Journalistes otages en Irak : le ministre de l'Intérieur voudrait-il encore plus d'islam pour défendre la laïcité ?
Ce pourrait être l'histoire d'un pompier qui, pour éteindre un incendie dévastateur, ferait appel aux services d'un pyromane. Pressé par l'urgence et n'osant pas remettre les religieux à leur place, c'est-à-dire dans leurs temples et hors du champ politique, le ministre De Villepin s'est empressé de solliciter les membres du peu représentatif Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) pour obtenir la libération des journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot odieusement retenus en otage en Irak depuis le 20 août avec leur chauffeur syrien. Les mystiques décérébrés de l'Armée islamique en Irak exigent le retrait de la loi contre les signes religieux à l'école en échange de leur libération.
Le gouvernement a souhaité afficher la plus grande fermeté contre l'ingérence d'un groupuscule fanatique dans la politique française mais il s'est adjoint la collaboration d'alliés au jeu trouble. Il n'a ainsi rien trouvé de mieux que de réaffirmer son attachement à la loi laïque en convoquant les membres du CFCM au ministère de l'Intérieur pour prononcer une déclaration officielle le 29 août au cours de laquelle on a pu voir une voilée de l'UOIF, Fatima Ajbli, exhiber ostensiblement son hidjab devant les caméras de télévision. Il n'est pas sûr que l'on convainque du bien fondé de la neutralité religieuse quand l'étendard du combat islamiste apparaît aux côtés du ministre. De Villepin entouré de Fouad Alaoui (UOIF), Mohamed Bechari (FNMF), Dalil Boubakeur (Mosquée de Paris), qu'il est beau l'islam républicain et laïque... Quand on sait que l'UOIF a depuis toujours soutenu et encouragé l'épreuve de force pour obtenir le droit de se camoufler dans le voile islamique, que la FNMF a nié au gouvernement le droit de contester les accords binationaux avec le Maroc qui permettent à un mari de répudier sa femme sans plus de formalité et que la Mosquée de Paris reçoit ses ordres d'Alger, on imagine sans peine la sincérité de ces nouveaux apôtres de la laïcité...
En appeler à plus l'islam pour combattre l'islam ne s'est pas limité à une pieuse déclaration d'attachement à la laïcité. Le 31 août, Dominique de Villepin et Bertrand Delanoë, maire de Paris, ont participé à une séance de prière à la Mosquée de Paris pour la libération des otages. Les élus auraient été bien inspirés de se souvenir que l'histoire des monothéismes est riche de prières infiniment plus efficaces à déclencher la guerre et entretenir les haines qu'à les arrêter. En cela, De Villepin et Delanoë n'ont fait qu'emprunter un chemin maintes fois pratiqué précédemment, et avec un enthousiasme non feint, par Nicolas Sarkozy.
On ne le répètera donc jamais assez : Allah est grand et le CFCM est son prophète. Trois membres du CFCM se sont alors envolés vers Bagdad le lendemain (Fouad Alaoui, Mohamed Bechari et Abdallah Zekri, représentant de la Mosquée de Paris). On ignore si, au cours du voyage, les trois pieux émissaires poursuivront leurs chamailleries franco-françaises sur le nombre de leurs adhérents ou les mètres carrés de leurs mosquées respectives. Quoiqu'il en soit, on s'attend, face aux barbares qui détiennent les journalistes et aux dignitaires religieux des pays voisins, à des discussions théologiques de haute volée avec une bataille à coup de versets du Coran. Ce sera à qui démontrera que non, décidément non, le Coran ne permet pas qu'on tue un innocent (mais motus sur l'assassinat d'un coupable ?) à moins que l'Armée islamique en Irak ne cite les innombrables versets où la mort demeure le plus doux remède à l'incroyance. Plus d'islam pour combattre l'islam, c'est un peu le principe d'action de la vaccination : on injecte le mal en quantité mesurée pour prévenir une affection plus grave.
L'UOIF, bien qu'elle tente de revêtir les apparats de la colombe de la paix, persiste toutefois dans son soutien aux jeunes filles en habit islamique. Dans un langage alambiqué, elle recommande le respect de la loi mais en suggère dans le même temps un contournement adroit. Le pont d'or qu'offre le ministre des Cultes aux membres du CFCM n'est qu'un exemple supplémentaire de l'empressement de l'Etat à se jeter dans les serres des religieux à chaque traumatisme. Nul doute que le CFCM saura exploiter son engagement dans l'affaire des otages pour exiger, plus tard, de nouveaux privilèges antilaïques. De l'installation de chapelles ardentes lors des catastrophes à la participation de membres du gouvernement à des cérémonies religieuses (commémoration, le 26 août, du 60e anniversaire de la Libération de Paris avec la présence de Jacques Chirac à une messe à la cathédrale Notre-Dame), le recours à la religion pour soigner les maux qu'elle engendre signe l'absence d'une réelle conscience laïque qui saurait définitivement rejeter les faiseurs de mythes hors de la sphère décisionnelle. On ne peut lutter contre le fascisme islamique international en épargnant ses relais qui prospèrent impunément sur le sol de démocraties affolées par l'accusation d'islamophobie.
3 septembre 2004
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