A Paris, manifestation de l'extrême droite catholique contre le blasphème et la christianophobie
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L'extrême droite catholique a de nouveau manifesté à Paris le 11 décembre 2011 contre le blasphème, la christianophobie, la liberté de création et une modernité qui l'a laissée figée dans l'Ancien Régime. De la place de l'Alma aux abords du Théâtre du Rond-Point, une cohorte de catholiques réactionnaires ont prié et chanté à la gloire d'un panthéon trinitaire absent.
A 14h, le cortège est en place, prêt à cheminer en direction du lieu de perdition situé sur les Champs Élysées où se joue la pièce de Rodrigo Garcia Golgota picnic. Civitas avait invité à la manifestation en ces termes sur son site internet le 3 décembre : "Venez en famille (aucun risque, la manifestation est déclarée et officielle), défiler, chanter et surtout prier la Sainte Vierge pour qu'elle fasse cesser les blasphèmes." Comme tout, ici, est affaire de croyance, il faut croire que la "Vierge" Marie avait d'autres miracles sur le feu puisque la représentation de Golgota picnic se poursuit chaque jour que le concept fantaisiste de "Dieu" n'a pas fait. Pour la prochaine fois, Civitas implorera le Père Noël.
Hargne envers les journalistes
Avant le premier pas, Alain Escada, secrétaire général de l'organisation, se livre à une charge extrêmement violente contre les journalistes qui, précisément, l'enregistrent, le filment, le photographient et notent ses propos à cet instant précis. La liberté de la presse comme celle de la création artistique, et la liberté de façon générale, est insupportable à un mouvement autoritaire et dogmatique qui exècre le libre arbitre et la libre critique de ses superstitions. Dans un réquisitoire incroyablement virulent et haineux contre les médias, Escada se défend d'être intégriste ou extrémiste, met en garde contre le nihilisme, explique aux journalistes que "notre mode de raisonnement vous est étranger", et prend ses fantasmes pour une réalité en claironnant que "les catholiques sont de retour". Pour lui, aucun doute, les journalistes sont aux ordres et il se fait prêcheur par des injonctions exorcistes : "libérez-vous de vos commanditaires", "libérez vos esprits des balivernes idéologiques". Cette stupéfiante irritation contre la presse procède de l'incapacité à accepter un monde qui s'échappe des serres historiques du christianisme, un monde dans lequel les individus disposent de leur propre autonomie et refusent d'être soumis à un ordre moral dicté par une clique de moralisateurs tristes et hypocrites.
Agressivité idéologique et appel au lobbying
Une fois son venin craché, Escada revient à la marotte plus routinière qu'il ressasse depuis quelques semaines maintenant : les œuvres d'art contestées ne sont que "blasphèmes, provocations antichrétiennes", dans Golgota picnic "les mots et les gestes sont blasphématoires et quasi pornographiques", et les épithètes agressifs s'amoncellent à ce procès de l'art contemporain. Fidèle à la stratégie du renversement de l'argumentation, il ne s'agirait de rien de moins que d'un "fondamentalisme laïcard". Dans ce bazar du recyclage linguistique, Escada évoque aussi les "catholiques indignés" qui se rassemblent devant les théâtres.
Comme il faut bien aussi faire vibrer le public qui commence à être transi par le froid et la pluie fine, l'ancien membre du Front National de Belgique lance le succès du moment : "France Jeunesse Chrétienté", repris en chœur par les ados et post ados de la première ligne derrière la banderole de tête. Bien que conspuant les médias, les organisateurs n'ont toutefois pas négligé d'y placer des jeunes garçons et filles souriants et polis, espérant une meilleure couverture photographique. Mais clamer son adhésion aux superstitions chrétiennes ne suffit pas, il convient aussi, et d'abord, de remercier la figure centrale du mythe : "Remercions le bon dieu pour toutes les grâces qu'il nous a accordées pendant ce trimestre", l'écho médiatique n'en étant pas le moindre. Alain Escada rappelle aussi l'activité de lobbying de Civitas : les manifestants sont sommés de "s'engager dans la société en tant que catholiques" et d'agir, à ce titre, dans la famille, la vie professionnelle, les associations, les communes pour une "rechristianisation des esprits". La tâche n'est pas mince.
La harangue terminée, la manifestation peut enfin s'ébranler sur le Cours Albert 1er. Parmi les curés en soutane venus déambuler, se trouvent deux piliers de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X en France : Régis de Cacqueray, supérieur du District de France, et Xavier Beauvais, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, qui n'hésite pas à chanter au micro pour entraîner la foule. Ce dernier arbore un large sourire et est visiblement comblé d'être là.
Les slogans sont identiques à ceux du 29 octobre avec, entre autres, le déjà connu "Touchez pas au Christ roi, le blasphème ne passera pas". On n'oublie pas de réécrire l'histoire de France : "c'est le catholicisme qui a fait la France", et, logiquement, un type vomit ce que ses entrailles contenaient depuis longtemps : "A bas la République, vive le Roi". Le ridicule tuant moins que le fascisme, un orateur au micro ose un incroyable "Ribes, Garcia, Castellucci : no pasaran" afin d'essayer de réveiller des grenouilles de bénitier un peu engourdies par l'humidité et le froid. Toujours sur Jean-Michel Ribes, le directeur du Théâtre du Rond-Point : "Ribes, ta culture, c'est de l'ordure".
Quelques brutes
Si la manifestation se veut familiale, pacifique, recueillie dans la prière et l'affliction, certains sont quand même venus avec des envies plus sportives. Les brutes du GUD et autres voyous qui s'affichaient en rangs serrés le 29 octobre n'ont pas constitué à l'arrière, ce dimanche, un groupe aussi visible et arrogant. Des ordres ont-ils été donnés pour cela et convaincre que les catholiques ne sont que de paisibles paroissiens ? Cependant, une dizaine d'abrutis défilent quand même plus ou moins masqués, et gantés, et certains présents le 29 octobre y sont identifiés (dont une fille). Deux ne laissent voir que leurs yeux quand d'autres ont la moitié inférieure du visage masquée par une écharpe blanche, beaucoup plus chic qu'un banal foulard noir. Ah, le frisson de l'action violente clandestine et stérile que, vingt ans après, on se racontera encore...
Exécration de la liberté individuelle
Toute promenade a une fin et l'avenue Franklin Delano Roosevelt est barrée au niveau de celle du Général Eisenhower par les grilles des véhicules de police et les bleus qui y étaient stockés. L'heure de la messe et des prières a donc sonné et c'est à genou que les adorateurs de JC, des saints et de leurs auréoles, ont rabâché d'interminables Je vous salue Marie. Sur les deux bords de l'avenue, les policiers en civil, par groupes de deux, observent qu'il n'y a rien à observer et s'ennuient probablement autant que les collègues lourdement équipés et postés virilement de l'autre côté des barrières.
Mais le plus instructif était à venir avec le sermon de l'abbé Régis de Cacqueray qui donna le véritable socle idéologique de l'événement. En symétrie à l'irritation d'Escada contre les médias, le prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X a, d'une part, déroulé sa thèse contre le culte de la liberté et, d'autre part, délivré un délire mystique sur le diable qu'on peinerait à imaginer ailleurs que dans les sombres profondeurs de l'Histoire. Avec la calme agressivité du dépositaire du dogme, le curé en soutane noire a asséné que l'homme (et la femme) est soumis à un ordre naturel et surnaturel qu'il n'a pas choisi et contre lequel il ne peut rien. S'y soumettre est sa fonction de croyant. Le refuser est s'abandonner à un modernisme qui veut faire de l'individu un démiurge mais n'en fait qu'un destructeur. Cacqueray martèle ses jugements avec méthode et application, il est celui qui sait, le guide de brebis venues se nourrir d'une vérité plongée dans le formol d'un totalitarisme ancien. Pour conférer du concret à son propos, quelques amabilités sont distillées contre l'avortement avec les bébés "déchiquetés, brûlés", d'autres sont destinées aux "hussards noirs de la République" qui ont prétendu s'émanciper de "Dieu" et une bonne rasade de fiel est jetée à la face de l'art contemporain dont la production "est un anti-art" caractérisé par sa "nullité". Bref, le modernisme consiste en une "révolution de la destruction permanente".
La chasse au démon
Vient ensuite un étrange et archaïque délire sur la présence toujours perverse du diable dans la société actuelle. On se pique pour croire ce que les oreilles subissent. Cacqueray, dont l'horloge s'est figée au XVème siècle, s'abandonne à une cascade hallucinatoire de phobies sataniques : "c'est Lucifer qui a brandi l'étendard de la révolution contre Dieu", "la remise en cause du principe d'autorité est diabolique", "l'acte qui est signé par Satan est le suicide". On est prié, le mot est juste, de ne pas rigoler. L'abbé poursuit, sérieux comme un pape, en dressant une douloureuse liste, qu'on imagine bien incomplète, d'éléments derrière lesquels se terre le satanisme : nombre de chansons de rock en seraient inspirées, Harry Potter et Halloween s'abreuveraient à la même source, comme le Hellfest et les marabouts, sans oublier la libre pensée qui serait naturellement un produit du satanisme. Quant à Jean-Michel Ribes, il n'échappe pas à l'avalanche : "ce n'est pas la libre pensée qui est dans son théâtre, c'est le culte luciférien."
Le disciple de Mgr Lefebvre délaisse (un peu) le diable l'instant d'une évocation du "nihilisme artistique", objecte que "les amalgames que l'on tente de faire avec l'extrême droite sont usés, éculés", et décoche une flèche contre "l'islam qui s'impose d'autant plus facilement que la déchéance de la France laïcisée n'impose aucun respect à l'islam". Le Cheikh Jamel Tahiri et quelques musulmanes voilées du Centre Zahra France, déjà présents le 29 octobre, se tiennent coi, eux qui n'hésitent pas à affirmer que la France est catholique.
Exorcisme
Mais le cirque n'est pas terminé. Le petit soldat de la FSSPX améliore son déguisement en revêtant l'étole et il se justifie d'une lumineuse précision théologique : s'il porte l'étole, c'est parce qu'elle "est le symbole du pouvoir sacerdotal". Doté de cette nouvelle force surnaturelle, entre Superman et Zorro, l'abbé récite une formule d'exorcisme face au théâtre et dos aux manifestants agenouillés, renouant ainsi avec la liturgie adoptée à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Enfin, il lance un peu d'eau bénite (de la flotte, rien de plus) en direction de la maison de Satan. L'obscurantisme catholique plonge dans les abysses.
Alain Escada revient pour un dernier tour de piste, une dernière jouissance de sa célébrité récemment acquise. Après avoir multiplié le nombre de manifestants pour le porter au nombre fantaisiste de 6600 (2000 selon la police), il remercie les sympathiques amis qui ont assuré la caution religieuse de l'après-midi : la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X bien sûr, mais aussi les Capucins et la Fraternité Sacerdotale Saint Pierre. Quand il lance un ultime appel à se rassembler devant le théâtre du Rond-Point chaque soir à 20h du 13 au 17 décembre, on pense enfin venu le terme de l'après-midi. Mais c'était sans compter les pulsions de violence qui habitent l'extrême droite. Dans un sursaut totalement irresponsable, Escada, survolté, reprend le micro et annonce que "des nervis d'extrême gauche sont en train d'essayer d'encercler Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Vous savez ce qu'il vous reste à faire." Un frisson parcourt le bitume. La patrie et la religion en danger ? Je pars donc vers Saint-Nicolas-du-Chardonnet comme de nombreuses autres personnes et y parviens à 18h20 pour constater qu'on n'y trouve pas l'ombre d'un militant d'extrême gauche ou d'un anarchiste. Par contre, les gendarmes s'y comptent par dizaines.
13 décembre 2011
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