Serfs de Dieu et maîtres d'indiens
Victor-Daniel Bonilla
Fayard 1972
"Ainsi donc, la société a besoin de pauvres et de riches, de petits et de grands propriétaires, et il serait contraire aux dispositions de la Providence d'exclure l'un quelconque de ces deux importants facteurs."
Fray Fidel de Montclar, l'initiateur de la destruction de la population de Sibundoy, 1916
"Béni soit Dieu et béni soit Franco"
Amazonia, n°1, revue de l'ordre des Capucins installés en Colombie, 1940
En 1969 paraît en Colombie, à compte d'auteur, un livre explosif du sociologue Victor-Daniel Bonilla qui constitue un véritable séisme : il dévoile l'ampleur de la destruction aussi bien culturelle que physique des autochtones de la vallée du Sibundoy.
Située en Colombie aux confins des Andes et de l'Amazonie, la région de Sibundoy demeure isolée mais les premiers espagnols pénètrent le territoire en 1535 et le christianisme commence à faire son apparition une dizaine d'années après. Les noms locaux sont hispanisés et un syncrétisme local se développe en conciliant le christianisme avec les croyances précédentes. Des éléments d'acculturation sont ainsi perceptibles dès le début de l'arrivée des blancs mais, du fait de la difficulté d'accès du territoire, les autochtones jouissent d'un calme relatif encore pendant trois siècles. C'est en fait au début du 20e siècle que l'invasion blanche commence véritablement avec l'arrivée de missionnaires capucins venus de Catalogne. En quelques décennies, on va assister à une déchéance complète de ce groupe humain, c'est-à-dire une christianisation totale.
Les religieux vont agir en véritables despotes et la méthode qu'ils utilisent s'avère douloureusement efficace :
- réquisition des terres pour transformer les capucins en puissance économique locale ;
- introduction de la propriété privée qui était inconnue aux Sibundoy et qui permettra de les priver de leurs possessions collectives ;
- réaménagement de l'habitat ;
- imposition de nouvelles habitudes vestimentaires ;
- culpabilisation des mœurs qui ne paraîtront pas suffisamment chrétiennes.
Les usurpations de terres agricoles vont s'accentuer et les locaux seront peu à peu réduit à un endettement qui les réduira à l'esclavage sans autre issue possible. À cela il faut ajouter, l'installation de religieuses dans des couvents et la construction d'églises, construction par les autochtones non rémunérés évidemment.
Mais avec le christianisme, c'est aussi le recours aux châtiments corporels, avec les coups de fouet et le supplice du cep (l'individu était attaché à un instrument de bois qui le paralysait), ainsi que l'imposition du mariage aux jeunes dès l'âge de 16 ou 18 ans. Le scandale des mariages forcés n'a pas lieu qu'en terre d'islam, il a aussi été pratiqué en plein vingtième siècle dans une région gérée par des européens. Il n'est donc pas très surprenant qu'on observera des vagues de suicides chez les Sibundoy, ce qui ne suscitera aucune émotion chez les religieux. Vingt cinq ans après le début de la colonisation par les capucins, le nombre d'autochtones a diminué de moitié !
Le livre de Victor-Daniel Bonilla est une enquête remarquable, un travail critique extraordinaire qui vaudra à l'auteur les attaques les plus viles de l'Eglise. Mais son sérieux et la rigueur de son étude parviendront, par le scandale généré, à obtenir le départ des capucins de la région de Sibundoy. Néanmoins la présence chrétienne demeurera avec leur remplacement par une communauté de Rédemptoristes.
Excellent travail d'anthropologie critique, l'ouvrage de Victor-Daniel Bonilla est une référence absolue dans la dénonciation de la barbarie du colonialisme religieux avec le mépris des cultures locales. Du Mexique à la Terre de Feu, chaque vallée, chaque plaine habitée mériterait une étude similaire pour montrer le christianisme dans ce qu'il a de plus odieux et de fasciste.
Voir la composition actuelle du clergé du diocèse de Sibundoy : on notera la proportion de catholiques dans le Vicariat Apostolique de Sibundoy qui oscille entre 96,2 % et 100 %, conséquence des conversions forcées.
8 juin 2004
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