Benoît
XVI plagie saint Augustin à Lourdes :
« Je
crois parce que c’est absurde. »
En
1858, au cœur de la campagne béarnaise, une gamine
analphabète de quatorze ans est en proie à des
hallucinations qui auraient mieux convenu pour entraîner son
père ivrogne dans le monde des chimères. De la mère
on ne sait pas grand chose. Dans la masure, quelques grigris
catholiques pour occulter le fardeau de la misère par des
arrière-mondes au rabais. La petite Soubirous connaît
son chemin, entre la rivière et le rocher pyrénéen.
La mode des apparitions de Marie bat son plein en ce milieu du XIXe
siècle et les fariboles de la rue du Bac à Paris et de
La Salette vont naturellement mener les christicoles du côté
de la grotte de Massabielle. Coupable des errements révolutionnaires
de 1789-1795, la France recevait des signes et c’est le spectre
marial qui daignait paraître. A Lourdes, Bernadette, à
l’ingénuité conférée par son jeune
âge, est victime, par dix-huit fois, d’une altération
psychiatrique des sens visuel et auditif. Et tous s’emparent de
l’affaire des hallucinations, du maire jusqu’au ministre
des cultes en passant par le préfet. L’Église,
d’abord prudente, prend acte de l’engouement populaire,
et après quatre années d’attente
l’évêque de Tarbes identifie le trouble de
la fillette avec les apparitions de la Vierge Marie, toujours
immaculée, toujours conçue sans péché,
toujours vierge, toujours fille-mère. Et toujours disponible
pour restaurer l’autorité d’une Église
amochée, désacralisée et partiellement
dépouillée à la fin du siècle précédent
par les lecteurs du Père Duchêne.
Jauger
la situation par l’observation in situ et le sondage des
autochtones avant de lancer un nouveau produit est une technique qui
a toujours été mieux connue par les spécialistes
du marketing que le droit du travail. Le succès de
l’expérience fut tel que, après cent cinquante
messes de Noël, le successeur de l’alors pontife Pie IX,
revient, en septembre 2008, baiser ces pâturages où
l’oseille vaticane croît avec des bruissements
d’allégresse. Après une bière pour Jean
Paul II, une cirrhose d’eau de Lourdes pour Benoît XVI :
champagne ! En prévision de l’évènement,
les cardiolâtres astiquent leurs crucifix, récitent les
patenôtres, s’exercent à l’agenouillement.
On réquisitionne les malades, on prie Dieu qu’il n’en
meure pas en chemin et qu’ils parviennent en pleine maladie, en
pleine souffrance, devant la piscine et la grotte de Massabielle et
que celle-ci résonne de leurs borborygmes. « Sanguis
martyrum semen christianorum » (« Le sang des
martyrs est semence de chrétiens »), aimait à
sermonner le bien portant Tertulien à une époque où
l’on n’avait pas encore décidé si Jésus
était homme, « dieu » ou les deux. Doit-on
craindre que des microbes impies en résidence dans la piscine
s’invitent dans des bouches béates, s’aventurent
dans des plaies purulentes, que le bubon de l’un fraternise
avec l’abcès de l’autre ? L’eau de la sainte
mare est-elle régulièrement changée ? Le diable
soit de la pénicilline et de la désinfection qui
relèguent l’eau bénite à un Château
la Pompe éventé.
On
y a aussi un peu aidé la Providence : l’espace entre le
Gave et la grotte étant trop restreint pour les milliers de
clients attendus, la rivière a été détournée
deux fois au XIXe siècle pour terrasser un large parvis en
comblant son ancien lit. Aide-toi si le Ciel tarde à t’aider.
Quant à la source dite miraculeuse qui fait moins parler les
muets que les bavards, c’est Bernadette qui l’a vu
jaillir pour la première fois : une source, dans un terrain
déjà humide, à proximité d’une
rivière, voilà qui défie effectivement les lois
de la physique. Une loi de la nature qui, elle, a pourtant bien été
observée, c’est la mort de Bernadette, survenue
suffisamment tôt pour qu’elle ne revienne pas sur son
témoignage. Après avoir été embarquée
pour le couvent de Nevers en 1866 (pour « se cacher »,
selon ses propres termes), elle ira vérifier les thèses
catholiques sur l’au-delà en 1879, à trente
quatre ans, sans avoir connu d’autre époux virtuel que
Jésus. Pie XI la canonisera en 1933, ce qui la laissera de
marbre.
Benoît
XVI vient donc à Lourdes et personne ne doute que ce
déplacement retiendra toute l’attention du chanoine de
Latran Nicolas Sarkozy, servi par des médias saoulés à
l’eau bénite. « Unijambistes, Lourdes vous fera
une belle jambe », se seraient sûrement exclamés
les surréalistes. Rien de très innovant toutefois pour
la famille papale puisque Jean-Paul II, ou ses reliques encore
vivantes, y avait été transporté en août
2004. Devant une assistance moins nombreuse que prévu, pas
forcément d’accord pour mettre le préservatif à
l’index ou pour boire jusqu’à la lie l’intégralité
du canon, le Vatican avait donné en spectacle un homme revenu
au stade fœtal, végétatif, affichant avec
ostentation que Lourdes tient plus du mouroir que du parcours de
santé, plus de la charité que de l’hôpital.
Malgré le mysticisme ambiant et l’insolation des
esprits, le miracle n’eut pas lieu et l’ami Karol est
reparti comme il était venu, en fauteuil roulant, vieux et
malade.
Quiconque
guette une guérison à Lourdes ferait bien de s’abstenir
d’en consulter les statistiques compilées depuis un
siècle et demi pour espérer conserver l’espoir.
Si, peu après les facéties de Bernadette, on prétendait
observer une guérison pour deux cents pèlerins, ce
nombre avait chuté d’un facteur dix en 1900. En 1930, il
n’était plus que d’une guérison pour cinq
mille pèlerins et l’effondrement s’est poursuivi
pour s’abîmer à une guérison pour un
million de pèlerins en 1949. Les guérisons de
tuberculoses pulmonaires, nécessairement miraculeuses, ont
vite disparu de Lourdes avec la radiographie et les contrôles
bactériologiques. Les progrès de la médecine et
une surveillance accrue du phénomène ont mieux chassé
les interventions divines de l’Eden béarnais qu’une
éventuelle concurrence mono ou polythéiste. Cette
dernière excentricité exotique foule pourtant parfois
le sol de Massabielle puisque des hindous aiment aussi à s’y
rendre : l’œcuménisme, loin de tenter une
impossible harmonie des cultes qui promet d’être
fratricide, est plutôt le radeau auquel se raccrochent des
religions désespérées par la laïcité
et le matérialisme.
La
pompe à phynance lourdaise ronronne ainsi chaque jour que le
concept de dieu n’a pas fait. Les marchands du temple
dédaignent l’obligatoire repos dominical par la vente de
flotte bénie à des cohortes de pèlerins
assoiffés par la quête de sens, de statuettes prudemment
bien peu callipyges, représentations idolâtres de Marie,
ou encore d’icônes du produit christique de sa
parthénogénèse. Car, pour engendrer un dieu,
fut-il aussi homme, personne ne doute au Vatican que Marie naquit
sans être souillée par le lointain péché
originel. C’est Pie IX qui l’a affirmé, décidé,
imaginé, inventé peut-être. C’était
en 1854, jeté pêle-mêle entre un vomissement du
modernisme, une saillie contre les juifs et une mise en garde contre
les libertés. Et comme il n’a pas oublié de
décréter sa propre infaillibilité, étendue
magnanimement à tout porteur de tiare, personne,
effectivement, n’imagine un instant en douter sous le balcon de
Saint-Pierre.
Le
merveilleux catholique n’avait bien sûr pas attendu que
Pie IX proclame cette astuce fine pour obscurcir la physique et
pousser l’entendement humain au cachot. La
transsubstantiation réussit, à chaque messe, un joli
prodige par la métamorphose, bien réelle nous disent
des experts appliqués, du vin de messe en sang et de l’hostie
en chair. A Lourdes, la tradition alchimique est perpétuée
quotidiennement par le souffle préhistorique de la Bête
terrée à Massabielle qui change les euros en promesses
de messes. Admirable vocation de l’ensoutané qui lui
fait ânonner des prières en
Afrique noire, en Amérique latine, en Asie, tant qu’il
y a de l’euro au Béarn. Pour le patient mûr,
l’escapade lourdaise est donc comme une séance chez un
freudien ou un lacanien où l’engagement par le sacrifice
financier s’inscrit dans la thérapie (« Donnez
pour le denier », s’écrie le pasteur dans le
temple, « Dieu nous le rendra », bêlent les
brebis).
Un
qui s’intéressa sérieusement au catholicisme
pyrénéen fut Zola mais, en 1894, le vent avait tourné
depuis 1858 et la République avait acquis son troisième
galon. Comme un siècle plus tôt, on veut la justice et
la liberté. Son roman, Lourdes, présente les
fictions chrétiennes comme « la haine de la vie, le
dégoût et la paralysie de l’action », où
« l’illusion divine » et «
l’éternel mensonge du paradis » sont les
ultimes antidouleurs de l’être humain quand il «
a touché le fond du malheur de vivre ».
L’Assiette au Beurre, elle aussi, arrange la fable de
Lourdes1 : des curés gras et repus y sont les meilleurs experts
comptables d’une Église rompue à l’extorsion
de fonds. Les malades sont tenus de rester dans leur état et,
pour cela, sont chassés de Lourdes avant qu’ils n’y
décèdent. Que la notion de dieu rappelle à elle
ses ouailles disciplinées en d’autres lieux, loin du
brouhaha des prières, hors de l’épicerie
catholique !
Pourtant,
au début du XXIe siècle, les miracles sont plutôt
rares et, comme pour les OVNI, y croire expose au ridicule, en voir
est une convocation chez un psychologue, voire un psychiatre si la
revendication se fait plus bruyante. Il s’agit, pour l’Église,
de protéger la vraie, belle et bonne religion de l’obscure,
infâme et détestable idolâtrie. C’est le
combat suicidaire de la religion contre la superstition où
l’évêque frappe le miroir qui lui fait face. A
Lourdes, une commission de médecins catholiques s’y
emploie. Mais leur expertise ne s’étend pas jusqu’à
Rome où le prédécesseur de Benoît XVI
avait surpris le monde de la voyance en prédisant le passé
: ce fut la révélation du troisième secret de
Fatima, après quatre-vingt trois années
d’interrogations.
Fatima
est cette petite bourgade portugaise où, en 1917, trois
enfants auraient vu Marie, la mère du légendaire Jésus
Christ. Les miracles et apparitions surviennent en général
face à un public très restreint, peu instruit et dans
des endroits isolés (à quand une apparition de Marie
place Saint-Pierre à Rome devant caméras et millions de
témoins ?). Mais Dieu frappe sans prévenir et deux des
trois gamins sont décédés un et trois ans plus
tard. Ce qui évitera qu’ils reviennent, ultérieurement,
sur leurs témoignages en révélant, en fait,
qu’ils n’ont rien vu. Restait Lucia, détentrice du
secret qui a, elle aussi, été rapidement réduite
au silence en entrant dans une pension religieuse à Porto en
1921 pour ne plus s’extraire de la gangue religieuse.
La
célébrité de Fatima ne vient donc pas des
témoignages des moutards, vite mis à l’écart,
mais d’un évêque qui a flairé la bonne
affaire et s’est mis à parcourir le monde avec le succès
qui peut être mesuré actuellement. Pèlerinages et
processions à genoux attirent quantité de grenouilles
de bénitiers (un batracien agenouillé, un autre
prodige) qui, en souvenir de ces moments de haute spiritualité,
ne manquent pas d’illustrer que la crédulité n’a
de bornes que celles imposées par le porte-monnaie.
Jean
Paul II ne s’y est pas trompé et s’est rendu à
Fatima le 14 mai 2000. La troisième prophétie aurait
annoncé un évènement survenu dix neuf ans
auparavant, à savoir son rappel raté à l’idole
chrétienne le 13 mai 1981, aussi présenté comme
un attentat par quiconque ignore que Dieu tout-puissant dirige
l’humanité. C’est un nouveau genre dans
l’évangélisation chrétienne : la
prédiction du passé. Les gourous n’y sont pas
sujets à l’angoisse de la réalisation de leur
prédiction et sont assurés du succès. Le Vatican
a donc une longueur d’avance sur Elizabeth Tessier et autres
astrologues qui, banalement, en sont restés à se
préoccuper de l’avenir. Le fétichisme a culminé
jusqu’à l’installation dans le diadème de
la Vierge de la balle qui atteint le pape Wojtyla. Reliques et
fétichisme sont les mamelles de brebis noyées dans le
troupeau.
Pourtant,
une rumeur susurrée au Vatican affirme qu’un concile y
aurait été organisé en 1962-1965 pour moderniser
l’Église, il s’appellerait Vatican II. Les
billevesées catholiques seraient-elle appelées à
ne devenir qu’un réflexe compulsif obsolète ?
L’Église aurait-elle, aujourd’hui, abandonné
ces historiettes pour enfants pour se concentrer (concentrer c’est
aussi perdre en volume) sur la « quête de sens »
? Pas sûr, au contraire. Le panzercardinal Joseph
Ratzinger, bien avant d’être connu sous le pseudonyme de
Benoît XVI, assénait dans son livre La mort et
l’au-delà, court traité d’espérance
chrétienne que la résurrection des morts,
l’immortalité de l’âme, le paradis, l’enfer,
le purgatoire, ne sont pas de piteux résidus d’un
folklore poussiéreux mais des réalités dont on
ne saurait douter. La doctrine ne peut se séparer de son cœur
au risque d’être vidée de sa substance.
Jocelyn
Bézecourt
juin 2008
Note :
1 : 29 août 1901
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