Nostalgie du délit de blasphème en Angleterre et en France




Des évènements récents très inquiétants survenus en Angleterre ont constitué un signal fort contre la liberté de moquer, contester et dénoncer les religions. Rowan Atkinson, Mr Bean à l'écran, a beau mettre en garde de façon répétée contre la tentation de réprimer le blasphème, des fanatiques sikhs et chrétiens ne se sont pas contentés de pratiquer l'intimidation mais ont usé de procédés physiquement violents pour interdire toute évocation non orthodoxe de leur sectes.

Comme souvent, c'est une œuvre littéraire qui a déclenché l'ire des fanatiques. Le 18 décembre 2004, 400 sikhs ont saccagé l'entrée d'un théâtre de Birmingham au motif que la pièce qui y était jouée, Behzti (Déshonneur), constituerait une insulte à leur religion. L'auteure, Gurpreet Kaur Bhatti, a dû fuir de son domicile, sa vie étant gravement en danger. Les fanatiques lui reprochent d'avoir mis en scène un viol et un meurtre dans un temple sikh. L'attitude du gouvernement s'est révélée scandaleuse en acceptant la suppression de toutes les représentations de la pièce sans décider de l'instauration de mesures de sécurité pour les acteurs et le public. C'est la victoire de la censure religieuse sur le refus du délit de blasphème et la liberté de la création artistique. Des menaces de mort ont aussi été adressées au directeur d'un autre théâtre qui proposait de reprendre la pièce. Contre la couardise, voire la complicité, du gouvernement, 700 personnalités du monde des arts et du spectacle ont dénoncé la censure religieuse dans un pays où l'Eglise et l'Etat ne sont toujours pas séparés. La ministre de la Culture et la sous secrétaire d'Etat à l'égalité raciale n'ont eu aucun mot pour l'auteure persécutée. La discussion actuelle d'un projet de loi visant à instaurer un délit d'incitation à la haine religieuse est la meilleure récompense que les fous des dieux pouvaient souhaiter.

Gurpreet Kaur Bhatti était encore recluse dans son refuge secret qu'une autre crise de folie religieuse a secoué le pays début janvier 2005. Ce sont les intégristes chrétiens qui, cette fois, ont crié au blasphème à l'occasion de la diffusion d'une comédie musicale à la BBC. Le spectacle était pourtant joué depuis deux ans dans un théâtre londonien mais sa propulsion à la télévision a provoqué la colère de l'organisation Christian Voice relayée par tout ce que l'Angleterre compte de chrétiens fanatiques : 50 000 plaintes ont été adressées à la BBC en quelques jours et une quinzaine de responsables de la chaîne ont reçu des menaces de mort. Tuer le contestataire a toujours été l'aveu de l'incapacité à se maintenir autrement que par la terreur. Le spectacle en question, intitulé "Jerry Springer The Opera", est consacré à un célèbre animateur de télévision des USA et n'est pas avare de mots grossiers et de blasphèmes. Sans juger de la qualité du spectacle, présenter Jésus en couches-culottes, le voir caresser Eve et se décrire lui-même comme "un peu homo" relève simplement de l'art de la moquerie, de la farce et ne saurait excuser les intimidations et pratiques lâches des fanatiques. Le christianisme a toujours exécré toutes les formes de divertissement, une diversion coupable qui éloigne de la soumission à la prière et à l'ordre. Moquer les religions n'en est qu'une conséquence logique, c'est l'expulsion libératrice du carcan moral, sentimental, idéologique et politique imposé par les religions.

Mais face au blasphème, les sectes de tout bord savent faire abstraction de leurs incompatibilités, souvent exprimées dans le sang, pour se liguer contre l'ennemi commun, l'esprit libre de toute chaîne religieuse, de toute transcendance imaginaire. Christian Voice a ainsi reçu le soutien des intégristes sikhs, auréolés de leur succès récent, et musulmans (le "Londonistan"). Pire, en France, dans un contexte différent mais avec une problématique similaire, les fondamentalistes reçoivent le concours hallucinant de militants antiracistes reconvertis dans le second rôle de faire-valoir des intégristes. Le MRAP rend chaque jour plus bruyante et haineuse sa campagne contre la critique des religions en général, et l'islam en particulier. Son secrétaire général, Mouloud Aounit, ne cesse de crier et de s'agiter à chacune de ses prestations devant les médias pour, finalement, dévoiler le fond de sa pensée le 13 janvier 2005 sur France 3 : l'escalade verbale y a atteint les sommets en réclamant la punition du blasphème ! Le malaise au MRAP a été grand et la dénonciation de ses propos par les laïques (Respublica et UFAL) a contraint le mouvement à rectifier le tir le lendemain. Dans un communiqué incohérent, Mouloud Aounit a tenté piteusement de corriger ses éructations en s'enfermant un peu plus dans le labyrinthe de sa pensée. Il n'a ainsi pas craint de redéfinir selon son goût la notion de blasphème pour le débarrasser de toute référence à la religion. En France comme en Angleterre, les fanatiques et leurs soutiens s'appliquent plus activement que jamais à rétablir ce qui demeure l'explication la plus convaincante de la pérennité des religions : l'interdiction de la contestation.


25 janvier 2005


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