La trahison de l'ambassadeur de France au Vatican dans ses lettres de créances adressées au pape



L'ambassadeur de France au Vatican,  Monsieur Alain Dejammet, a présenté au pape Jean Paul II ses lettres de créances le 10 juin 2000.  Oubliant que le Vatican est la dernière dictature européenne, le nouvel ambassadeur s'est livré à un exercice de servilité scandaleux en réaffirmant le caractère chrétien de la France et en déformant à des fins cléricales la notion de laïcité. Je propose ici plusieurs extraits de cette déclaration publiée par la version française de l'Osservatore Romano dans son édition du 13 juin 2000 et disponible sur Zenith, agence d'information catholique.

La France, terre chrétienne

"Une si longue et si dense Histoire s'explique par le partage ancré au plus profond de nous-mêmes de valeurs communes avec celles de l'Eglise"

La France serviteur de l'Eglise:
"Terre d'accueil, presque dès les origines, du message évangélique, le pays qui est devenu la France s'est très vite révélé un soutien actif, parfois difficile ou turbulent, mais toujours loyal, de l'Eglise qui incarnait ce message"

L'ambassadeur rappelle "la part prise dans ce cheminement spirituel par l'un des Ambassadeurs de France près le Saint-Siège, dont Très Saint-Père, vous sont familiers: Jacques Maritain."

La France comme artisan de l'évangélisation du monde:
"Ils [les ambassadeurs précédents] ont évoqué les figures innombrables de ces Saints et Bienheureux français qui ont contribué au rayonnement de l'Eglise"

et, plus loin,
"Les Ambassadeurs de France sont fiers de dérouler la longue liste de ces légions de missionnaires, de blanc, de noir ou de bure vêtus, humbles, opiniâtres, tous courageux et souvent martyrs, qui ont accompagné la Parole de Dieu au-delà des mers."

Le christianisme, une valeur fondatrice de la France:
"ce paysage français que Vous connaissez bien, Très Saint Père, modelé par les symboles  de la foi chrétienne; un paysage de sagesse, de raison, mais aussi d'élévation, ponctué des clochers de ses églises"

Sur la scandaleuse falsification historique qui fait de Clovis le fondateur de la France chrétienne mais aussi le fait naître à une date erronée:
"Cette relation de la France et de l'Eglise est si vivante que sous l'autorité de son Président, la République a choisi de célébrer avec éclat l'anniversaire du baptême de Clovis."

Vatican et France ont les mêmes objectifs

En parlant des principes  de liberté, d'égalité et de fraternité acquis à la Révolution, "Principes qui furent accueillis avec compréhension par l'Eglise catholique, elle-même animée de la volonté de faire triompher la dignité de la personne humaine et la cohésion de la société."  L'Eglise catholique n'a jamais accueilli "avec compréhension" les valeurs républicaines. Elle montre plutôt une grande constance dans son opposition à des principes acquis malgré son opposition acharnée.

Satisfecit accordé aux Journées Mondiales de la Jeunesse catholique:
"Nul doute aussi, comme l'a relevé le Premier ministre à l'issue de Votre dernier voyage en France, que Vos préoccupations rejoignent celles de notre gouvernement pour que «la jeunesse puisse trouver dans l'engagement au service de la paix, de la fraternité et du partage un sens à la vie»."

La France s'inspire de la propagande chrétienne du Jubilé:
"Au delà du cadre de la nation, l'encouragement que l'année jubilaire donne à nos efforts pour rendre le monde plus humain inspire les réflexions menées de façon identique par la France et le Saint Siège face au défi de la mondialisation."

La France au service du Vatican

La France présente au Vatican:
"La France est convaincue que les collaborateurs  français dont Vous avez bien voulu vous entourer, continueront, par leur dévouement et leurs talents d'illustrer la contribution insigne que notre pays s'honore d'apporter aux oeuvres du Saint Siège."

La France au service de la réussite du Jubilé:
"Il va de soi enfin que la France tient à coeur de mettre sa culture au service de l'éclat du Jubilé"

Sur la dette des pays pauvres, la France répond aux demandes du Vatican:
"Les mesures que nous préconisons en faveur de l'allègement ou de l'élimination de la dette des pays les plus pauvres font écho à Vos recommandations."

Récupération

"C'est Vous-même, Très Saint Père, qui observiez que la «devise de la République française est largement inspirée par les valeurs évangéliques»." Quand on n'a pu créer soi-même un nouveau modèle de société, la récupération des résultats acquis par d'autres est une issue unique et confortable.

La repentance

"Vous avez, Très Saint Père, déjà montré la voie par des gestes impressionnants de courage et de discernement, tel que cet acte solennel de repentance - qui a bouleversé les consciences - auquel Vous avez convié l'Eglise." Pas toutes les consciences...

L'Europe

La France doit oeuvrer à la réalisation de l'Europe vaticane:
"Héritière de la vision identique, forgée par le Général De Gaulle, d'une Europe réconciliée avec elle-même, de l'Est à l'Ouest, respectueuse de ses histoires prestigieuses, la France ne peut que comprendre Votre ambition et s'attacher à l'accomplir."

Justification de la représentation du Vatican au Conseil de l'Europe:
"Nous sommes heureux, en particulier, que le Saint-Siège dispose au Conseil de l'Europe d'un statut qui lui permet  d'exprimer son encouragement à la promotion des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans une Europe élargie, «une Europe - comme Votre Sainteté l'a exprimé -, qui a besoin d'un visage spirituel»." La messe est dite, l'Europe sera cléricale ou ne sera pas.

La laïcité

"C'est dans cette ouverture [accueil des étrangers], dictée par l'esprit de charité et de solidarité, à tous ceux, venus de partout, qui recherchent justice, liberté ou assistance, qu'il faut trouver l'une des justifications les plus naturelles de la laïcité."

Erreur monsieur l'ambassadeur, la laïcité n'est pas la charité. Mais le pire est à venir:

"On comprend le souci de l'Eglise que la laïcité de la République soit vécue de manière apaisée et la plus équitable qui soit, de telle sorte qu'aucune discrimination affleure, et que l'égalité vis-à-vis de la religion ne soit pas indifférence mais, au contraire, source d'une surcroît d'attention et de respect."
Il y a péril en la demeure quand un représentant de l'état renie une conquête presque centenaire.

Et le coup final est porté quand on apprend que nos principes politiques ont intérêt à s'inspirer du Jubilé chrétien:
"Très Saint Père, si le Jubilé nous incite à faire oraison, à approfondir nos réflexions sur les grands thèmes de notre culture, les principes fondamentaux de nos politiques..."
 
  Le nouvel ambassadeur de France au Vatican ne s'est pas seulement livré à un exercice affligeant de servilité sans doute coutumier des milieux diplomatiques mais a aussi trahi le progrès laïc que connaît la société française depuis 95 ans. Monsieur Dejammet ne s'est pas contenté d'afficher des convergences de vues avec le Vatican, il a en outre systématiquement assigné la France à un rôle de subordonné, d'exécuteur des principes du Vatican. A aucun moment, il n'indique la direction que la France imprime aux religions dans le respect des autres croyances et incroyances mais insiste sans cesse sur la primauté de l'Eglise. Une soumission qui se traduit aussi par l'emploi systématique de la majuscule V dans Vos, Vous, Votre.

Une telle déclaration d'allégeance est inacceptable dans un pays qui a conquis avec tant de difficulté la salutaire séparation du politique et du religieux.
 
 

27 juin 2000


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