la révélation du troisième secret de Fatima, après quatre-vingt trois années d’interrogations.

Fatima est cette petite bourgade portugaise où, en 1917, trois enfants auraient vu Marie, la mère du légendaire Jésus Christ. Les miracles et apparitions surviennent en général face à un public très restreint, peu instruit et dans des endroits isolés (à quand une apparition de Marie place Saint-Pierre à Rome devant caméras et millions de témoins ?). Mais Dieu frappe sans prévenir et deux des trois gamins sont décédés un et trois ans plus tard. Ce qui évitera qu’ils reviennent, ultérieurement, sur leurs témoignages en révélant, en fait, qu’ils n’ont rien vu. Restait Lucia, détentrice du secret qui a, elle aussi, été rapidement réduite au silence en entrant dans une pension religieuse à Porto en 1921 pour ne plus s’extraire de la gangue religieuse.

La célébrité de Fatima ne vient donc pas des témoignages des moutards, vite mis à l’écart, mais d’un évêque qui a flairé la bonne affaire et s’est mis à parcourir le monde avec le succès qui peut être mesuré actuellement. Pèlerinages et processions à genoux attirent quantité de grenouilles de bénitiers (un batracien agenouillé, un autre prodige) qui, en souvenir de ces moments de haute spiritualité, ne manquent pas d’illustrer que la crédulité n’a de bornes que celles imposées par le porte-monnaie.

Jean Paul II ne s’y est pas trompé et s’est rendu à Fatima le 14 mai 2000. La troisième prophétie aurait annoncé un évènement survenu dix neuf ans auparavant, à savoir son rappel raté à l’idole chrétienne le 13 mai 1981, aussi présenté comme un attentat par quiconque ignore que Dieu tout-puissant dirige l’humanité. C’est un nouveau genre dans l’évangélisation chrétienne : la prédiction du passé. Les gourous n’y sont pas sujets à l’angoisse de la réalisation de leur prédiction et sont assurés du succès. Le Vatican a donc une longueur d’avance sur Elizabeth Tessier et autres astrologues qui, banalement, en sont restés à se préoccuper de l’avenir. Le fétichisme a culminé jusqu’à l’installation dans le diadème de la Vierge de la balle qui atteint le pape Wojtyla. Reliques et fétichisme sont les mamelles de brebis noyées dans le troupeau.

Pourtant, une rumeur susurrée au Vatican affirme qu’un concile y aurait été organisé en 1962-1965 pour moderniser l’Église, il s’appellerait Vatican II. Les billevesées catholiques seraient-elle appelées à ne devenir qu’un réflexe compulsif obsolète ? L’Église aurait-elle, aujourd’hui, abandonné ces historiettes pour enfants pour se concentrer (concentrer c’est aussi perdre en volume) sur la « quête de sens » ? Pas sûr, au contraire. Le panzercardinal Joseph Ratzinger, bien avant d’être connu sous le pseudonyme de Benoît XVI, assénait dans son livre La mort et l’au-delà, court traité d’espérance chrétienne que la résurrection des morts, l’immortalité de l’âme, le paradis, l’enfer, le purgatoire, ne sont pas de piteux résidus d’un folklore poussiéreux mais des réalités dont on ne saurait douter. La doctrine ne peut se séparer de son cœur au risque d’être vidée de sa substance.


Jocelyn Bézecourt
juin 2008

Note :
1 : 29 août 1901



A lire sur Gallica, la bibliothèque virtuelle de la BNF, les Pamphlets de Claude Tillier, dont une partie a été publiée en 1967 chez Pauvert.


22 avril 2009

    Contact