Les tromperies dans l'édition




Il y a neuf cent quatre-vingt-dix-neuf professeurs de vertu
pour un homme vertueux.
Henry David Thoreau
La désobéissance civile (1849)




Suite à mon expérience désastreuse avec les Éditions Syllepse, j'ai rassemblé un ensemble non exhaustif d'arnaques observées dans le monde de l'édition, militante ou pas. Si vous êtes auteur et que vous avez été volé par un éditeur ou simplement acculé à la signature d'un contrat insupportable ou humiliant, merci de me contacter sur cette page. Jocelyn Bézecourt


La grande famille des auteurs est un iceberg. Si la renommée et le succès récompensent la partie émergée, l'immense majorité des auteurs demeurent dans la solitude de celui ou celle dont les paroles ne produisent qu'un faible écho, voire aucun. La tâche complexe de trouver un lectorat est précédée par celle, également ardue, de rencontrer le bon interlocuteur pour porter ses mots. La difficulté à être édité rend les auteurs aussi vulnérables et soumis qu'un chômeur de longue durée face à un patron dont le confort solidement assis n'est pas perturbé par les scrupules. L'éditeur n'est pas un philanthrope mais un commerçant pour lequel, parfois, les droits payables à l'auteur peuvent être les premières économies à réaliser. Pour ce faire, les pièges sont fréquents, les victimes innombrables, et les procédés savent s'affranchir de la légalité ou s'en arranger.

Exiger de l'auteur une contribution financière pour la publication de son livre est le cas le plus simple. Des coûts d'impression prétendument élevés lui sont imputés et divers frais y sont ajoutés comme la mise en page, la correction du texte, la diffusion de l'ouvrage qui, en réalité, sera faible ou inexistante. Au mieux, un catalogue est envoyé aux libraires mais le livre sera rarement trouvé dans les rayons. L'auteur aura donc payé très cher sans être lu.

Moins onéreux pour l'auteur, mais pas plus respectueux, est le cas de l'éditeur qui, parce qu'il est sympathique, qu'on connaît déjà sa ligne éditoriale, qu'on l'a rencontré dans un salon, ne propose pas de contrat à l'auteur, la confiance verbale paraissant suffisante. Bien sûr, l'auteur ne disposera d'aucun recours s'il n'est pas payé ou si le nombre de ventes ne lui est pas communiqué.

Une autre stratégie permet de se débarrasser rapidement de l'auteur : celui-ci ne reçoit pour toute rémunération qu'un nombre de livres défini à l'avance (cinquante par exemple), sans paiement supplémentaire. Le coût pour l'éditeur est minime en se réduisant aux frais d'impression, et rien de plus ne sera accordé, même si l'ouvrage est un succès : les réimpressions éventuelles ne bénéficieront qu'à l'éditeur.

S'il consent au versement de droits à l'auteur, l'éditeur peut toutefois stipuler dans le contrat qu'ils ne seront versés qu'à partir d'un nombre d'exemplaires vendus fixé par avance, habituellement cinq cents. En outre, il peut exiger de l'auteur de réaliser lui-même le prêt à clicher c'est-à-dire assurer, seul, la correction du texte (orthographe, ponctuation, typographie), la mise en page et l'impression complète d'un exemplaire en haute qualité, des opérations qui, pourtant, relèvent du métier d'éditeur. Sans cela, celui-ci n'est plus qu'un photocopieur professionnel. L'auteur peut aussi se voir contraint d'acheter, à prix réduit, quelques dizaines d'exemplaires de son propre ouvrage, ce qui assure un début de rentabilité à l'éditeur. Ce système basé sur des coûts faibles où la réussite financière est, en partie, assurée aux dépens de l'auteur, permet de se targuer d'un catalogue de publications imposant, ce qui établirait la notoriété à la tonne de papier imprimé. Bien sûr, on voit mal pourquoi le tirage dépasserait le nombre d'exemplaires fixé au départ puisque l'éditeur aura déjà rentabilisé son affaire avant que ce seuil soit atteint. Il sera temps alors d'accueillir, sourire large et bras ouverts, un autre auteur pour la reproduction à l'identique du processus.

Enfin, l'éditeur peut proposer un contrat légal dans lequel les droits sont payables dès le premier exemplaire vendu. Toutefois, si le contrat n'est proposé qu'à la demande de l'auteur, la relation de confiance qui devrait lier les deux parties semble assez mal engagée. Voilà donc un contrat qui spécifie le montant des droits, la date de paiement, les conditions de traduction de l'ouvrage, etc. : le véritable test sur l'honnêteté de l'éditeur sera le paiement effectif de ce qui est dû à l'auteur. Pour cela, qu'il soit spécifié, ou pas, que le paiement n'est effectué qu'à la demande de l'auteur, plusieurs relances peuvent être nécessaires de la part de l'auteur jusqu'à, en cas de silence persistant, l'envoi d'une lettre de mise en demeure de payer. Il a aussi déjà été observé une pratique supplémentaire : le paiement n'est effectué que si le montant des droits dépasse une somme déterminée à l'avance (exemple connu de 150 euros) et, dans le cas contraire, le paiement est reporté à l'exercice de l'année suivante si, toutefois, il parvient à dépasser ce seuil.

Le paiement effectif des droits n'assure pas que la situation soit régulière, une partie des ventes a pu être dissimulée. L'auteur est ici totalement impuissant pour vérifier le nombre d'ouvrages vendus annoncé par l'éditeur; le diffuseur-distributeur ne rend ses comptes qu'à son client. L'auteur ne peut espérer obtenir le nombre d'ouvrages vendus que dans le cas d'un différend entre l'éditeur et le diffuseur, si ce dernier s'estime floué par le premier. Et la situation se répète chaque année puisque le paiement des droits est annuel. Quant au nombre d'exemplaires imprimés, il peut être vérifié en demandant à la Bibliothèque Nationale de France une copie de la déclaration qui lui a été adressée par l'éditeur.

De façon générale, et cela dans tous les cas exposés, une action en justice engagée par l'auteur lui coûtera probablement autant ou plus que le gain attendu. Pour un livre dont les ventes ne s'élèvent pas à plus de quelques centaines d'exemplaires (ce qui est le cas d'un très grand nombre d'ouvrages), le montant espéré n'atteint, au plus, que quelques centaines d'euros qui seront rapidement engloutis par les frais de justice. L'auteur comprend, trop tard, que sa passion de l'écriture l'a engagé dans un piège dont il ne restera qu'un goût amer. Fort de l'absence d'une action en justice, l'éditeur peut continuer à organiser sa propre promotion sur l'ingénuité qui découlerait de la faible taille de sa structure, de son caractère militant ou, plus généralement, de la nature de son activité (les livres, la connaissance, le savoir). En effet, comment croire qu'un éditeur qui affirme œuvrer pour l'art et la connaissance, propage la culture, clame sa vertueuse indépendance ou s'inscrit dans la défense d'une cause, aurait des pratiques commerciales contraires à ses idéaux affichés bruyamment ? Les auteurs, eux, sont trompés, frustrés, humiliés, et l'important travail qu'ils auront fourni, leur engagement personnel, le temps et éventuellement l'argent qui y auront été consacrés, n'auront servi qu'à assurer la prospérité d'un éditeur qui les utilise et les méprise. Pour se prémunir de la poétisation exagérée de l'objet livre et ne pas être abusé dans ses droits, on ne saurait trop conseiller aux auteurs de considérer, d'abord, l'éditeur comme un patron.


23 février 2010



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