Science et religion : lirréductible
antagonisme.
Jean Bricmont
Agone numéro 23, 2000
Si nous prenons en main un volume quelconque, de théologie
ou de métaphysique scolastique, par exemple, demandons-nous :
Contient-il des raisonnements abstraits sur la quantité ou le
nombre ? Non. Contient-il des raisonnements expérimentaux
sur des questions de fait et dexistence ? Non. Alors,
mettez-le au feu, car il ne contient que sophismes et illusions.
David Hume1
INTRODUCTION
Il semble que lheure soit au dialogue, après des siècles
de conflit et de séparation, entre science et foi, ou science et
théologie. On ne compte plus les séminaires et les rencontres
consacrés à ce thème. Des scientifiques éminents comme
Friedrich von Weizsacker et Paul Davies ont reçu le prix " pour
le progrès de la religion " , offert par la fondation
Templeton. LAmerican Association for the Advancement of
Science a organisé récemment (en avril 1999) un débat public
sur lexistence de Dieu2. Lhebdomadaire Newsweek
nhésite pas à proclamer sur sa couverture que " la
science découvre Dieu " (27 juillet 1998). Plus près
de nous, lUniversité Interdisciplinaire de Paris3 (UIP)
organise de nombreuses conférences sur le thème de la
convergence entre science et foi, avec la participation de
scientifiques de très haut niveau et cette " université "
jouit de soutiens puissants. Le positivisme nest
plus de mise en philosophie et la science, post-quantique et post-gödelienne,
sest faite modeste. Dautre part, les théologiens se
sont mis à lécoute de la science quils ont renoncée
à contredire ou à régenter. Tout ne va-t-il pas pour le mieux
dans le meilleur des mondes ? Non. Je vais plaider une thèse
qui va à lencontre de cette tendance et montrer que, si
elles sont bien comprises, la démarche scientifique et la démarche
religieuse sont en fait inconciliables. Évidemment, la démarche
religieuse est aujourdhui difficile à cerner, parce quelle
est devenue terriblement vague et diversifiée, ce qui rend la
critique malaisée. On peut toujours me répondre que je nai
pas compris lessence de la démarche et me renvoyer à la
lecture dun nouvel auteur. Je limiterai par conséquent ma
critique à quatre axes qui me semblent caractériser les
principales attitudes adoptées aujourdhui par les croyants
face à la science : dabord, le concordisme, cest-à-dire
lidée que la science bien comprise mène à la religion.
Deuxièmement, la doctrine, opposée à la première, selon
laquelle il existe différents ordres de connaissance, lun
réservé à la science, lautre à la théologie (avec
parfois la philosophie entre les deux). Troisièmement, la thèse,
réactualisée récemment par le paléontologue Steven Jay Gould4,
affirmant que la science et la religion ne peuvent pas entrer en
conflit parce que lune soccupe de jugements de fait,
lautre de jugements de valeur. Et, finalement, ce quon
pourrait appeler le subjectivisme ou le postmodernisme chrétien.
Pour conclure, je ferai quelques remarques sur lactualité
et limportance de lathéisme.
Pour le dire dun mot, la racine de lopposition
entre science et religion porte essentiellement sur les méthodes
que lhumanité doit suivre pour obtenir des connaissances
fiables, quel que soit lobjet de ces connaissances. Un des
principaux effets que la naissance des sciences modernes a eu sur
notre façon de penser, cest la prise de conscience, à lépoque
des Lumières, des limites que la condition humaine impose à nos
possibilités dacquérir des connaissances qui vont au delà
de lexpérience. Par ailleurs, je suis parfaitement
conscient du fait que les idées avancées ici ne peuvent paraître
neuves que dans la mesure où elles ont été en partie oubliées.
Néanmoins, la confusion qui existe dans une partie du monde
intellectuel à propos des rapports entre science et religion
force malheureusement les incroyants à réaffirmer régulièrement
leurs propres " vérités éternelles "5.
LE CONCORDISME
Ny a-t-il pas quelque chose dun peu absurde
dans le spectacle dêtres humains qui tiennent devant eux
un miroir et qui pensent que ce quils y voient est
tellement excellent que cela prouve quil doit y avoir une
Intention Cosmique qui, depuis toujours, visait ce but...Si jétais
tout-puissant et si je disposais de millions dannées pour
me livrer à des expériences, dont le résultat final serait lHomme,
je ne considérerais pas que jaurais beaucoup de raisons de
me vanter.
Bertrand Russell6.
Lidée selon laquelle il existe une sorte de convergence
entre science et religion est ancienne mais cette approche, après
avoir été plus ou moins mise de côté pendant des années,
connaît aujourdhui un regain dintérêt7. Ses
partisans soutiennent que la science contemporaine elle-même
offre de bons arguments en faveur de lexistence dune
transcendance ; contrairement à la science classique, matérialiste,
du 18e siècle, la mécanique quantique, le
théorème de Gödel, le Big Bang, et parfois la théorie du
chaos, nous offrent une image réenchantée du monde, indiquent
les " limites " de la science et suggèrent
un au-delà. Un exemple typique de ce genre de
raisonnement est basé sur le " principe anthropique " :
des physiciens ont calculé que, si certaines constantes
physiques avaient été très légèrement différentes de ce quelles
sont, lunivers aurait été radicalement différent
de ce quil est et, en particulier, que la vie et lhomme
auraient été impossibles. Il y a donc là quelque chose que
nous ne comprenons pas ; lUnivers semble avoir été
fait de façon très précise afin que nous puissions en faire
partie. En fait, il sagit dune nouvelle version de ce
que les anglo-saxons appellent " the argument from
design " , à savoir que lunivers semble avoir été
fait en fonction dune certaine finalité et que cette
finalité elle-même témoigne de lexistence dun
Grand Architecte8.
Les scientifiques non-croyants répondent de différentes façons
à ce genre darguments : par exemple, on peut dire que
la situation est temporaire et que dautres phénomènes qui,
dans le passé, ont été considérés comme des preuves évidentes
de lexistence de la Providence, tels que lextrême
complexité des êtres vivants, ont été, en principe, expliqués
scientifiquement. Par ailleurs, rien ne dit que lunivers
observé est le seul qui existe et, sil en existe plusieurs
ayant des propriétés physiques différentes, nous nous
trouverons forcément dans un de ceux où la vie est possible9.
Mais cela ne va pas au fond du problème : les
scientifiques " matérialistes " ne sont en général
pas assez matérialistes ou, en tout cas, pas assez darwiniens (dans
un certain sens du terme). La tradition religieuse ainsi quun
narcissisme évident nous a laissé lillusion que nous étions
le centre de lunivers et le sommet de la création10. Mais
dans la vision scientifique du monde, nous ne sommes, métaphoriquement
parlant, quun peu de moisissure perdue sur une planète
quelque part dans lunivers, et que la pression de la sélection
naturelle a muni dun cerveau. En particulier, il ny a
strictement aucune raison de croire que nous pouvons répondre à
toutes les questions que nous nous posons11. Et il est normal quil
y ait de linexpliqué et du mystérieux dans le monde
cest linverse qui serait surprenant12. Personne
ne songe à faire jouer les orgues de la métaphysique parce que
les chiens ou les chats ne comprennent pas certains aspects de
leur environnement. Pourquoi réagir différemment lorsquil
sagit de ces animaux particuliers que sont les êtres
humains ? Certes, la science fait reculer notre ignorance,
mais elle nélimine pas notre perplexité. En fait, plus on
avance, plus on touche à des réalités qui sont soit très
petites avec la mécanique quantique, soit très grandes ou très
anciennes avec la cosmologie, et il nest pas déraisonnable
de sattendre à ce que le monde nous apparaisse de plus en
plus étrange. Le meilleur remède psychologique contre les dérives
métaphysiques liées aux limites des sciences est de changer de
perspective et de se dire que ce nest pas le monde qui est
magique, mais nous qui sommes bêtes.
Les partisans de la convergence répondront que lanalyse
objective du monde suggère lexistence dune
transcendance et quil ny a aucune raison de la
rejeter comme hypothèse; cette transcendance est peut-être
invisible, mais les champs électromagnétiques ou la force de
gravitation universelle ne sont pas non plus observables de façon
directe. On observe leurs conséquences et, à partir de là, on
infère leur existence. Pourquoi ne pas procéder de la même façon
avec Dieu ? Pour une raison très simple : comment spécifier
ce quest Dieu ? Lorsquon fait des hypothèses
scientifiques, on les formule, du moins en principe, de façon
mathématiquement précise et on en déduit des conséquences
observables. Comment procéder ainsi pour le transcendant ?
Cest impossible, presque par définition. Considérons, par
exemple, lidée que Dieu est tout-puissant : quest-ce
que cela veut dire exactement ? Quil peut modifier les
lois de la physique ? Ou même celles de larithmétique
(par exemple, faire en sorte que 2+3=6) ? Peut-il sopposer
au libre arbitre humain ? Peut-il empêcher la souffrance ?
Sans aucun doute, les théologiens peuvent apporter des réponses
cohérentes à ces questions. Le problème est quil est
relativement facile de trouver toute une série de réponses cohérentes
à presque nimporte quelle question, mais quil est
difficile, en labsence de tests empiriques, de savoir
laquelle est la bonne.
Évidemment, une façon de donner un contenu précis à lidée
de divinité, cest de se tourner vers lune ou lautre
révélation. Mais il faut éviter de tomber dans un raisonnement
circulaire. On ne peut pas accepter demblée quil sagisse
là de la parole de Dieu, au contraire, cest ce quil
faut établir. Or, il nexiste pas de révélation qui soit
empiriquement correcte dans les domaines où lon peut la vérifier ;
par exemple, la Bible nest pas particulièrement exacte en
matière de géologie ou dhistoire naturelle. Pourquoi
alors faire confiance aux assertions quon y trouve
concernant des domaines où elle nest pas directement vérifiable,
tels que les caractéristiques du divin ?
On ne peut que sétonner du fait que déminents
scientifiques non-croyants se laissent parfois enfermer dans la
problématique du concordisme. Steven Hawking, par exemple,
affirme : " Mais si lUnivers na ni
singularité ni bord et est complètement décrit par une théorie
unifiée, cela a de profondes conséquences sur le rôle de Dieu
en tant que créateur. "13 En réalité, cela nen a
aucune, à moins darriver à caractériser Dieu de façon
suffisamment précise pour servir dalternative à labsence
de singularité et de bord (qui, eux, sont définis de façon
mathématique). Le biologiste Richard Dawkins explique quil
a un jour déclaré à un philosophe, au cours dun dîner,
quil ne pouvait pas imaginer être athée avant 1859, année
de la parution de Lorigine des espèces de Darwin14.
Ce qui revient implicitement à critiquer lattitude des athées
du 18e siècle. Pour comprendre néanmoins
pourquoi ceux-ci avaient raison, imaginons, ce qui est évidemment
impossible, quon démontre demain que toutes les données géologiques,
biologiques et autres sur lévolution sont une gigantesque
erreur et que la Terre est vieille de 10.000 ans. Ceci nous ramènerait
plus ou moins à la situation du 18e siècle.
Nul doute que les croyants, surtout les plus orthodoxes,
pousseraient un immense cri de joie. Néanmoins, je ne considérerais
nullement cette découverte comme un argument en leur faveur.
Cela montrerait que nous navons, après tout, pas dexplication
de la diversité et de la complexité des espèces. Bien ;
et alors ? Le fait que nous nayons aucune explication
dun phénomène nimplique nullement quune
explication qui nen nest pas une (par exemple, une
explication théologique) devienne subitement valable.
La célèbre phrase de Jacques Monod : "Lhomme
sait enfin quil est seul dans limmensité indifférente
de lUnivers doù il a émergé par hasard "15
souffre également dune certaine ambiguïté, quon
retrouve chez certains biologistes ; que veut dire ici le
mot " hasard " ? Sil signifie que
lhomme nétait pas prédestiné, ce nest pas réellement
une découverte scientifique ; les explications en terme de
causes finales ont été abandonnées pour des raisons similaires
à celles qui ont mené à labandon des explications de
type religieux (impossibilité de les formuler de façon à ce quelles
soient testées). Mais si le terme désigne ce qui na pas
de causes (antécédentes), alors la phrase exprime simplement
notre ignorance concernant lorigine de la vie ou certains
aspects de son évolution. Le hasard nest pas plus une
cause ou une explication que Dieu16.
En fin de compte, le Dieu soi-disant découvert par la science,
comme le hasard, nest quun nom que nous utilisons
pour recouvrir notre ignorance dun peu de dignité.
Notons finalement que, lorsque lÉglise sest décidée
à reconnaître ses torts dans laffaire Galilée (au terme
dune enquête qui a duré de 1981 à 1992), le cardinal
Poupard déclara, en présence du pape : " certains
théologiens contemporains de Galilée nont pas su interpréter
la signification profonde, non littérale, des Écritures "17.
Mais ni lui ni Sa Sainteté ne semblent apprécier limportance
du fait que cest laction courageuse de milliers de
non-croyants ou de croyants suffisamment sceptiques qui ont amené
les théologiens18 à découvrir cette " signification
profonde ". On ne peut sempêcher dêtre
perplexe face au comportement dune divinité qui se révèle
dans des Écrits, dont la véritable signification échappe
totalement durant des siècles aux croyants les plus zélés et
ne finit par être comprise que grâce aux travaux des sceptiques ;
les voies de la Providence sont vraiment impénétrables.
UNE RÉALITÉ DUN AUTRE ORDRE ?
Toute connaissance accessible doit être atteinte par des méthodes
scientifiques ; et ce que la science ne peut pas découvrir,
lhumanité ne peut pas le connaître.
Bertrand Russell19
Lattitude religieuse traditionnelle et pourrait-on dire,
orthodoxe, rejette, souvent avec fermeté, lidée dune
concordance entre science et foi et sappuie plutôt sur lidée
que la théologie ou la réflexion religieuse nous donne accès
à des connaissances dun autre ordre que celles accessibles
à la science20. Ce genre de discours commence souvent en observant
que lapproche scientifique ne nous donne quune
connaissance très partielle de la réalité. En effet le monde
tel que le représente la science est assez étrange : où
trouve-t-on dans ce univers de gènes, de molécules, de
particules et de champs ce qui nous paraît faire la spécificité
de lêtre humain, à savoir nos sensations, nos désirs,
nos valeurs ? Ne faut-il pas faire appel à une autre
approche, non-scientifique, pour appréhender cet aspect
essentiel de la réalité ? Et cette autre approche ne
pourrait-elle pas nous indiquer le chemin qui mène vers une
transcendance ?
Comme cette question est la source de pas mal de confusions,
il faut, pour y répondre, distinguer soigneusement nos différentes
façons de connaître; tout dabord, remarquons que limmense
majorité de nos connaissances ne sont pas " scientifiques "
au sens strict du terme. Ce sont les connaissances de la vie
courante. Néanmoins, elles ne sont pas radicalement différentes
des sciences en ce sens quelles visent également à une
connaissance objective de la réalité et quelles sont
obtenues par une combinaison dobservations, de
raisonnements et dexpériences. Ensuite, il y a lapproche
introspective et intuitive de la réalité, qui nous permet de
connaître nos propres sentiments et parfois de deviner ceux des
autres. Cest elle qui nous permet davoir accès au
monde des sensations et de la conscience. Comment relier ce monde
subjectif au monde objectif tel que le décrit la science
contemporaine est fort problématique et suggère effectivement
que la vision du monde fournie par la science est incomplète. À
nouveau, on peut soutenir que cette situation nest que
temporaire. Mais surtout, il ne faut pas oublier quil est
normal que notre rapport à la réalité nous laisse insatisfaits
et perplexes.
La démarche religieuse cherche parfois à utiliser laspect
subjectif de notre expérience pour justifier ses assertions.
Nous sentons " quil y a quelque chose qui nous dépasse "
ou nous nous sentons en rapport immédiat avec une entité
spirituelle, ce qui, poussé à lextrême, débouche sur lexpérience
mystique. Mais comment sassurer que notre expérience
subjective nous donne accès à des entités existant
objectivement en dehors de nous, Dieu par exemple, et pas
simplement à des illusions ? Après tout, il existe tant dexpériences
subjectives différentes quil est difficile de croire quelles
mènent toutes à des vérités. Et comment les départager si ce
nest en faisant appel à des critères non-subjectifs ?
Mais faire appel à de tels critères revient à mettre de côté
le caractère probant de lexpérience subjective.
Par ailleurs, postuler, par exemple, lexistence dune
âme pour expliquer la conscience21 est une démarche aussi
illusoire que postuler lexistence dune divinité pour
expliquer lunivers. Lâme est-elle immortelle ?
Vient-elle à la naissance ou à la conception ? Comment
interagit-elle avec le corps ? Cette interaction viole-t-elle
les lois de la physique ? Respecte-t-elle la conservation de
lénergie ? Dès que lon pose des questions
concrètes, on se rend compte quil est impossible dy
répondre. Ou plutôt, quil est toujours possible de donner
différentes réponses, mais quil ny a aucun moyen de
trancher entre elles. En fin de compte, notre approche subjective
du monde ne nous permet pas plus dinférer lexistence
des êtres postulés par les religions (Dieu, lâme etc.)
que notre approche objective.
En fait, lappel à la vie intérieure comme signe dune
transcendance est une sorte de régression par rapport à la métaphysique
classique. Celle-ci cherchait à atteindre un autre ordre de réalité
en utilisant non pas notre intuition, mais nos capacités de
raisonnement a priori. Hume a très bien résumé le problème que
rencontre cette approche : " la racine cubique de 64
est égale à la moitié de 10, cest une proposition
fausse et lon ne peut jamais la concevoir distinctement.
Mais César na jamais existé, ou lange Gabriel ou un
être quelconque nont jamais existé, ce sont peut-être
des propositions fausses, mais on peut pourtant les concevoir
parfaitement et elles nimpliquent aucune contradiction. On
peut donc seulement prouver lexistence dun être par
des arguments tirés de sa cause ou de son effet ; et ces
arguments se fondent entièrement sur lexpérience. Si nous
raisonnons a priori, nimporte quoi peut paraître
capable de produire nimporte quoi. La chute dun galet
peut, pour autant que nous le sachions, éteindre le soleil ;
ou le désir dun homme gouverner les planètes dans leur
orbite. Cest seulement lexpérience qui nous apprend
la nature et les limites de la cause et de leffet et nous
rend capables dinférer lexistence dun objet de
celle dun autre. "22 Ce que montre clairement Hume,
cest que nous sommes en quelque sorte prisonniers de nos
capacités cognitives : ou bien nous raisonnons a priori,
mais alors nous devons nous limiter aux objets mathématiques ou
bien, nous nous intéressons à des questions de fait, et nous
devons utiliser des arguments fondés "entièrement sur lexpérience "
. Raisonner a priori sur des objets non-mathématiques et
vagues tels que la Substance ou lÊtre ne peut produire que
" sophismes et illusions " .
Une version moderne de lillusion métaphysique consiste
à dire que la science répond à la question du pourquoi, mais
pas du comment. Cest à nouveau un faux problème. Si lon
se demande " pourquoi leau bout-elle à 100° ? ",
la réponse sera donnée par la physique. Si lon veut, on
peut reformuler la question en terme de comment : " comment
se fait-il que leau bout à 100° ? " Mais
on saperçoit alors que, pour ce genre de questions, la
différence entre pourquoi et comment est illusoire. Insister sur
le " pourquoi " renvoie implicitement, soit
aux explications finalistes qui sont impossibles à tester, soit
à des explications " ultimes " qui sont également
inaccessibles (toutes les explications scientifiques sarrêtant
quelque part). Et, si lon y réfléchit, on saperçoit
vite que les seules questions de " pourquoi "
auxquelles nous puissions trouver une réponse fiable sont celles
qui sont équivalentes à des questions de " comment "
.
Ce que comprenaient bien les penseurs des Lumières, mais qui
a été en partie oublié depuis lors, cest que lapproche
scientifique (en y incluant la connaissance ordinaire) nous donne
les seules connaissances objectives auxquelles lêtre
humain ait réellement accès. Si lapproche scientifique
nous donne une vision partielle de la réalité, cest parce
que nous navons pas accès, de par notre nature finie, à
la réalité ultime des choses. Mais il y a une grande différence
entre dire que la science nous donne une description complète de
la réalité et dire quelle en donne la seule connaissance
accessible à lêtre humain ; la confusion entre ces
deux propositions est dailleurs soigneusement entretenue
par les croyants, ce qui leur permet alors dattaquer le
" scientisme " , identifié à la première
proposition, et de suggérer non pas simplement quil existe
des questions auxquelles la science na pas de réponses,
mais quil existe une façon dapporter à ces
questions des réponses fiables. Une fois que cette distinction
est clairement énoncée, des édifices entiers de métaphysique
et de théologie seffondrent.
DES DOMAINES DE COMPÉTENCES DISTINCTS ?
La Bible dit : " tu ne permettras pas à une
sorcière de vivre " ... Les chrétiens libéraux
modernes, qui soutiennent que la Bible est valable dun
point de vue éthique, tendent à oublier de tels textes ainsi
que les millions de victimes innocentes qui sont mortes dans de
grandes souffrances parce que, dans le temps, les gens ont réellement
pris la Bible comme guide de leur conduite.
Bertrand Russell23
Les deux attitudes discutées ci-dessus défendaient avec
force la place de la théologie face à la science. Envisageons
maintenant les positions de repli, qui ne sont devenues
populaires aux yeux de certains croyants que parce que ceux-ci
ont fini par se rendre compte que les positions fortes étaient
intenables. Une première position consiste à séparer
totalement les domaines ; la science soccupe des
jugements de fait et la religion soccupe dautres
jugements, par exemple les jugements de valeur, le sens de la vie
etc. Notons que cette position est différente de la précédente :
lapproche " métaphysique " cherche à
atteindre des vérités dun autre ordre que les vérités
scientifiques, mais qui sont néanmoins factuelles (lexistence
de Dieu etc.). Cette séparation des domaines est défendue par
certains intellectuels, par exemple par le paléontologue S. J.
Gould24 qui se déclare " agnostique " , mais désire
défendre la théorie de lévolution contre les attaques créationnistes
tout en permettant à la religion de garder une certaine place
dans la culture. Elle satisfait sans doute aussi certains
croyants, mais nest certainement pas compatible avec la
position de limmense majorité dentre eux, qui considèrent
la métaphysique religieuse comme une vérité objective quils
ne sont pas prêts à abandonner. Et, en fait, ils ont en un
certain sens raison : si lon abandonne réellement
toutes les questions de fait à la science et quon rejette
le concordisme, comment justifier les jugements religieux sur les
valeurs et le sens de la vie ? Sur lenseignement
contenu dans telle ou telle révélation ? Mais au nom de
quoi choisir une révélation plutôt quune autre si ce nest
parce quelle exprime la " véritable "
parole de Dieu ? Et cette assertion nous replonge immédiatement
dans des questions ontologiques. Va-t-on suivre lexemple dun
personnage supposé admirable, comme Jésus Christ ? Mais
que sait-on scientifiquement de sa vie ? Pas grand-chose.
Pourquoi alors ne pas suivre lexemple de quelquun
dont on sait avec plus de certitude ce quil a vraiment fait ?
Et si sa vie réelle na pas dimportance, pourquoi ne
pas inventer de toutes pièces un personnage dont la vie serait
encore plus admirable et quon nous inviterait à imiter ?
Finalement, les morales religieuses rencontrent un problème
semblable à celui rencontré par linterprétation non littérale
des Écritures : plus aucun croyant ne veut suivre à la
lettre, en matière éthique, toutes les prescriptions bibliques.
Mais comment fait-on le tri, si ce nest en utilisant des idées
morales indépendantes de la révélation ? Et sil
faut évaluer cette dernière au nom de critères qui lui sont
extérieurs, à quoi peut-elle bien servir ?
On entend souvent dire et on cite Hume à ce sujet
quon ne peut pas déduire logiquement des jugements
de valeur à partir de jugements de fait. Cest certainement
vrai, mais cela ne veut pas dire quil nexiste pas une
façon scientifique de raisonner en matière éthique qui, à
nouveau, soppose à lattitude religieuse. Cette
approche est lutilitarisme qui repose sur un seul principe
éthique non factuel, à savoir quil faut globalement
maximiser le bonheur. Ce principe ne peut évidemment pas être
justifié scientifiquement. Mais, une fois quil est admis,
à cause de son caractère intuitivement évident, tous les
autres jugements moraux sont ramenés à des jugements du type :
est-ce que telle ou telle action tend à augmenter le bonheur
global ? Et ces jugements-là sont factuels. Évidemment,
les adversaires de cette approche font vite remarquer que la
notion de bonheur est vague et que les calculs utilitaristes sont
souvent impossibles à effectuer. Tout cela est vrai, mais quelle
alternative proposer ? On peut justifier a contrario
lutilitarisme en faisant remarquer quil est difficile
dimaginer une action qui serait moralement justifiée alors
que celui qui la commet sait quelle tend à diminuer le
bonheur global.
Lapproche utilitariste choque souvent parce quelle
soppose à deux aspects profondément ancrés dans notre réaction
spontanée face aux problèmes éthiques : lune, cest
le respect des morales traditionnelles, obéissance à lautorité,
à la communauté, à lÉtat ou aux préceptes religieux ;
pour un utilitariste, toutes ces traditions doivent être critiquées
et évaluées à laune de la maximisation du bonheur total.
Lautre aspect, sont toutes les volontés de vengeance ou de
punition. Dun point de vue utilitariste, toute sanction
doit être justifiée uniquement en fonction du bonheur global et
non pas par un désir de punir les méchants. En particulier, lutilitarisme
met entre parenthèse le problème de la responsabilité et du
libre arbitre ; il na pas besoin de nier le libre
arbitre ; simplement, il ne se préoccupe pas de savoir si
les actions humaines sont " vraiment " libres
et en quel sens, ce qui est probablement la position
philosophique la plus prudente. Finalement, pour un utilitariste,
il existe des progrès en éthique, comme en sciences, et lon
y arrive également par lobservation et le raisonnement. On
peut, en comprenant mieux la nature humaine, découvrir, par
exemple, que lesclavage est mauvais et que lavortement
ne lest pas. En fin de compte, non seulement une religion
dont on aurait évacué tous les jugements de fait se vide de
tout contenu, mais la façon religieuse daborder les problèmes
éthiques soppose radicalement à lapproche basée
sur une conception rationnelle du monde.
CROIRE POUR SE SENTIR BIEN.
Je pourrais être plus heureux, et jaurais sans doute
de meilleures manières, si je croyais être descendant des
empereurs de Chine, mais tous les efforts de volonté que je
pourrais faire en ce sens ne parviendraient pas à men
persuader, pas plus que je ne peux empêcher mon cur de
battre.
Steven Weinberg25
Il existe une tradition de " révolte contre la
raison ", dont on trouve des accents chez des auteurs
aussi différents que Pascal et Nietzsche, et qui rejette toute
la discussion précédante en admettant volontiers quil ny
a pas darguments rationnels en faveur de la religion, et quen
fin de compte il sagit uniquement dun choix personnel.
On peut croire, même si cest absurde, surtout si cest
absurde. Ou bien, il sagit dun engagement, dun
style de vie on fait les " gestes de la foi "
, prier et implorer, et on finit par croire. Ce genre dattitude
est devenu de plus en plus populaire avec la montée du " postmodernisme "
et, plus généralement, de lidée que ce qui est important
nest pas de savoir si ce quon dit est vrai ou faux,
ou peut-être même que la distinction entre vrai et faux na
pas de sens. Ce qui compte, ce sont les effets pratiques dune
croyance ou le rôle social quelle joue dans un groupe donné.
Dans la variante postmoderne la plus extrême de cette
tradition, le problème de la contradiction entre différentes
croyances religieuses ne se pose pas. On a recourt à la doctrine
des vérités multiples, cest-à-dire que des idées
mutuellement contradictoires peuvent être simultanément vraies.
Lun croit au ciel et à lenfer, lautre à la réincarnation,
un troisième pratique le New Age et un quatrième pense avoir
des extra-terrestres parmi ses ancêtres. Toutes ces vues sont
" également vraies " mais avec un
qualificatif du genre, " pour le sujet qui y croit "
ou " à lintérieur de sa culture " .
Je ne peux que partager le sentiment détonnement que
ressentent beaucoup de croyants orthodoxes face à cette
multiplication des ontologies.
Comme il est inutile dattaquer ce genre de positions au
moyen darguments rationnels, je vais me contenter de faire
deux remarques à caractère moral26. Premièrement, cette position
nest pas sincère et cela se remarque dans les choix de la
vie courante : lorsquil faut choisir une maison,
acheter une voiture, confier son sort à une thérapeutique, même
les subjectivistes les plus acharnés comparent différentes
possibilités et tentent deffectuer des choix rationnels27.
Ce nest que lorsquon se tourne vers des questions
" métaphysiques " , qui nont pas de
conséquences pratiques immédiates, que tout devient une
question de désir et de choix subjectifs. Ensuite, cette
position est dangereuse, parce quelle sous-estime limportance
de la notion de vérité objective, indépendante de nos désirs
et de nos choix : lorsquaucun critère objectif nest
disponible pour départager des opinions contradictoires, il ne
reste que la force et la violence pour régler les différends.
En particulier, sur le plan politique, la vérité est une arme
que les faibles ont face aux puissants, pas linverse.
Finalement, Steven Weinberg fait une remarque perspicace à
propos du subjectivisme religieux : "Il est très étrange
que lexistence de Dieu, la grâce, le péché, lenfer
et le paradis naient aucune importance ! Je suis
tenté de penser que, si les gens adoptent une telle attitude vis-à-vis
des questions théologiques, cest parce quils ne
peuvent se résoudre à admettre quils ny croient pas
du tout. "28
ACTUALITÉ DE LATHÉISME.
Labolition de la religion en tant que bonheur
illusoire du peuple est une exigence de son bonheur réel. Exiger
que le peuple renonce à ses illusions sur sa condition, cest
exiger quil abandonne une condition qui a besoin dillusions.
La critique de la religion est donc virtuellement la critique de
la vallée de larmes dont la religion est lauréole.
Karl Marx29
Tout dabord, il faut lever une ambiguïté de
terminologie : lattitude défendue ici, qui sappuie
sur les limites des connaissances (fiables) auxquelles lhumanité
a accès est souvent considérée comme une forme dagnosticisme
plutôt que dathéisme30. Mais il sagit là dune
confusion : par exemple, le pape ne se dira pas " agnostique "
au sujet des dieux de lOlympe. Par rapport à eux, il est
en réalité, comme tout le monde, athée. Idem pour toutes les
religions africaines, polynésiennes etc. En fait, les théologiens
les plus orthodoxes et moi-même sommes probablement daccord
(je nai pas fait de calculs exacts) sur 99% des religions
existantes ou ayant existé. Personne na jamais prouvé quAphrodite
nexistait pas.
En réalité, il y a deux sortes dagnostiques : dune
part, ceux qui constatent quil ny a aucune raison
valable de croire en une divinité quelconque et qui utilisent ce
mot pour désigner leur position, laquelle nest pas réellement
différente de lathéisme. Aucun athée ne pense avoir des
arguments prouvant linexistence des divinités. Ils
constatent simplement, face à la multiplicité des croyances et
des opinions, quil faut bien faire un tri (à moins daccepter
le pluralisme ontologique des subjectivistes) et que dire quil
ny a aucune raison de croire en lexistence dun
être revient à nier son existence. Mais dautres personnes
qui se déclarent agnostiques pensent que les arguments en faveur
du déisme ne sont pas totalement convaincants mais sont peut-être
valides, ou font une distinction entre les religions de lantiquité
et une religion contemporaine, et cette attitude est
effectivement très différente de lathéisme.
Remarquons aussi que le phénomène de la croyance en tant que
tel est pratiquement indépendant des arguments pseudo-rationnels
discutés ci-dessus. Limmense majorité des gens qui
embrassent une foi ne le font pas parce quils sont
impressionnés par largument anthropique, mais parce quils
respectent les traditions dans lesquelles ils ont été élevés,
ont peur de la mort, ou trouvent plaisant dimaginer quun
être tout-puissant veille sur leur sort. Cest pourquoi même
les intellectuels religieux sont souvent " athées "
en ce sens quils rejettent les raisons de croire quont
la plupart de leurs coreligionnaires.
Les idées développées ici paraissent sans doute aller un
peu trop à contre-courant du consensus mou qui domine la pensée
contemporaine. La religion nest-elle pas devenue
inoffensive ? À quoi bon la critiquer ? On peut grosso
modo classer les attitudes religieuses selon un axe orthodoxe-libéral ;
lorsquon se déplace le long de cet axe, on passe dune
croyance dogmatique et littérale en certains textes sacrés à
des positions de plus en plus vagues et défendues avec de moins
en moins de vigueur. Les torts causés par ces variantes de la
religion sont évidemment différents. Cest la variante
dogmatique qui fait le plus grand tort, qui impose des morales
barbares, fonctionne comme opium du peuple et, opposant les vrais
croyants aux impies, encourage divers conflits. Cest elle
qui domine dans le Tiers Monde, mais pas seulement là31.
En ce qui concerne les variantes libérales de la religion (qui
ont tendance à être répandues plutôt parmi les intellectuels),
elles pêchent de deux façons : lune est de fournir
indirectement une pseudo-justification aux variantes les plus naïves
et les plus dogmatiques de la religion. Les théologiens, surtout
les plus sophistiqués, donnent un bagage intellectuel aux prêtres
qui eux-mêmes entretiennent la foi des fidèles. Quon le
veuille ou non, il existe une continuité didées qui relie
les ailes apparemment les plus opposées de lÉglise. Lautre,
est dencourager une certaine confusion intellectuelle. Pour
reprendre ce que Bertrand Russell disait dans un autre contexte32,
lattitude religieuse moderne " prospère grâce
aux erreurs et aux confusions de lintellect. Par conséquent,
elle tend à préférer les mauvais raisonnements aux bons, à déclarer
insoluble chaque difficulté momentanée, et à considérer
chaque erreur idiote comme révélant la faillite de lintellect
et le triomphe de lintuition . "33
Lattitude des laïcs face à lévolution de la
religion est également surprenante : au fur et à mesure
que la religion devenait floue et vague, lopposition laïque
devenait floue et vague. Au nom dune volonté de dialogue
et de respect, on en vient à ne plus affirmer ce que lon
pense. Mais le véritable respect part dune affirmation
claire des positions des uns et des autres, et le dialogue ne
peut pas se baser sur un vague consensus humaniste qui
occulte, en bioéthique par exemple, les profondes différences
qui opposent des morales basées sur lutilitarisme et sur
la révélation.
Avec leffondrement du marxisme, la critique politique de
la religion sest aussi considérablement affaiblie. En
partie parce que le marxisme lui-même a édifié un certain
nombre de dogmes. Mais il ne faut jamais oublier que ce qui est
important dans lathéisme, cest lattitude
sceptique sur laquelle il est basé. Et que la critique politique
de la religion doit aller bien au-delà de la critique du soutien
apporté par les Églises aux pouvoirs en place. Il faut remettre
à lordre du jour la critique de la religion comme aliénation.
Et lattitude critique vis-à-vis des vérités soi-disant révélées
peut et doit sétendre petit à petit à toutes les " abstractions "
qui sont en réalité des constructions humaines mais qui, une
fois réifiées, simposent aux hommes comme des fatalités
extérieures qui les empêchent de devenir réellement maîtres
de leur sort : Dieu, lÉtat, la Patrie, ou, de façon
plus moderne, lEurope ou le Marché. En tout cas, la
critique de la religion reste une étape irremplaçable dans la
transformation de cette " vallée de larmes "
en un monde véritablement humain, débarrassé à la fois de ses
dieux et de ses maîtres.
1 HUME (David), Enquête sur l'entendement humain, traduit par
BARANGER (Philippe) et SALTEL (Philippe), Paris, GF-Flammarion,
1983 [1748], 247p. Cette phrase, la dernière du livre, peut
sembler un peu brutale mais il ne faut pas oublier qu'à l'époque
de Hume c'étaient en général les théologiens qui allumaient
les bûchers.
2 Opposant le prix Nobel de physique Steven Weinberg à John
Polkinghorne, physicien et pasteur anglican.
3 Qui n'est pas réellement une université, mais une association
qui organise des conférences et édite une revue, Convergences.
Dans le conseil scientifique de l'UIP, on trouve, entre autres,
Olivier Costa de Beauregard, Jean Staune, Anne Dambricourt-Malassé,
Rémy Chauvin, Michaël Denton, Bernard d'Espagnat, John Eccles,
Ilya Prigogine, Jean-Pierre Luminet, Trinh Xuan Thuan.
4 Voir GOULD (Steven Jay), Rocks of Ages : Science and Religion
in the Fullness of Life, Ballantine Books, 224p.
5 Pour de bonnes critiques de la religion, d'un point de vue
scientifique, voir : RUSSELL (Bertrand), " Pourquoi je ne
suis pas chrétien " , in RUSSELL (Bertrand) Le mariage et
la morale, Paris, Éditions 10/18, 1997, 350p. ; RUSSELL (Bertrand),
Religion and Science, Oxford, Oxford University Press, 1961, 256p.
; et WEINBERG (Steven), Le rêve d'une théorie ultime, Paris, O.
Jacob, 1997, 279p., surtout le chapitre XI.
6 RUSSELL (Bertrand), Religion and Science, Oxford, Oxford
University Press, 1961, 256p. (p.221-222).
7 Fortement encouragé par des organisations comme l'UIP et la
fondation Templeton.
8 A une époque où il est de bon ton de dénoncer le "
politiquement correct " et la soi-disant politisation des
universités américaines par la gauche académique, il n'est
peut-être pas inutile de signaler les élans d'enthousiasme que
l'argument anthropique suscite chez certains commentateurs de
droite ; par exemple, Patrick Glynn, ancien expert de l'administration
Reagan, consacre un ouvrage à cette idée qui, d'après lui,
offre un " argument puissant et presque incontestable "
en faveur de l'existence " de l'âme, de la vie après la
mort et de Dieu " . Cet argument permet de combattre "
les conséquences néfastes des politiques et de l'expérimentation
sociales inspirées par l'athéisme " , telles que les
atrocités soviétiques et la révolution sexuelle américaine.
Un éditorialiste de droite renommé, George Will, ironise en
disant que les laïcs devront " porter plainte contre la
NASA parce que le télescope Hubble apporte un soutien
anticonstitutionnel à ceux qui sont enclins à croire " .
Robert Bork, autre intellectuel de droite, se réjouit de ce que
cet argument détruit les bases intellectuelles de l'athéisme
parce que " la croyance religieuse est probablement
essentielle si l'on veut que l'avenir soit civilisé ". Voir
: SILBER (Kenneth), Is God in the details ?, Reason, Juillet 1999
(disponible sur http ://www.reasonmag.com/9907/fe.ks.is.html.).
9 Voir par exemple WEINBERG (Steven), op.cit., p. 224, pour une
bonne présentation de ce genre d'arguments.
10 En fait, le plus remarquable dans la religion n'est sans doute
pas tant le discours sur Dieu, mais la place que celle-ci
attribue à l'homme. On trouve cependant des exemples d'anthropocentrisme
aigu chez certains auteurs " matérialistes ", par
exemple : " ... nous avons la certitude que, dans toutes ses
transformations, la matière reste éternellement la même, qu'aucun
de ses attributs ne peut jamais se perdre et que, par conséquent,
si elle doit sur terre exterminer un jour, avec une nécessité d'airain,
sa floraison suprême, l'esprit pensant, il faut avec la même nécessité
que quelque part ailleurs et à une autre heure elle le
reproduise. " ENGELS (Friedrich), Dialectique de la nature,
Paris, Éditions Sociales, 1968, 364p. (p.46). Premièrement, qu'en
sait-il ? Deuxièmement, s'ils connaissaient la dialectique, les
éléphants considéreraient peut-être leurs trompes comme la
" floraison suprême " .
11 Par exemple : pourquoi il y a-t-il de l'être plutôt que rien
?
12 Comme l'a correctement fait remarquer Einstein, le plus mystérieux
dans l'univers, c'est qu'il soit compréhensible. Mais il ne l'est
que partiellement.
13 HAWKING (Stephen), Une brève histoire du temps. Du Big Bang
aux trous noirs, Paris, Flammarion, 1989. On trouve une confusion
bien plus grande encore chez Claude Allègre qui considère que
" le Big Bang établit la supériorité des religions du
Livre sur toutes les autres croyances du monde " ALLÈGRE (Claude),
Dieu face à la science, Paris, Fayard, 1997 (p.94). Cité (p.146)
dans LAMBERT (Dominique), Science et théologie ; Les figures d'un
dialogue, Bruxelles, Éditions Lessius, 1999, 218p.
14 Voir DAWKINS (Richard), The Blind Watchmaker, New York, W.W.Norton,
1997, 332p. Dawkins explique correctement l'argument sceptique et
pré-darwinien de Hume, mais il ne semble pas apprécier le fait
que de tels arguments sont toujours nécessaires, même après
Darwin, pour faire face par exemple à l'argument anthropique. La
découverte de Darwin déplace le " problème " lié à
l'argument basé sur la finalité apparente de l'univers, mais il
ne le résout pas. La solution passe, même aujourd'hui, par une
critique philosophique de la religion. Ceci dit, il n'y a pas de
doute que le darwinisme a apporté un immense soutien
psychologique à l'athéisme.
15 MONOD (Jacques), Le hasard et la nécessité, Paris, Le Seuil,
1971, 197p.
16 Remarquons que cette idée était parfaitement claire aux yeux
de certains scientifiques " mécanistes " du 18e siècle
; par exemple, Laplace écrivait, à propos des " événements
" : " Dans l'ignorance des liens qui les unissent au
système entier de l'univers, on les a fait dépendre des causes
finales ou du hasard, suivant qu'ils arrivaient et se succédaient
avec régularité ou sans ordre apparent ; mais ces causes
imaginaires ont été successivement reculées avec les bornes de
nos connaissances, et disparaissent entièrement devant la saine
philosophie, qui ne voit en elles que l'expression de l'ignorance
où nous sommes des véritables causes ".
LAPLACE (Pierre Simon), Essai philosophique sur les probabilités,
5è édition, Paris, Christian Bourgeois 1986 [1825] (p.32).
17 Documentation catholique, n° 2062, 1992 (n° 5), p. 1070. Cité
(p.65) dans : LAMBERT (Dominique), op.cit.
18 Lesquels ne se sont pas opposés seulement à Galilée, mais
également à l'idée que les comètes n'étaient pas des objets
sublunaires, que le soleil avait des taches, ainsi qu'à l'émergence
de la géologie, à la théorie de l'évolution, à l'approche
scientifique en psychologie et à de nombreux traitements médicaux
; pour plus de détails historiques, voir RUSSELL (Bertrand),
Religion and Science, Oxford, Oxford University Press, 1961, 256p.
19 RUSSELL (Bertrand), Religion and Science, Oxford, Oxford
University Press, 1961, 256p. (p.243).
20 Pour une bonne critique du concordisme, d'un point de vue
catholique, voir LAMBERT (Dominique), op.cit., ainsi que LAMBERT
(Dominique) " Le `réenchantement' des sciences :
obscurantisme, illusion ? " Revue des Questions
Scientifiques, n°166, 1995, p. 287-291.
21 Ce qui est plus ou moins l'attitude du physicien-pasteur
Polkinghorne qui considère la conscience comme un signe intrinsèque
d'un créateur ; notons aussi que le pape admet l'évolution pour
ce qui est du corps, mais considère qu'il y a un saut
ontologique lorsqu'on passe à l'esprit humain.
22 HUME (David), op.cit. p. 46.
23 RUSSELL (Bertrand), Religion and Science, Oxford, Oxford
University Press, 1961, 256p.
24 Qui, dans son récent livre (GOULD, op.cit.), suggère l'expression
" non-overlapping magisteria (NOMA) ".
25 WEINBERG (Steven), op.cit. p. 230.
26 Pour une critique générale du pragmatisme, en particulier
lorsqu'il est utilisé pour défendre la religion, voir les
chapitres 29 et 30, consacrés à William James et à John Dewey
de RUSSELL (Bertrand), Histoire de la philosophie occidentale,
traduit de l'anglais par KERN (Hélène), Paris, Gallimard, 1952.
27 Encore que, en ce qui concerne les thérapeutiques, leurs
choix soient parfois bizarres.
28 WEINBERG (Steven), op.cit. p. 229.
29 RUBEL (Maximilien), Pages de Karl Marx. Pour une éthique
socialiste. 1. Sociologie critique, Paris, Payot, 1970, 302p. (p.105).
30 Bertrand Russell raconte que, lorsqu'il fut mis en prison pour
son opposition à la première guerre mondiale, le garde lui
demanda qu'elle était sa religion et il répondit qu'il était
agnostique. Le garde le regarda en disant : " bon, de toute
façon, nous croyons tous dans le même Dieu ". Plus sérieusement,
Russell explique que lorsqu'on lui posait ce genre de questions,
il hésitait entre répondre " agnostique ", ce qui
caractérisait sa position philosophique au sens strict (on n'a
pas de preuves de l'inexistence de Dieu) et " athée ",
ce qui exprimait le fait qu'il ne pouvait pas non plus prouver
que les dieux de l'Olympe n'existaient pas et qu'il mettait ceux-ci
sur le même pied que le Dieu des chrétiens.
31 Francisco Ayala, ex-prêtre dominicain et professeur de
biologie en Californie explique que " le premier jour de mon
cours, il y a toujours une file d'étudiants qui se plaignent : `Professeur
Ayala, je suis votre cours pour devenir médecin - je ne peux pas
accepter l'évolution parce que je suis catholique' ". (New
York Times, 27 avril 1999). Notons que cela se passe dans un État
qui est supposé être à l'avant-garde d'un pays qui est régulièrement
présenté comme un modèle au reste du monde. Par ailleurs, des
sondages montrent que 40% des Américains considèrent leur
relation avec Dieu comme ce qu'il y a de plus important dans leur
vie, contre 29% pour " une bonne santé ", 21% pour
" un mariage heureux " et 5% pour " un travail
satisfaisant ". Comme le remarque Noam Chomsky, qui cite ces
chiffres, " Que ce monde puisse offrir certain aspects de
base d'une vie véritablement humaine n'est pas envisagé. Ce
sont les résultat qu'on s'attendrait à trouver dans une société
paysanne détruite. Ce genre de vues est particulièrement répandu
parmi les Noirs ; ce qui n'est pas étonnant lorsque le New
England Journal of Medicine nous apprend que `les hommes noirs à
Harlem ont moins de chances d'atteindre l'âge de 65 ans que les
hommes au Bangladesh'. "
32 Il s'agissait de sa critique de Bergson, voir RUSSELL (Bertrand),
Histoire de la philosophie occidentale, traduit de l'anglais par
KERN (Hélène), Paris, Gallimard, 1952 (p.762).
33 Considérons par exemple les théologiens de la libération :
on ne peut qu'admirer le courage de ces gens qui doivent se
battre sur deux fronts, à la fois contre le pouvoir temporel et
contre la hiérarchie réactionnaire de l'Église. Mais leur démarche
intellectuelle est très difficile à suivre. Ils ont tendance à
mettre de côté l'approche théologique classique et à se
concentrer sur une lecture des Évangiles. Admettons, pour
simplifier la discussion, que leur interprétation des Évangiles
soit correcte. Mais comment, sans faire appel à des arguments métaphysiques,
défendre l'idée que l'enseignement de quelqu'un qui a habité
en Palestine il y a 2000 ans est pertinente pour résoudre les
problèmes contemporains de l'Amérique Latine ?
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