Obscurantisme à la cathédrale de Bayonne




La cathédrale de Bayonne mérite une visite à plus d'un titre. Edifiée du 13e au 16e siècle, l'église de style gothique rayonnant propose une illustration édifiante, quoique banale, de l'obscurantisme chrétien. Dans une des chapelles du collatéral de gauche, une plaque commémorative relate un prodige survenu dans le ciel basque en 1451. Depuis trois siècles, Bayonne vivait sous la domination anglaise et l'issue de la guerre entre français et anglais fut, selon la propagande catholique, précipitée par une vision céleste qui revigora les premiers et confondit les seconds : une croix blanche apparut dans le ciel, surmontée d'une couronne, et se transforma en fleurs de lys. La défaite anglaise de 1451 rendit Bayonne à la France et des processions ont été organisées par Charles VII dans tout le pays en adoration du miracle. Que "dieu" intervienne avec autant d'efficacité dans l'art de manier les armes et de décider du vainqueur n'est pas nouveau : l'Ancien Testament fut pour lui un terrain de jeu où c'est à sa guise qu'il procurait les pires souffrances aux belligérants.

Cependant, le récit de cette fable dans la cathédrale de Bayonne est surtout remarquable par l'année d'installation de la plaque : 1928. Il n'est pas ici question d'un vestige obscurantiste honteux des siècles passés qu'on n'aurait pas enlevé par respect pour la pierre de l'édifice. Au contraire, on a bien là, au 20e siècle, l'expression immuable et éternelle des superstitions chrétiennes les plus imbéciles. De plus, les relations amicales entre la France et l'Angleterre de l'entre deux guerres expliquent que la puissance d'occupation (l'Angleterre du 15e siècle) ne soit pas nommée sur la plaque.

Le temple bayonnais célèbre aussi le premier évêque de la ville, Saint Léon. Hormis son rôle de précurseur de la secte en terre basque au 9e siècle, Saint Léon s'est signalé par un prodige dont la mythologie chrétienne est friande. Il eut le bon goût, une fois décapité, de ne pas s'affaler et sombrer dans la déprime mais sut conserver son flegme en ramassant sa tête. Certes il ne fut pas le premier, saint Denis et d'autres l'avaient précédé. Plusieurs représentations de saint Léon ornent la cathédrale (avec ou sans tête) et, gage de l'importance du bonhomme, le Saint Sacrement est vénéré dans la chapelle qui porte son nom, une chapelle construite au 19e siècle. On y trouve ainsi, dans un petit coffret aux parois vitrées, un morceau présenté comme une relique de la carcasse de saint Léon.

Outre l'évocation du destin funeste du saint homme, la chapelle Saint Léon possède plusieurs piliers ornés de chapiteaux dont l'un peut susciter quelques interrogations. Ornés de décors végétaux, chacun est décoré de feuilles différentes : l'un porte du lierre, un autre des feuilles ressemblant à celles de l'érable et un troisième des feuilles de vigne. Les feuilles de lierre et d'érable sont représentées dans leur aspect normal, sans convexité particulière, conformément à leur forme réelle. Par contre, curieusement, les feuilles de vigne, dont on sait le fort symbolisme biblique et sexuel cultivé par l'Eglise, présentent une convexité très exagérée et peu en rapport avec l'aspect réel de la plante. Les deux folioles inférieurs sont très bombés, beaucoup plus que de raison, et il n'est pas impossible que plus d'une religieuse en ait fait une interprétation peu prude : l'artiste aurait difficilement mieux représenté des testicules... Cette observation est-elle fondée ou n'est-elle que le produit impur des pensées blasphématrices de l'auteur de ces lignes ? Quoiqu'il en soit, l'hypothèse sexuelle ne constituerait pas un cas unique de détournement du puritanisme chrétien. La cathédrale de Villefranche-sur-Saône possède une gargouille qui montre une nonne prise par un démon très entreprenant. Les peintres ont aussi parfois donné à Marie les traits de leurs épouses, de leurs maîtresses ou de prostituées. Et à Paris, dans un autre registre, l'église Saint Merri voit, au sommet de son porche, l'assemblée de grands personnages chrétiens dominée par un baphomet, sorte de personnage diabolique dont le nom est une déformation moyenâgeuse du mot Mahomet.


23 février 2005


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